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Mémoire / Bibliographie commentée
Cette liste répertorie de la
façon la plus exhaustive possible les articles dédiés à l'étude du
poème en y ajoutant quelques références utiles
(catalogues de vente, éditions, essais sur l'auteur). Les publications sont
classées par ordre chronologique. Tout n'a pu encore être commenté
(ni même lu, parfois) dans ce long inventaire. On essayera de
compléter au fil du temps.
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"Vers inédits de Rimbaud", L'Ermitage, 19 septembre 1892.
Consultable en ligne sur Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15559d/f141.image
|
Première
divulgation du texte de Mémoire, malheureusement réduit à
ses quatre dernières strophes, dans une petite revue symboliste.
Il s’agissait,
explique Steve Murphy (2004 : 68), d’une publicité " destinée à
piquer la curiosité du lecteur ", en prélude à l’édition des
Poésies complètes par Vanier.
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Arthur Rimbaud,
Poésies complètes, Vanier, 1895, p. 113-115.
Consultable en ligne sur Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70283g/f135.tableDesMatieres |
Première publication intégrale du poème sous le titre que nous
lui connaissons.
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Paterne Berrichon,
"Rimbaud en
1870-1871 (notes inédites). Mercure de France, 1er
novembre 1910, p.5-27.
Consultable en ligne sur Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k201665g (p.9 et
suivantes pour
Mémoire).
Cet article sera repris avec des modifications dans :
Jean-Arthur Rimbaud, Le Poète
(1854-1873), Mercure de France, 1912.
Réédité par Pierre Brunel chez Klincksieck,
Collection Cadratin, en 2004.
Consultable en ligne sur Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282062p
(p. 66 et suivantes pour Mémoire). |
Analyse
de Mémoire insérée par Berrichon dans un article à
caractère biographique du Mercure de France. Selon lui,
toute la scène évoquée dans la section 3 du poème représenterait
la façon dont Arthur, le 3 septembre 1870, faussa compagnie aux
siens pour rejoindre Paris pendant que la famille se trouvait en
promenade " dans la prairie qui séparait alors Mézières de
Charleville. Il serait, lui, Arthur, ce soleil disparaissant
au-delà de la montagne et condamnant la Mother aux affres de
l’abandon. Mise à part cette interprétation contestable,
la paraphrase explicative procurée par Berrichon est
pertinente à bien des égards. Plusieurs gloses que l’on trouvera
bientôt véhiculées par les travaux des critiques sont déjà là.
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Georges Izambard,
"Arthur Rimbaud Rhétoricien", Mercure de France, 16 décembre
1910, p.644-651.
Consultable en ligne sur Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105596g/f68.image
(p.649-650 pour Mémoire). |
Furieux d’être présenté dans le précédent article comme un des
corrupteurs du jeune prodige de Charleville, Georges Izambard
fait paraître dès le mois suivant, dans la même revue, une
réplique musclée
où il fustige,
entre autres, le caractère "arbitraire" de la glose
biographique de
Mémoire
avancée
par Berrichon et ses prétentions à traduire le texte en langage
clair. Appelant à la rescousse "l’ami Rimbaud", il lui fait
dire : "Si j’avais cru mes vues de "voyant" susceptibles
d’être traduites en mots concrets, je les aurais bien
traduites moi-même, sans le secours d’un … alter ego."
(649).
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Ernest Delahaye,
Les Illuminations et Une
saison en enfer de Rimbaud, Messein, 1927, p.40-45. |
Ernest Delahaye
considère Mémoire comme un catalogue de souvenirs sans
autre rapport les uns avec les autres que la présence de l'eau.
Au nom de cette théorie très contestable, il trouve certes
"très vraisemblable" la glose proposée par Berrichon pour la
section 3 mais "pas acceptable" de faire de Madame Rimbaud" le personnage dominant, l'objet principal "du poème dans son
entier. Dans la section 4 par exemple, le pronom "elle" ne
saurait représenter d'aucune manière celle que la troisième
appelle "Madame". Et, comme à son habitude, l'ami de Rimbaud
se propose d'expliquer ce passage ("Qu'elle pleure à présent
sous les remparts ...") par l'un de ses souvenirs de
compagnonnage avec le poète. J'en emprunte le résumé à Suzanne
Bernard (1960 : 446-448) "D'après Delahaye, une des baraques
d'ouvriers restées sur les chantiers [où l'on tamisait le sable,
à Mézières] était habitée par une folle surnommée "la reine des
remparts", qui lançait des injures, puis fondait en pleurs."
