ARCHIVES IZAMBARD (1870)
En janvier 1870, un nouveau
professeur de lettres, âgé de vingt-deux ans,
Georges
Izambard, est chargé de la classe de "rhétorique" (première, option
littéraire) où Rimbaud a été admis en octobre 1869. Arthur prend vite l'habitude
de montrer ses vers à ce jeune professeur qui, de son côté, fait découvrir à son
élève la poésie la plus contemporaine.
Plusieurs des premiers textes de Rimbaud comme Charles d'Orléans
à Louis XI ou Bal des pendus sont liés aux thèmes de composition
française proposés par Izambard à ses élèves. La première lettre ci-dessous
montre que ces exercices scolaires pouvaient occasionner chez un élève comme
Rimbaud des recherches approfondies, au bénéfice desquelles il n'hésitait
pas à solliciter la bibliothèque de son professeur.
Ces prêts de livres n'étaient pas toujours du goût de Madame
Rimbaud. La petite histoire a retenu à ce sujet un épisode qui ne manque pas
de sel : la lettre par laquelle la mère d'Arthur proteste auprès d'Izambard
contre les mauvaises lectures qu'il favorise auprès de son fils (Les
Misérables de Hugot —
sic —) :
Monsieur
Je vous suis on ne peut plus reconnaissante de tout ce que vous
faites pour Arthur. Vous lui prodiguez vos conseils, vous lui faites
faire des devoirs en dehors de la classe, c’est autant de soins auxquels
nous n’avons aucun droit. Mais il est une chose que je ne saurais
approuver, par exemple la lecture d’un livre comme celui que vous lui
avez donné il y a quelques jours (les misérables V.Hugot) [...]
J'ai l'honneur de vous présenter mes respects.
V.
Rimbaud
Le 18 juillet, Izambard quitte
Charleville pour prendre ses vacances dans sa ville de Douai où il accueillera
Rimbaud au cours de ses fugues ou pérégrinations de l'automne (29 août-1er
novembre 1870). Voir ci-après
notre page sur le "Recueil de Douai".
Plusieurs lettres adressées par l'ancien élève
à son ex-professeur, documents de premier ordre pour suivre Rimbaud dans ces mois
décisifs, datent de cette période. Les versions des poèmes de Rimbaud détenues par Izambard sont
probablement les premières versions connues des poèmes concernés. C'est du
moins l'hypothèse formulée par Steve Murphy (SM-IV p.84),
estimant que Rimbaud était sans doute enclin à
solliciter en premier l'avis de son professeur avant d'envoyer
ses œuvres pour publication à Banville ou autres. En tout cas, toutes
ces versions sont antérieures à celles du dossier Demeny.
Les textes sont classés dans un ordre
chronologique conjectural.
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Lettre à Izambard (sans date)
Charles d'Orléans à Louis XI
Ophélie
À
la Musique
Un cœur sous une
soutane
Comédie en trois baisers
Vénus
anadyomène
Le Forgeron
Ce qui retient Nina
Lettre à Izambard du 25 août 1870
Lettre à Izambard du 5 septembre 1870
Lettre dite "de protestation"
Lettre à Izambard du 2 novembre 1870 |
Manuscrit autographe.
Collection particulière.Ce
billet laconique a probablement été adressé à Izambard en vue de la
"lettre imaginaire de Charles d'Orléans à Louis XI", sujet de
composition française donné par le professeur à ses élèves de
Rhétorique. Date précise inconnue : premier semestre de 1870. |
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Si
vous avez, et si vous pouvez me prêter :
(ceci surtout) 1° Curiosités historiques, 1 vol. de Ludovic Lalanne, je crois.
2° Curiosités bibliographiques, 1 vol. du même ;
3° Curiosités de l'histoire de France, par P. Jacob, première série,
contenant la Fête des fous, le Roi des Ribauds, les Francs-Taupins,
Les fous des rois de France,
(et ceci surtout)... et la deuxième série du même ouvrage,
Je viendrai chercher cela demain, vers 10 heures ou 10 heures un
quart. — Je vous serai très obligé. Cela me sera fort utile.
Arthur Rimbaud.
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Manuscrit autographe.
Le manuscrit de cet exercice de "discours français" (Izambard) se trouve à la BNF
(Bibliothèque Nationale de France).
