DEUX AUTOGRAPHES ALTERNATIFS DE POÈMES DU DOSSIER VERLAINE
(1871-début 1872)
Pour
certains poèmes du dossier Verlaine — concrètement : Voyelles
et Oraison du soir —
les éditeurs considèrent plus
fiables des autographes rimbaldiens postérieurs qui nous
sont parvenus.
"Les variantes des manuscrits autographes de Voyelles
et d'Oraison du soir semblent prouver que ce sont des
textes postérieurs" (SM-IV, 89). Le manuscrit autographe de
Voyelles a appartenu
à Émile Blémont. C'est, d'après Steve Murphy, à partir de cet autographe
que Verlaine a édité le poème dans Les Poètes maudits (SM-I,
p.582-583). Rimbaud a connu Blémont dès son arrivée à Paris, à
l'occasion des réunions des Vilains Bonshommes. Blémont est le
barbu roux, posant dans une attitude napoléonienne, qui
occupe le centre du
Coin de table
de Fantin-Latour.
Ce jeune poète qui bénéficiait d'une fortune personnelle était sur le
point de lancer, en ce printemps 1872, une nouvelle revue : La
Renaissance littéraire et artistique. "On peut se demander, écrit
Steve Murphy, si Rimbaud n'a pas confié à Blémont un manuscrit
[de Voyelles] pour qu'il le publie dans la Renaissance littéraire et
artistique, où allait paraître le poème moins étonnant Les Corbeaux,
peut-être parce que Voyelles paraissait à Blémont trop étrange
pour être publié dans sa revue hugolâtre (Les Corbeaux est en
revanche un poème à résonnances hugoliennes), ce qui pourrait
éventuellement expliquer les sarcasmes déversés sur la revue dans la
lettre de "jumphe 72"." (SM-I p.587).
On sait par une lettre du 4 octobre 1871 à Émile Blémont que
Léon Valade, poète et collègue de Verlaine à la mairie de Paris,
fut fortement impressionné par Rimbaud lors de son introduction dans la
confrérie des "Affreux Bonshommes" (sic), le 30 septembre 1871 ("c'est un
génie qui se lève"). Barbu aussi mais brun, Valade est assis entre Blémont
et Rimbaud dans le tableau de Fantin-Latour. On ignore dans quelles
circonstances l'auteur d'Oraison du soir fut amené à adresser
son poème à Valade.
C'est à travers celui-ci, en tout cas, que l'autographe de référence est parvenu jusqu'à nous.
Léon Valade
avait ses racines à Bordeaux, ce qui explique la localisation de ce
manuscrit à la Bibliothèque municipale de cette
ville. |
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Voyelles
Oraison du soir |
Autographe.
Musée
Rimbaud de Charleville-Mézières.
Non daté.
Il existe deux versions
manuscrites,
non datées, de ce texte :
- la première en date, sans doute, de ces deux versions,
intitulée Les Voyelles, est
celle du "dossier
Verlaine de 1871-début 1872"
Voir ce texte : Les Voyelles >
Dossier Verlaine
(1871-début 72)
- la seconde (ci-contre), très probablement postérieure, a appartenu à Émile
Blémont.
Les éditeurs choisissent la
version autographe (ci-contre) plutôt que la copie faite par
Verlaine.
Principales variantes de la copie
Verlaine par rapport au texte de l'autographe :
Titre : "Les Voyelles" (au lieu de
"Voyelles")
v.1 : "," entre la lettre et l'adjectif de couleur,
";" entre les différentes couleurs
v.2 : "." (au lieu de ":" après
"latentes")
v.5 : "frissons" ("candeurs")
v.6 : "glaçons" ("glaciers") ;
"rais"
("rois")
v.7 : "pourpre" ("pourpres")
v.9 : " ; " (" , ")
v.11 : "Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts
studieux"
v.12 : "de strideurs" ("des strideurs")
v.13 : "..." (":")
v.14 : "O" ("Ô") ; "ses" ("Ses") ;
"yeux" ("Yeux").
Les Poètes maudits (Lutèce, n°88,
5-12 oct.
1883, Vanier 1884, Vanier 1888) donne pour ce poème le texte de
l'autographe à quelques
variantes près :
Variantes des Poètes
maudits (Lutèce, 1883) par rapport au texte de l'autographe :
v.1 : O bleu : voyelles, > O bleu, voyelles,
v.2 : vos naissances latentes : > vos naissances latentes.
v.5 : E, candeurs > E candeur
v.8 : lèvres belles > lèvres belles,
v.14 : — Ô l'Oméga > — O l'Oméga
Commentaire
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Voyelles
A noir, E blanc, I
rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges :
— Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
A.Rimbaud
Musée Rimbaud de Charleville-Mézières
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Autographe.
Bibliothèque municipale de Bordeaux.
Non daté.
Il existe deux versions
de ce texte :
- la première en date de ces deux versions est sans doute
l'allographe du Dossier Verlaine.
- la seconde (ci-contre), postérieure, a appartenu à Léon
Valade. Les éditeurs
choisissent cet autographe plutôt que le texte antérieur
fourni par le dossier Verlaine.
Variantes de la copie Verlaine par rapport à l'autographe :
v.1 : "un Ange"
v.4 : "sous les cieux gros d'impalpables voilures"
v.7 : "mon cœur tendre" (justifie la comparaison avec
l'aubier).
v.9 : "Et quand" (au lieu de "Puis, quand").
Les Poètes maudits de 1884 donnent le texte de
l'autographe à quelques variantes près (de ponctuation et de
majuscules).
Commentaire
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Oraison du soir
Je vis assis, tel
qu'un ange aux mains d'un barbier, Empoignant une chope à fortes cannelures, L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures.
Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier, Mille Rêves en moi font de douces brûlures : Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier Qu'ensanglante l'or jeune et sombre des coulures.
Puis, quand j'ai ravalé mes rêves avec soin, Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, Et me recueille, pour lâcher l'âcre besoin :
Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin, Avec l'assentiment des grands héliotropes.
A. Rimbaud
Source :
exposition "Itinérances"
Bibliothèque municipale de Bordeaux
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