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Marcel Coulon,
La vie de Rimbaud et de son œuvre, Mercure de France, 1929,
p.85-88, p.198. |
Il s'agit de l'ouvrage où, pour la première fois,
est avancée l’hypothèse à laquelle on s'est le plus souvent
rallié depuis lors. Ce serait le capitaine Rimbaud, père du
poète, qui serait personnifié par le soleil, dans la troisième
partie du texte : "Au lieu de la fuite d'Arthur [thèse de
Berrichon], c'est la fuite du père d'Arthur que Mémoire
évoque. Nous avons ici la scène de rupture entre Frédéric et
Vitalie [...]. Et le départ consommé, l'épouse ressemblera à la
Meuse qui court froide et noire." (86-87).
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Étiemble et Yassu Gauclère,
Rimbaud,
Gallimard, 1936, p.175-178
(190-195 dans la réédition Gallimard 1950). |
Étiemble et Yassu
Gauclère peuvent être considérés (avec Delahaye) comme les
initiateurs
d'un
type de critique "phénoménologique" qui envisage avant tout
Mémoire comme le fruit d'une expérience perceptive.
Ils distinguent dans le texte "deux séries d'images" : "la
première série comporte des images coordonnées qui tendent à
personnifier la rivière", "la seconde série, au contraire,
n'offre aucune unité : ce ne sont que comparaisons suggérées par
les détails du paysage ; le poète se laisse guider par des
associations de toute nature ; à tout instant, il se détourne du
sujet" (175-178).
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Suzanne Bernard,
Rimbaud, Œuvres, Classiques Garnier, 1960, p.446-448. |
Yves Bonnefoy,
Rimbaud par lui-même, Seuil, 1961, p.72-74. |
Le
célèbre essai d'Yves Bonnefoy constitue la première
manifestation d'une approche psychanalytique du poème :
""Elle", c'est la Meuse [...]. Mais c'est aussi Madame Rimbaud
"l'Épouse", celle qui s'est séparée, par névrose et orgueil, du
courant originel de la vie [...] elle est celle qui a choisi la
malédiction et la mort. Et en les choisissant, elle y a retenu
son fils [...]. Il est bien, lui, Rimbaud, ce "canot toujours
fixe" ancré par le malheur de la mère dans la boue inconnue de
l'inconscient névrosé." (72-74).
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W.M. Frohock,
Rimbaud,s Poetic Practice, Image and theme in the major poems,
Harvard University Press, 1963,
p.144-152. |
Les deux premières
sections de Mémoire, dit l’auteur, décrivent un moment de
grâce. On y repère cette érotisation de la nature, ces images
d’or et de lumière qui sont généralement chez Rimbaud les
symboles du bonheur parfait. Mais, à partir de la section 3,
« avec l’intrusion de la Femme Noire se superposant à l’image de
la femme de l’eau […] l’image du bonheur cède la place à l’image
du malheur » (148). Après avoir exprimé sa méfiance à l’égard
des hypothèses interprétatives fondées sur la biographie,
Frohock résume ainsi sa méthode : « Quand le poème est lu comme
un exemple du fonctionnement ("behavior") de l’imagination chez
Rimbaud, au contraire, nous reprenons pied sur un sol plus
ferme : le schéma ("pattern") est totalement familier.
Débarrassé du détail concret ou local, il revient à ceci : après
un moment de confusion, l’imagination se fixe sur une image qui
correspond à un état d’euphorie, peut-être même en est la
cause ; cette image est ensuite évincée par une autre qui la
nie ; l’euphorie se dissipe donc et, pas plus que l’image à
laquelle elle est liée, ne peut être recouvrée ; en conséquence
de quoi le locuteur se retrouve dans un état de frustration et
de faiblesse. Nous avons affaire à une nouvelle version de
l’éternel échec de l’entreprise poétique ; le schéma de
Mémoire est presque identique au schéma du Bateau ivre,
cet autre poème sur la fugacité du bonheur. » (151). On mesure
l’écart d’une telle lecture par rapport à l’interprétation
traditionnelle : l’échec évoqué par le poème n’est plus celui
d’une union conjugale, cause de désillusion pour « l’Épouse » et
de marasme affectif chez le locuteur, mais l’échec du locuteur
lui-même en tant que poète. Car il s’est montré incapable de
retenir ou prolonger ces moments d’illumination des premiers
vers du texte, performance qui, pour un poète, constitue le but
même de son existence : « For the poet, the whole point of
living is to retain images like this. » (147).