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Charles d'Orléans à
Louis XI
Sire, le
temps a laissé son manteau de pluie ; les fouriers d'été sont venus :
donnons l'huys au visage à Mérencolie ! Vivent les lays et ballades !
moralités et joyeulsetés ! Que les clercs de la basoche nous montent les
folles soties : allons ouyr la moralité du Bien-Advisé et Maladvisé, et
la conversion du clerc Théophilus, et come alèrent à Rome Saint Pière et
Saint Pol, et comment furent martirez ! Vivent les dames à rebrassés
collets, portant atours et broderyes ! N'est-ce pas, Sire, qu'il fait
bon dire sous les arbres, quand les cieux sont vêtus de bleu, quand le
soleil cler luit, les doux rondeaux, les ballades haut et cler chantées
? J'ai un arbre de la plante d'amours, ou Une fois me dites ouy, ma
dame, ou Riche amoureux a toujours l'advantage... Mais me voilà bien
esbaudi, Sire, et vous allez l'être comme moi : Maistre François Villon,
le bon folastre, le gentil raillart qui rima tout cela, engrillonné,
nourri d'une miche et d'eau, pleure et se lamente maintenant au fond du
Châtelet ! Pendu serez ! lui a-t-on dit devant notaire : et le pauvre
folet tout transi a fait son épitaphe pour lui et ses compagnons : et
les gratieux gallans dont vous aimez tant les rimes, s'attendent danser
à Montfaulcon, plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre, dans la bruine
et le soleil !
Oh ! Sire, ce
n'est pas pour folle plaisance qu'est là Villon ! Pauvres housseurs ont
assez de peine ! Clergeons attendant leur nomination de l'Université,
musards, montreurs de synges, joueurs de rebec qui payent leur escot en
chansons, chevaucheurs d'escuryes, sires de deux écus, reîtres cachant
leur nez en pots d'étain mieux qu'en casques de guerre ; tous ces
pauvres enfants secs et noirs comme escouvillons, qui ne voient de pain
qu'aux fenêtres, que l'hiver emmitoufle d'onglée, ont choisi maistre
François pour mère nourricière ! Or nécessité fait gens méprendre, et
faim saillir le loup du bois : peut-être l'Escollier, ung jour de
famine, a-t-il pris des tripes au baquet des bouchers, pour les
fricasser à l'Abreuvoir Popin ou à la taverne du Pestel ? Peut-être
a-t-il pipé une douzaine de pains au boulanger, ou changé à la Pomme du
Pin un broc d'eau claire pour un broc de vin de Baigneux ? Peut-être, un
soir de grande galle au Plat-d'Etain, a-t-il rossé le guet à son arrivée
; ou les a-t-on surpris, autour de Montfaulcon, dans un souper conquis
par noise, avec une dixaine de ribaudes ? Ce sont les méfaits de maistre
François ! Parce qu'il nous montre ung gras chanoine mignonnant avec sa
dame en chambre bien nattée, parce qu'il dit que le chappelain n'a cure
de confesser, sinon chambrières et dames, et qu'il conseille aux
dévotes, par bonne mocque, parler contemplation sous les courtines, l'escollier
fol, si bien riant, si bien chantant, gent comme esmerillon, tremble
sous les griffes des grands juges, ces terribles oiseaux noirs que
suivent corbeaux et pies ! Lui et ses compagnons, pauvres piteux !
accrocheront un nouveau chapelet de pendus aux bras de la forêt : le
vent leur fera chandeaux dans le doux feuillage sonore : et vous, Sire,
et tous ceux qui aiment le poète ne pourront rire qu'en pleurs en lisant
ses joyeuses ballades : ils songeront qu'ils ont laissé mourir le gentil
clerc qui chantait si follement, et ne pourront chasser Mérencolie !