|
Jacques Plessen,
Promenade et Poésie. L'expérience de la marche et du mouvement
dans l'œuvre de Rimbaud, Mouton, 1967, p.52-53, 122-123, 205,
235-236. |
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Ross Chambers, "Mémoire
de Rimbaud : Essai de lecture", Essays in French Litterature
5, 1968, p.22-37. |
Premier
de la vingtaine d'articles exclusivement consacrés à l'exégèse
de Mémoire dans la seconde moitié du XXe
siècle. Selon l'auteur, Mémoire nous ferait assister à la
séparation grandissante entre le poète et "l'éblouissement
fulgurant" qui constitue la "vision" initiale du poème.
Celle-ci était caractérisée par l'unité des éléments :
"interpénétration" de la terre (de l'herbe) et de l'eau, de
l'eau et du soleil (dont on sait qu'ils sont pour Rimbaud
l'expérience même de l'éternité retrouvée). Ces éléments d'abord
réunis se combattent bientôt, se jalousent, se fuient,
démontrant au "voyant" son impuissance à endiguer "le reflux
de la vision", à retenir même son souvenir. La "fleur bleue"
qu'à la dernière strophe le poète s'avoue incapable de saisir
symboliserait "l'inconnu". Cette fable mélancolique sur les
limites des pouvoirs du poète se doublerait d'une méditation sur
le tragique de la créature humaine soumise au temps :
"[...] Mémoire, avec sa rivière
d'impressions changeantes, est le poème de la dérive et de
l'écoulement [...] La conclusion s'impose : la prison "sans
bords" d'où le poète ne peut échapper est celle de la
temporalité, d'un temps éprouvé comme un écoulement sans fin."
(27).
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John Lapp,
"Mémoire
: art
et hallucination chez Rimbaud", Cahiers de
l'Association internationale des études françaises, p.163-175,
1971.
Consultable en ligne sur le site Persée :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1971_num_23_1_980 |
L'auteur décèle et analyse dans Mémoire
"l'effort conscient du poète pour reproduire dans ce poème
l'activité de la mémoire au moment de l'hallucination" (165), telle que Rimbaud a pu la trouver décrite dans la
littérature de son temps (chez Baudelaire, par exemple) ou
l'expérimenter par lui-même.
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Nathaniel Wing, "Metaphor
and Ambiguity in Rimbaud's Mémoire", Romanic Review
63, 1972, p.190-210. |
Selon Nathaniel Wing, le travail de Rimbaud dans
Mémoire se caractérise par la recherche constante de
l'énoncé ambigu. Ainsi, devant le vers 2 ("l'assaut au soleil
des blancheurs des corps de femmes"), on peut envisager une
double lecture : contre le soleil / sous le soleil.
"L'ambiguïté, à cet endroit et dans tout le poème, explique Wing, génère deux effets principaux : elle suggère la
simultanéité de multiples images (dans les limites de la
structure sémantique de la séquence ; elle accentue aussi le
suspense en focalisant l'attention du lecteur sur les éléments
qui, dans la suite du texte, pourraient réduire ou redéfinir la
polyvalence sémantique." (193). C'est donc en relevant
au fil du texte, de façon méticuleuse et pénétrante, toutes les
sources d'ambiguïté accumulées par Rimbaud, que l'auteur
parcourt le poème.
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Suzanne Briet,
"La Signification de Mémoire,
poème crucial de Rimbaud", Avant
siècle n°12, Études
Rimbaldiennes n° 3, pages 35-41, 1972. |
"Mémoire
est, pour Suzanne Briet, le poème de l'interrogation en face de
l'amour humain" (41). Plus précisément Rimbaud
délibèrerait dans Mémoire sur l'attitude à adopter face
au mariage : "Le poète considère les choses de la vie avec
lucidité mais il est partagé. Rejettera-t-il le mariage, qui
l'importune, ou s'attachera-t-il à l'image de l'inaccessible
amie ?" (ibid. 38). Cette dernière expression, nous
apprend l'auteur(e) en note, pourrait faire référence à une jeune fille
de Charleville, qu'aux dires de Delahaye Rimbaud aurait
fréquentée, et dont le souvenir le hanterait : "La fleur jaune
(section II), ajoute-t-elle, représente la foi conjugale ou le
mariage (section V) ; la fleur bleue est l'image de l'amie
enlevée à l'amour du poète (section V)." (38-39).
|
Jean-Pierre Giusto,
"Explication de Mémoire",
Avant siècle n°12, Études Rimbaldiennes n° 3,
pages 43-52, 1972. |
Rimbaud commencerait par s'abandonner à la
pente de la rêverie (une "rêverie non contrôlée", "remémoration
spontanée" d'un "souvenir d'eau de son enfance") pour aboutir, à
partir de la troisième strophe, à un discours plus construit
dégageant la signification symbolique des impressions
précédemment ressenties. "À
partir de la troisième section, "le retour du "comme" en
sixième strophe et le jeu sur "Lui", "Elle" et "l'homme"
témoignent d'une élaboration plus manifeste : on ne peut plus
parler d'associations immédiates ou d'animation spontanée.
Rimbaud met maintenant la rivière en avant pour masquer sa mère"
(51). En somme, Giusto reprend, en le développant, le
cadre d'analyse jadis mis en place par
Étiemble et
Gauclère.
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Antoine Adam, Rimbaud, Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p.944-946. |
Alain de Mijolla,
"La désertion du Capitaine Rimbaud. Enquête sur un fantasme
d'identification inconscient d'Arthur Rimbaud", Revue française
de psychanalyse, mai-juin 1975 (Vol. 39 N°3), p.427-458.
Consultable sur Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5446329f.image.f61.langFR
Repris et augmenté dans
Les
Visiteurs du moi,
Les Belles Lettres,
Paris, 1981
(chapitre intitulé : " L’ombre du capitaine Rimbaud "). |
Il ne s'agit pas
d'un commentaire de Mémoire mais d'un essai
psychanalytique sur le cas Rimbaud s'appuyant partiellement sur
le poème. Tout s'origine dans la désertion du père. "Madame
règne seule désormais sur la ferme paternelle et sur ses enfants
si bien élevés. C’est le clan, l’union dans un rapproché qu’il
faudra pourtant briser un jour, sous peine de mourir étouffé par
un tel carcan d’exaltation et de répression libidinale. Mais
comment la quitter, cette mère, rigidifiée dans sa tendresse
interdite et sa fierté autoritaire, dont le fils trop précoce et
trop doué ne peut se sentir que le prolongement narcissique ?
Quel que soit le sexe de l’enfant englué dans une symbiose
mortifère de cette intensité, une semblable rupture ne se
réalise jamais qu’en s’appuyant sur une image paternelle à
laquelle Rimbaud ne peut justement pas recourir. Il tentera
pourtant à plusieurs reprises de l’invoquer, mais en vain, avant
de se laisser envahir par les fantasmes d’identification qui la
représentent dans son inconscient." (56-57).
|
Atle Kittang, Discours et Jeu, Essai
d'analyse des textes d'Arthur Rimbaud, Universitetsforlaget,
Bergen & Presses universitaires de Grenoble, 1975, p.202-205. |
|
Alexandre Amprimoz,
"Mémoire (...) - À quelle boue ?", La
Revue des lettres modernes, série Arthur Rimbaud n°3, pages
71-80, 1976. |
L’image du "vieux,
dragueur", nous dit l’auteur, symbolise le "crépuscule des
forces humaines" (78) et le poème dans son ensemble
illustre "le travail destructeur du temps en s'appuyant
sur deux exemples [...] : la destruction de la beauté féminine
sous l'effet des ans [...]" et "la mort de l'inspiration du
poète" (79).
|
Jean Gillibert,
"L'eau
de la mémoire", Le
Nouveau Commerce, n°39-40, p.77-96, 1978. |
Le
psychanalyste, homme de lettres et de théâtre, Jean Gillibert
introduit la notion de "catharsis" (81). Le poète ne chercherait
ni à reconstituer son histoire ("rien de plus éloigné de
l'anamnèse, de la réminiscence platonicienne ou
psychanalytique", ibid.81-82) ni à démontrer, ni à régler
quelque compte, mais à débarrasser sa mémoire d'une "affre
épouvantable" (82), d'une hantise. Comme les autres exégètes
psychanalytiques du poème, il souligne le caractère fusionnel de
la relation mère-fils reflétée par le poème : ""Mon canot" qui
est Rimbaud, le poète, est toujours fixe [...] la chaîne qui
amarre [arrime] le canot est comme un cordon ombilical non
encore sectionné." (81).
|
Henri Meschonnic,
"Le travail du langage dans Mémoire de Rimbaud", Langages,
n°31, 1973, p.103-111 (repris dans Critique du rythme,
p.341-350, Verdier, 1982).