Pipeur,
larron, maistre François est pourtant le meilleur fils du monde : il rit
des grasses souppes jacobines : mais il honore ce qu'a honoré l'église
de Dieu, et madame la vierge, et la très sainte trinité ! Il honore la
Cour de Parlement, mère des bons, et soeur des benoitz anges ; aux
médisants du royaume de France, il veut presque autant de mal qu'aux
taverniers qui brouillent le vin. Et dea ! II sait bien qu'il a trop
gallé au temps de sa jeunesse folle ! L'hiver, les soirs de famine,
auprès de la fontaine Maubuay ou dans quelque piscine ruinée, assis à
croppetons devant petit feu de chenevottes, qui flambe par instants pour
rougir sa face maigre, il songe qu'il aurait maison et couche molle,
s'il eût estudié !... Souvent, noir et flou comme chevaucheur d'escovettes,
il regarde dans les logis par des mortaises : "- O, ces morceaulx
savoureux et frians ! ces tartes, ces flans, ces gelines dorées ! - je
suis plus affamé que Tantalus ! - Du rosit ! du rost ! - Oh ! cela sent
plus doux qu'ambre et civettes ! - Du vin de Beaulne clans de grandes
aiguières d'argent ! - Haro ! la gorge m'ard !... O, si j'eusse estudié
!... - Et mes chausses qui tirent la langue, et ma hucque qui ouvre
toutes ses fenêtres, et mon feautre en dents de scie ! - Si je
rencontrais un piteux Alexander, pour que je puisse, bien recueilli,
bien débouté, chanter à mon aise comme Orpheus le doux ménétrier ! Si je
pouvais vivre en honneur une fois avant que de mourir !..." Mais, voilà
: souper de rondeaux d'effets de lune sur les vieux toits, d'effets de
lanternes sur le sol, c'est très maigre, très maigre ; puis passent, en
justes cottes, les mignottes villotières qui font chosettes mignardes
pour attirer les passants ; puis le regret des tavernes flamboyantes,
pleines du cri des buveurs heurtant les pots d'étain et souvent les
flamberges, du ricanement des ribaudes, et du chant aspre des rebecs
mendiants ; le regret des vieilles ruelles noires où saillent follement,
pour s'embrasser, des étages de maisons et des poutres énormes ; où,
dans la nuit épaisse, passent, avec des sons de rapières traînées, des
rires et des braieries abominables... Et l'oiseau rentre au vieux nid :
Tout aux tavernes et aux filles !...
Oh ! Sire, ne
pouvoir mettre plumail au vent par ce temps de joie ! La corde est bien
triste en mai, quand tout chante, quand tout rit, quand le soleil
rayonne sur les murs les plus lépreux ! Pendus seront, pour une franche
repeue ! Villon est aux mains de la Cour de Parlement : le corbel
n'écoutera pas le petit oiseau ! Sire, ce serait vraiment méfait de
pendre ces gentils clercs : ces poètes-là, voyez-vous, ne sont pas
d'ici-bas : laissez-les vivre leur vie étrange ; laissez-les avoir froid
et faim, laissez-les courir, aimer et chanter : ils sont aussi riches
que Jacques Cœur, tous ces fols enfants, car ils ont des rimes plein
l'âme, des rimes qui rient et qui pleurent, qui nous font rire ou
pleurer : Laissez-les vivre : Dieu bénit tous les miséricords, et le
monde bénit les poètes.
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Manuscrit autographe
(coll. particulière) Date
conjecturale : mai 1870.
Il s'agit d'un état antérieur du poème du dossier Demeny portant
ce titre. Voir ce texte.
Principales variantes (ponctuation
exceptée) par rapport au texte du dossier Demeny (version de
référence pour le poème) : I/
"en ses longs voiles" vs. "en ses
grands voiles" II/
"C'est qu'un souffle inconnu,
fouettant ta chevelure" vs. "C'est qu'un souffle, tordant ta grande
chevelure" "entendait la voix
de la Nature" vs. "écoutait la voix de la Nature"
"C'est que la voix des mers, comme un
immense râle" vs. "C'est que la voix des mers folles, immense râle,"
"— Un infini terrible
égara ton
œil bleu !" vs. "— Un infini terrible
égara ton
œil bleu ! |
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Ophélie
I
Sur l'onde calme et noire où dorment les
étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
— On entend dans les bois lointains des hallalis...
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir :
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir...
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses longs voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle...
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
— Un chant mystérieux tombe des astres d'or.
......................................................................................
II
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
—
C'est que les vents tombant des grand monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté !
C'est qu'un souffle inconnu, fouettant ta chevelure
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits :
Que ton cœur entendait la voix de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits !
C'est que la voix des mers, comme un immense râle
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux !
— C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle
Un pauvre fou, s'assit, muet, à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve ! ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu.
Tes grandes visions étranglaient ta parole :
— Et l'infini terrible
effara ton
œil bleu !"
................................................................................
III
Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher la nuit les fleurs que tu cueillis
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter comme un grand lys.
A. Rimbaud
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Manuscrit détenu
par Izambard.
Musée-Bibliothèque Rimbaud,
Charleville. Non daté.