Consultable
en ligne sur le site Persée :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726x_1973_num_8_31_2239 |
Henry Meschonnic
étudie les caractéristiques formelles du poème dans leur
historicité. Par l'observation des "moyens d'ensemble du métaphorisme", des effets auditifs et des effets rythmiques, il
montre comment Rimbaud s'inscrit dans une écriture d'époque tout
en travaillant à creuser sa différence et en annonçant, bien
souvent, la pratique poétique du lendemain : "C'est pour sa
situation de rupture avec les codes culturels de l’art du vers
de son temps, qu'on essaie ici l'analyse de ce poème." (103).
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Jacques Roubaud, La Vieillesse d'Alexandre, Maspéro, 1978. |
Le premier chapitre de cet essai étudie Qu'est-ce pour nous mon cœur... et,
plus généralement, les attaques portées à la norme métrique dans
les poèmes rimbaldiens de 1872. Jacques Roubaud (qui, lui-même,
en tant que poète, pratique volontiers une sorte d'alexandrin
libre) y salue dans
Mémoire l'exploration d'une solution possible pour sauver
l'alexandrin tout en le révolutionnant : « Le point ultime
de cette critique de la prosodie dans la prosodie en conservant
la référence explicite au nombre et à la rime est […] le poème
intitulé Mémoire, cinq fois huit alexandrins en
quatrains, où toutes les démolitions métriques mises à l'épreuve
pour la rage dans Qu'est-ce pour nous… sont utilisées
pour l'alexandrin, pour un autre alexandrin […]. » (rééd.
Ivrea, 2000, p.33).
|
Benoît de
Cornulier, Théorie du vers, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé,
Seuil, 1982. |
Selon la théorie de Cornulier, tout vers supérieur à huit
syllabes doit obligatoirement être césuré (huit étant le seuil
psychologique au-delà duquel nous sommes incapables de percevoir
une régularité rythmique). Des 12-syllabes non césurés, s’ils
cessent d’être ressentis comme exceptionnels dans un puissant
cadre métrique maintenu, ne sauraient donc être considérés comme
des alexandrins, ni même comme des vers puisque la régularité
rythmique y est imperceptible, et le maintien de la référence au
nombre 12 doit y être dénoncé comme un leurre. D'où
le titre de « Rimbaud faussaire » sous lequel Benoît de Cornulier
commente, ici, les poèmes de 1872. Il arrive à la conclusion
que les atteintes à la norme métrique sont telles dans les
alexandrins de Qu'est-ce pour nous mon cœur..., et même
(quoique à un degré moindre) de Mémoire, qu'on ne peut
parler à leur égard que de vers faux : "Dans Mémoire et
surtout, proportionnellement, dans Qu'est-ce..., un
certain nombre de vers donnent l'impression d'être faux, donc en
un certain sens sont faux." (1982 : 255). On ne
saurait y célébrer l'invention
d'un "autre alexandrin" : "Ainsi, le
12-syllabe sans mesure interne des derniers vers est à
ranger parmi les 10 et 11 syllabes de la même époque dont le
nombre et la mesure sont — pour employer un mot de Morier — une
"supercherie". Replacé dans ce contexte, il apparaît non comme
un "autre mètre" ou un "autre alexandrin" (Roubaud, 1975,
p.88-90 ; 1978, p.32), mais comme un vers pseudo-métrique,
non-mètre n'ayant aucun rapport métrique réel avec les 6-6 ou
4-4-4 auxquels il est mélangé." (260).
|
Jean-Luc
Steinmetz, "Exercices de Mémoire",
Lectures de Rimbaud, pages
47-60, Revue de l'Université de Bruxelles, 1982, 1-2.