Il s'agit d'un état antérieur de la pièce du dossier Demeny portant le même titre.
Il existe deux
versions d'À la Musique :
- la première est une version
détenue par Georges Izambard. Texte ci-contre.
- la seconde est celle du dossier Demeny. Voir ce texte > Dossier
P.Demeny (1870). Cette version du
Recueil de Douai, étant la dernière contrôlée par l'auteur, sert
de version de référence. Elle présente de nombreuses variantes
intéressantes par rapport à ce texte-ci (voir notamment les vers : 5, 7, 8, 10, 14, 16,
17, 18, 19, 20, 28, 32, 33).
Aucun de ces deux
autographes n'est daté.
Pour le premier, Izambard a indiqué
le mois de juin 1870, ce qui pourrait être confirmé par la
découverte récente d'un document signalant l'exécution
effective de la Valse des fifres le 2 juin 1870, au
kiosque à musique de Charleville. Voir L.F. p.442.
Pour le second, Steve Murphy conjecture une
rédaction sensiblement ultérieure (septembre ?), en se fondant
sur la suppression des allusions antimilitaristes de la
première version. L'idéologie de Rimbaud aurait évolué avec
la proclamation de la République (le 4 septembre 1870) et le
siège de Paris (19 septembre) : il serait désormais partisan
de la résistance face à l'envahisseur. Voir SM-IV, p.508 et
521.
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À la Musique
Place de la Gare, tous les jeudis soirs, à Charleville.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
— Un
orchestre guerrier, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres ;
On voit aux premiers rangs parader le gandin,
Les notaires montrer leurs breloques à chiffres ;
Les rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs ;
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames,
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;
Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités,
Chacun rayant le sable avec sa canne à pomme,
Fort sérieusement discutent des traités,
Et prisent en argent, mieux que monsieur Prudhomme.
Étalant sur un banc les rondeurs de ses reins
Un bourgeois bienheureux, à bedaine flamande
Savoure, s'abîmant en des rêves divins,
La musique française et la pipe allemande !
Au bord des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les verts marronniers les alertes fillettes ;
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs grands yeux pleins de choses indiscrètes ;
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après les rondeurs des épaules...
Je cherche la bottine ... et je vais jusqu'aux bas ;
Je reconstruis les corps, brûlé de belles
fièvres ;
— Elles me trouvent drôle et se parlent tout
bas :
— Et je sens
les baisers qui me viennent aux lèvres...
Arthur Rimbaud |
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Cette nouvelle a
été remise par Rimbaud à Izambard le 18 juillet 1870, au dire de
ce dernier. Vu la longueur du texte, il lui a été réservé une
page séparée. Lien ci-contre. |
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Un cœur sous une
soutane
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Manuscrit autographe
(coll. particulière) Date
conjecturale : au plus tard le 24 juillet, selon Murphy, OC-I,
p.231).
Il s'agit d'un état antérieur du poème du dossier Demeny intitulé
Première soirée.
Voir ce texte > Dossier
P.Demeny (1870) dit "Recueil de Douai"
Il a été aussi publié sous le titre Trois baisers dans la
revue La Charge du août 1870.
Voir ce texte >
Trois baisers
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Comédie en trois baisers
Elle était fort déshabillée,
— Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée :
Malinement, tout près, tout près...
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains :
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins...
— Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner, comme un sourire
Sur son beau sein, — mouche au rosier...
— Je baisai ses fines chevilles ...
— Elle eut un long rire très mal
Qui s'égrenait en claires trilles,
— Une risure de cristal...
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent ... "Veux-tu finir !"
— La première audace permise,
Le rire feignait de punir !...
— Pauvrets palpitant sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
— Elle jeta sa tête mièvre
En arrière ... "Ô !... C'est encor mieux !..."
— "Monsieur, ... j'ai deux mots à te dire..."
— Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, — qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...
— Elle était fort déshabillée
Ce soir ... — les arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée,
Malinement, tout près, tout près.
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Daté du
27 juillet 1870.
Collection particulière
inconnue.
Il s'agit d'un état antérieur de la pièce du dossier Demeny. Voir ce texte : Dossier
P.Demeny (1870)
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Vénus Anadyomène
Comme d'un cercueil vert en ferblanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Montrant des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent, le dos court qui rentre et qui ressort
—
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
Et les rondeurs des reins semblent prendre l'essor..