(repris dans Le Champ d'écoute, pages 107-126, 1985). |
Comme le poème l'indique dès le premier vers, nous dit l'auteur,
c'est l'enfance qui est "ressourcée par cette Mémoire",
l'enfance comme "première expérience du deuil" et
"inscription d'un manque". Deuil et manque dont le poème semble
chargé de reconstituer, de constituer plus probablement "dans et
par l'écriture", l'origine fantasmatique (la scène primitive) :
"Une femme ("Madame" ou "Elle"), "froide et noire", "court après
le départ de l'homme"." Le symbole final des deux fleurs n'est
pas facile à déchiffrer mais on perçoit bien, dit-il, l'idée
générale et la coloration affective qui s'en dégagent :
"empêchement", "censure", "une demande d'amour et l'incapacité
de la satisfaire" (59).
|
Pierre Brunel,
Arthur Rimbaud ou l'éclatant désastre, Champ Vallon, 1983. |
Pierre Brunel, en
général, n’est pas opposé à l’explication par la biographie mais
il la trouve insuffisante. Dans le chapitre biographique de son
Rimbaud de 2002, il écrit : « Nul poème n’exprime mieux
que Mémoire […] cette situation familiale. » (LP
Références, 2002 : 20). Dans la notice de son édition à La
Pochothèque, on peut lire : « Ce climat onirique permet un
retour vers l’enfance pour une double évocation : celle d’une
rivière qui perd progressivement sa pureté et sa lumière ; celle
d’une femme, abandonnée par "l’homme" et vouée à la tristesse.
La rivière, c’est la Meuse […]. La femme, c’est Madame Rimbaud.
L’explication psychanalytique tentée par Yves Bonnefoy n’est
donc pas fausse ; mais elle est inévitablement réductrice. »
(2009 : 838). Réductrice, qu’est-ce à dire ? Peut-être la
réponse se trouve-t-elle dans l’essai Rimbaud où l’éclatant
désastre où ce même Pierre Brunel va jusqu’à récuser la
lecture standard au profit d’une interprétation raccrochant le
poème à ce qu’il appelle le « modèle du départ rimbaldien » :
« L’allégorie paraît transparente, et justement elle l’est trop.
Elle n’est pas dans la manière poétique de Rimbaud […]. Si "le
départ de l’homme" qui est ici évoqué constitue bien un modèle
du départ rimbaldien, je n’irai pas le chercher dans le passé
familial ni dans la blessure que l’absence paternelle a pu
laisser dans l’inconscient de l’enfant. » (1983 :15). Celui qui
s’évade ici n’est « point le capitaine Rimbaud, dont
l’infidélité est bien banale, mais le Soleil », en conformité
avec un mythe personnel dont « Vagabonds, dans les
Illuminations, formulera en termes explicites le sens ».
Celui d’ « une "entreprise", dans laquelle Rimbaud s’est trouvé
un compagnon, un complice : aller de l’avant, errer pour
retrouver "l’état primitif de fils du soleil". Comme dans le
poème de 1872, le départ rimbaldien est le signal à la fois
d’une aventure et d’une remontée vers l’archè.» (16).
|
Marc Eigeldinger,
"Rimbaud et la transgression de la 'vieillerie poétique' :
ponctuation et rejets dans ses alexandrins", Revue d'Histoire
Littéraire de la France, janvier-février 1983, p.45-64 (61-62
pour Mémoire)
Consultable en ligne :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5656630w/f47.tableDesMatieres
|
|
Michael Riffaterre, "Hermeneutic Models",
Poetics Today 4, n°1, 1983. Repris dans Arthur Rimbaud,
dir. Harold Bloom, Modern critical views, Chelsea House Publishers,
1988, p.145-152. |
Cet article
consacre un développement substantiel (p.146-148) à
l'élucidation de la proposition : "où neigent les fils du
travail". Selon Riffaterre, pour élucider le sens du mot
"fils" brouillé par
l'alternative phonétique /fil/-/fis/, le lecteur est conduit à actualiser successivement deux
solutions complémentaires. D'abord guidé par la connotation de
couleur du
verbe "neigent", le lecteur contemporain de Rimbaud accède
spontanément à une image de tissu (de /fil/ tissé) blanchi sur
le pré, pratique courante à cette époque. Puis, l'apparition du
mot "travail" présente à l'esprit du lecteur ce cliché de la
"littérature bourgeoise de la Révolution industrielle pour
désigner le prolétariat" : "les fils (/fis/) du travail". Il
s'agirait donc ici de tisserands blanchissant des tissus sur
l'herbe ("weavers are bleaching cloth on the grass"). La
première compétence exigée par cette lecture est la connaissance
du "sociolecte", c'est-à-dire du contexte d'époque, la seconde
repose sur la mobilisation d'un "intertexte".