L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement. — On remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...
Les reins portent deux mots gravés : Clara Vénus ;
— Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.
27 juiillet 70 A. Rimbaud
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Manuscrit détenu
par Izambard.
Non daté.
Version reconstituée d'après
les variantes données par Henri de Bouillane de Lacoste dans son
édition des Poésies de Rimbaud, Paris,, Mercure de
France, 1939.
Il s'agit d'un état probablement antérieur de la pièce du
dossier Demeny portant le même titre.
Voir à ce texte : Dossier
P.Demeny (1870)
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Le Forgeron
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— Tuileries, vers le 20 juin 1792. —
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front large, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînait sa veste sale.
Or le bon Roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !
"Donc, Sire, tu sais bien, nous chantions tra la la
Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres :
Le chanoine au soleil disait ses patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or.
Le seigneur à cheval passait, sonnant du cor,
Et, l'un avec la hart, l'autre avec la cravache,
Nous fouaillaient ; hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient pas ; nous allions ! nous allions !
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair, nous avions un pourboire :
— Nous venions voir
flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos enfants y faisaient un gâteau fort bien cuit !...
"Oh ! je ne me plains pas ! je te dis mes bêtises
— C'est entre
nous ; j'admets que tu me contredises...
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Énormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir les champs de blés, les épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
— Oui, l'on
pourrait, plus fort, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain qu'on pourrait prendre un peu,
Étant homme, à la fin, de ce que donne Dieu !...
— Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !
"...Oh! je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne là, dague sous le manteau
Et me dise : Maraud, ensemence ma terre ;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !...
— Moi, je serais un homme, et
toi tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !
— Tu vois bien, c'est
stupide !...
Tu crois que j'aime à voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons ?
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles,
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirions : C'est bien : les pauvres à genoux !...
Nous dorerions ton Louvre en donnant nos gros sous,
Et tu te soûlerais, tu ferais belle fête
Et tes Messieurs
riraient, les reins sur notre tête !...
"Non ! Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le peuple n'est plus une putain. Trois pas,
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière !
Cette bête suait du sang à chaque pierre...
Et c'était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
— Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au cœur comme l'amour :
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines,
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines,
Nous marchions, nous chantions, et ça nous battait là,
Nous allions au soleil, front haut, comme cela,
Dans Paris accourant devant nos vestes sales !...
Enfin ! Nous nous sentions hommes ! nous étions pâles,
Sire ; nous étions soûls de terribles espoirs,
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine :
— Nous nous sentions si
forts ! nous voulions être doux !...
...............................................................................
"Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous...
Le flot des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue,
Comme des revenants, aux portes des richards!...
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, le marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !...
— Puis, tu
dois y compter, tu te feras des frais
Avec tes avocats qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes,
Et, tout bas, les malins ! nous traitent de grands sots !
Pour mitonner des lois, ranger de petits pots
Pleins de menus décrets, de méchantes droguailles,
S'amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous passons près d'eux,
— Ces chers
avocassiers qui nous trouvent crasseux !
—
Pour débiter là-bas des milliers de sornettes
Et ne rien redouter sinon des baïonnettes,
Nous en avons assez, de tous ces cerveaux plats !
Ils embêtent le Peuple!... Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous cassons déjà les sceptres et les crosses !..."
Puis il le prend au bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre, en bas, les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons taché de bonnets rouges :
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au Roi pâle, suant, qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !...
"C'est la Crapule,
Sire ! ça bave aux murs, ça roule, ça pullule...
— Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont
les gueux !
— Je suis un forgeron : ma femme est avec
eux :
Folle ! elle vient chercher du pain aux Tuileries :
On ne veut pas de nous dans les boulangeries ...
J'ai trois petits ; — Je suis
crapule !
— Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets,
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
— C'est la crapule.
— Un homme était à la Bastille,
D'autres étaient forçats ; c'étaient des citoyens
Honnêtes ; libérés, ils sont comme des chiens ;
On les insulte ! alors ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! c'est terrible, et c'est cause
Que, se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils viennent maintenant hurler sous votre nez !...
— Crapules :
— Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que
—, sachant
bien que c'est faible, les femmes
—
Messeigneurs de la cour, que ça veut toujours bien
—,
Vous leur avez sali leur âme comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là : — C'est la
Crapule...
...............................................................................
"Oh ! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Et dans ce travail-là sentent crever leur front,
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là sont les hommes !
— Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers !
— nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'homme forgera du matin jusqu'au soir,
Où, lentement vainqueur, il soumettra les choses,
Poursuivant les grands buts cherchant les grandes causes,
Et montera sur Tout comme sur un cheval !
Oh ! nous sommes contents, nous aurons bien du mal !
— Tout ce
qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible.
Nous prendrons nos marteaux, nous passerons au crible
Tout ce que nous savons, puis, Frères, en Avant !...
— Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour !
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour,
Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne !
Et l'on se trouverait fort heureux, et personne,
Oh ! personne ! surtout, ne vous ferait plier !...
On aurait un fusil au-dessus du foyer !...
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"Oh ! mais ! l'air est tout plein d'une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
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Sommaire |
Manuscrit daté du
15 août 1870.
Probablement
envoyé à Izambard avec la lettre du 25 août 1870.
Il s'agit d'un état antérieur de la pièce du dossier Demeny intitulée Les
Reparties de Nina. Voir à ce texte : Dossier
P.Demeny (1870)
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Ce qui retient Nina
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LUI —
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Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu qui vous baigne
Du vin de jour ?
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour,
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs ;
Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Divine avec ce bleu qui cerne
Ton grand œil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou !
Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, — la belle tresse,
Oh !, — qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,
Au rose églantier qui t'embête
Aimablement...
Comme moi ? petite tête,
C'est bien méchant !
Dix-sept ans ! Tu seras heureuse !
Oh ! les grands prés
La grande campagne amoureuse !
— Dis, viens plus près !...
— Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !
Puis, comme une petite morte,
Le cœur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'œil mi-fermé...
Je te porterais palpitante
Dans le sentier...
L'oiseau filerait son andante,
Joli portier...
Je te parlerais dans ta bouche :
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Qui coule bleu sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Te parlant bas la langue franche...
Tiens !... — que tu sais...
Nos grands bois sentiraient la sève,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Sombre et vermeil !
Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour...
Nous regagnerions le village
Au demi-noir,
Et ça sentirait le laitage
Dans l'air du soir,
Ça sentirait l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un rythme lent d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fienterait, fière,
À chaque pas!...
Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb
Moussant entre trois larges pipes
Qui, crânement,
Fument : dix, quinze immenses lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus ;
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts ;
Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil
Et pourlèche la face ronde
Du fort petit ;
Noire, rogue au bord de sa chaise,
Affreux profil,
Une vieille devant la braise
Qui fait du fil ;
Que de choses nous verrions, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire
Les carreaux gris !...
— Et puis,
fraîche et toute
nichée
Dans les lilas,
La maison, la vitre cachée
Qui rit là-bas.....
— Tu viendras, tu viendras, je t'aime,
Ce sera beau !...
Tu viendras, n'est-ce pas? et même...
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ELLE —
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Mais le bureau ?
15 août 1870
Arthur Rimbaud
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Sommaire |
Lettre à Georges Izambard
25 août 1870
La lettre est adressée à l'adresse
douaisienne du professeur (29, rue de l'Abbaye-des-Prés, Douai,
Nord), avec la mention "Très pressé".
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Charleville, 25 août 1870.
Monsieur,
Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! — Ma ville
natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province.
Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est à côté
de Mézières, — une ville qu'on ne trouve pas, — parce qu'elle voit
pérégriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoîte
population gesticule, prud'hommesquement spadassine, bien autrement que
les assiégés de Metz et de Strasbourg ! C'est effrayant, les épiciers
retraités qui revêtent l'uniforme ! C'est épatant comme ça a du chien,
les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les
ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de
Mézières ; ma patrie se lève !... Moi j'aime mieux la voir assise : ne
remuez pas les bottes ! c'est mon principe.
Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j'espérais des
bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des
aventures, des bohémienneries enfin ; j'espérais surtout des journaux,
des livres... Rien ! Rien ! Le courrier n'envoie plus rien aux
libraires ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau
! c'est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l'honorable
Courrier des Ardennes, — propriétaire, gérant, directeur, rédacteur
en chef et rédacteur unique : A. Pouillard ! Ce journal résume les
aspirations, les vœux et les opinions de la population : ainsi jugez !
c'est du propre !... On est exilé dans sa patrie !!!
Heureusement, j'ai votre chambre : — Vous vous rappelez la permission
que vous m'avez donnée. — J'ai emporté la moitié de vos livres ! J'ai
pris Le Diable à Paris. Dites-moi un peu s'il y a jamais eu
quelque chose de plus idiot que les dessins de
Grandville ? — J'ai Costal l'Indien, j'ai La Robe de Nessus,
deux romans intéressants. Puis, que vous dire ?... J'ai lu tous vos
livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Épreuves,
puis aux Glaneuses, — oui ! j'ai relu ce volume ! — puis ce fut
tout !... Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut,
était épuisée !... Le Don Quichotte m'apparut ; hier, j'ai passé,
deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n'ai plus
rien !
Je vous envoie des vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je
les ai faits : vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère !...
Vous aviez l'air de vouloir connaître Louisa Siefert, quand je vous
ai prêté ses derniers vers ; je viens de me procurer des parties de son
premier volume de poésies, les Rayons perdus, 4e
édition. J'ai là une pièce très émue et bort belle, Marguerite ;
..................................................................
"Moi, j'étais à l'écart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux bleus si doux :
C'est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent...
....................................................................
Marguerite est trop jeune. Oh ! si c'était ma fille,
Si j'avais une enfant, tête blonde et gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets !
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l'enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais ;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère...
..................................................................
Jamais on ne dira de moi : c'est une mère !
Et jamais un enfant ne me dira : maman !
C'en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine...
..................................................................
Ma vie, à dix-huit ans, compte tout un passé. "
|
—
C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone,[ici, Rimbaud écrit le nom
d'Antigone en alphabet grec], dans Sophocle.
J'ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 écu.
C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable. Parfois
de fortes licences : ainsi,
Et la tigresse épou - vantable d'Hyrcanie |
est un vers de ce volume. Achetez, je vous
le conseille, La Bonne Chanson, un petit volume de vers du même poète :
ça vient de paraître chez Lemerre ; je ne l'ai pas lu : rien n'arrive
ici ; mais plusieurs journaux en disent beaucoup de bien.
Au revoir, envoyez-moi une lettre de 25 pages — poste restante — et
bien vite !
A. RIMBAUD.
P. S. — À bientôt, des révélations sur la vie que je vais mener après...
les vacances...
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À
GEORGES IZAMBARD
5 septembre 1870
Ce
manuscrit était détenu par le Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de
Charleville, où il a été volé.
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Cher
Monsieur,
Ce que vous me conseilliez de ne
pas faire, je l'ai fait : je suis allé à Paris, quittant la maison
maternelle ! J'ai fait ce tour le 29 août.
Arrêté en descendant de wagon pour
n'avoir pas un sou et devoir treize francs de chemin de fer, je fus
conduit à la préfecture, et aujourd'hui, j'attends mon jugement à
Mazas ! oh ! — J'espère en vous comme en ma mère ; vous
m'avez toujours été comme un frère : je vous demande instamment
cette aide que vous m'offrîtes. J'ai écrit à ma mère, au procureur
impérial, au commissaire de police de Charleville ; si vous ne
recevez de moi aucune nouvelle mercredi, avant le train qui conduit
de Douai à Paris, prenez ce train, venez ici me réclamer par
lettre, ou en vous présentant au procureur, en priant, en
répondant de moi, en payant ma dette ! Faites tout ce que
vous pourrez, et, quand vous recevrez cette lettre, écrivez,
vous aussi, je vous l'ordonne, oui, écrivez à ma pauvre
mère (Quai de la Madeleine, 5, Charleville) pour la consoler.
Écrivez-moi aussi ; faites tout ! Je vous aime comme un frère,
je vous aimerai comme un père.
Je vous serre la main
Votre pauvre
ARTHUR RIMBAUD
à Mazas.
(et si
vous parvenez à me libérer, vous m'emmènerez à Douai avec [vous].)
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Lettre
de protestation,
20 septembre 1870
Autographe.
Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville.
Ce projet
de pétition qui, si l'on en croit Jean-Jacques Lefrère (Arthur
Rimbaud, Fayard, p.167-168), n'a pas été diffusé, a été rédigé
par Rimbaud à l'issue d'une réunion de la Garde nationale de Douai.
Il aurait été ensuite soumis à Izambard qui aurait décidé de ne pas
l'exploiter pour une raison que l'on ignore, mais l'aurait conservé
dans ses archives rimbaldiennes. Selon Lefrère, le signataire
virtuel "F.Petit" serait sans doute un garde national ; selon Louis
Forestier, un pseudonyme habituellement employé par Izambard
lui-même dans son journal Le Libéral du Nord (LF, 523).
Publiée dans Le Libéral du Nord le 25 septembre 1870
selon d'autres sources !!
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LETTRE DE PROTESTATION
Douai, 20 septembre 1870.
Nous soussignés, membres de la Légion
de la Garde nationale sédentaire de Douai, protestons contre la lettre
de monsieur Maurice, maire de Douai, portée à l'ordre du jour du 18
septembre 1870.
Pour répondre aux nombreuses réclamations des gardes nationaux non
armés, Monsieur le Maire nous renvoie aux consignes données par le
ministre de la Guerre ; dans cette lettre insinuante, il semble accuser
de mauvaise volonté ou d'imprévoyance le ministre de la Guerre et celui
de l'Intérieur. Sans nous ériger en défenseurs d'une cause gagnée, nous
avons le droit de remarquer que l'insuffisance des armes en ce moment
doit être imputée seulement à l'imprévoyance et à la mauvaise volonté du
gouvernement déchu, dont nous subissons encore les conséquences.
Nous devons tous comprendre les motifs qui déterminent le
Gouvernement de la Défense nationale à réserver les armes qui lui
restent encore aux soldats de l'armée active, ainsi qu'aux gardes
mobiles : ceux-là, évidemment, doivent être armés avant nous par le
Gouvernement. Est-ce à dire que l'on ne pourra pas donner des armes aux
trois-quarts des gardes nationaux, pourtant bien décidés à se défendre
en cas d'attaque ? Non pas : ils ne veulent pas rester inutiles : il
faut à tout prix qu'on leur trouve des armes. C'est aux Conseils
municipaux, élus par eux, qu'il appartient de leur en procurer. Le
maire, en pareil cas, doit prendre l'initiative et, comme on l'a fait
déjà dans mainte commune de France, il doit spontanément mettre en œuvre
tous les moyens dont il dispose, pour l'achat et la distribution les
armes dans sa commune.
Nous aurons à voter dimanche prochain pour les élections
municipales, et nous ne voulons accorder nos voix qu'à ceux qui, dans
leurs paroles et dans leurs actes, se seront montrés dévoués à nos
intérêts. Or, selon nous, la lettre du maire de Douai, lue publiquement,
dimanche dernier, après la revue, tendait, volontairement ou non, à
jeter le discrédit sur le Gouvernement de la Défense nationale, à semer
le découragement dans nos rangs, comme s'il ne restait plus rien à faire
à l'initiative municipale : c'est pourquoi nous avons cru devoir
protester contre les intentions apparentes de cette lettre.
F. Petit.
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Lettre
à
Georges Izambard
2 novembre 1870
Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville
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Charleville, le 2 novembre 1870.
Monsieur,
— A
vous seul ceci.—
Je suis rentré à Charleville un jour
après vous avoir quitté. Ma Mère m'a reçu, et je suis là... tout à fait
oisif. Ma mère ne me mettrait en pension qu'en janvier 71.
Eh bien ! j'ai tenu ma promesse.
Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans
la grisaille. Que voulez-vous, je m'entête affreusement à adorer la
liberté libre, et... un tas de choses que "ça fait pitié", n'est-ce pas
? Je devais repartir aujourd'hui même ; je le pouvais : j'étais vêtu de
neuf, j'aurais vendu ma montre, et vive la liberté ! — Donc je suis
resté ! je suis resté ! — et je voudrai repartir encore bien des fois. —
Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches, et sortons. —
Mais je resterai, je resterai. Je n'ai pas promis cela ! Mais je le
ferai pour mériter votre affection : vous me l'avez dit. Je la
mériterai.
Le reconnaissance que je vous ai, je ne saurais pas vous l'exprimer
aujourd'hui plus que l'autre jour. Je vous la prouverai. Il s'agirait de
faire quelque chose pour vous, que je mourrais pour le faire, — je vous
en donne ma parole.— J'ai encore un tas de choses à dire...
Ce
"sans-cœur" de
A. RIMBAUD.
Guerre : — pas de siège de Mézières. Pour quand ? On n'en parle pas.
J'ai fait votre commission à M. Deverrière, et, s'il faut faire plus, je
le ferai. — Par-ci, par là, des francs-tirades. — Abominable prurigo
d'idiotisme, tel est l'esprit de la population. On en entend de belles,
allez. C'est dissolvant.
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