|
Michel Collot,
"Quelques versions de
la scène primitive", Circeto, 2,
p.15-26, 1984 (repris dans L'Horizon fabuleux, t.1,
p.162-166, Corti, 1988). |
Le début du poème,
explique Collot, peut être interprété comme une "version
optimiste de la scène primitive" ; l’ "ébat des anges" nous
fait "assister à l’apothéose fulgurante du coït parental"
(163). La troisième section met en scène la séparation "des
anges qui s’ébattaient ensemble dans la lumière […] scène
capitale de l’autobiographie mythique, où la nostalgie du Père
se noue au désir de l’horizon" (164). Pour être une fable,
précise l’auteur, cette reconstitution d’une histoire
personnelle "n’est pas sans rapport avec la vie réelle de
Rimbaud. […] elle emprunte ses éléments constitutifs
à la préhistoire rimbaldienne, et notamment à la configuration
œdipienne (inversée) qui la caractérise" (161).
|
Paule Lapeyre, "Le Polysémantisme
du lexique rimbaldien. Une lecture en relief de Mémoire",
Minute d'éveil - Rimbaud maintenant,
SEDES, pages 29-37, 1984. |
Paule Lapeyre remarque
que le poème superpose deux plans, celui du drame cosmique ("le
drame de l’eau et du soleil qui se séparent au crépuscule") et
celui du drame conjugal ("probablement celui du couple parental"). Elle décrit ainsi les
"trois procédés lexicaux [qui] permettent le passage d’un plan
de lecture à l’autre" : "Au fil du texte, il apparaît que
certains mots sont choisis pour leur pluralité de sens, d’autres
pour leur imprécision, due à une très grande extension de leur
sens. D’autres au contraire, par leur précision excessive, mais
impropre, semblent conduire le lecteur dans une impasse. Dans
tous les cas, il en résulte une équivoque sur le plan conceptuel
qui se traduit par un flou sensoriel des plus suggestifs." (31).
|
Alexandre L. Amprimoz,
"Mémoire
: la
Fête de l'oubli d'Arthur Rimbaud", Orbis litterarum,
40, p.111-124, 1985. |
Dans sa seconde
étude publiée sur le poème, Amprimoz change sensiblement son
système d’interprétation. Il s’agirait certes, toujours,
d’impuissance (du narrateur ou du poète), mais d’une impuissance
à se souvenir. Une impuissance qui se convertirait,
paradoxalement, en source d’inspiration, puisque Mémoire
célèbre, selon le titre choisi par l’auteur pour son article,
« la Fête de l’oubli ». Le premier ressenti du lecteur, explique
Amprimoz, est celui de la confusion, et « c’est l’oubli qui
engendre (au niveau de la reconstruction) la confusion » (1985 :
114). L’ « oubli » dont il est question ici découle à la fois
d’un refus et d’un échec. Refus de reproduire le genre
romantique de la remémoration des souvenirs (Musset, Lamartine,
Nerval, etc.), refus de préciser la nature exacte de tel cliché
de mémoire historique : « Il est clair que ne pas évoquer le nom
de Jeanne d’Arc constitue l’absence d’un geste qui voudrait
prouver ni plus ni moins qu’un manque de mémoire. Cependant le
lecteur ne peut accepter l’invraisemblance d’un tel oubli — qui
ne peut être lu, alors, que comme désir d’oubli. » (120). Échec,
d’autre part (« échec de la mémoire ») : « Les quatre premières
parties du poème illustrent, selon une gradation évidente,
l’amplification d’un effort de mémoire qui ne peut réussir. »
(118). On notera que cette évaluation, prétendue « évidente »,
du mouvement du texte contredit l’observation faite par
plusieurs commentateurs qu’un souvenir aux contours de plus en
plus précis (ou du moins une scène que le titre du poème invite
à considérer sans hésitation comme tel) émerge progressivement
du chaos des impressions visuelles. Amprimoz poursuit :
« L’actualisation actorielle du "je", qui se fait dès le premier
vers de la cinquième partie confirme ma lecture. Le conteur
abandonne son histoire devant l’impossibilité d’évoquer un
parcours narratif. » (1985 : 118). Bref, l’auteur n’est pas loin
de conclure à l’illisibilité du texte et s’étonne qu’une telle
évidence ait échappé à la tradition critique : « à ma
connaissance cette lecture "anti-signifiante" de Mémoire
n’a été jusqu’à ce jour même pas effleurée » (118).
|
James Lawler,
"'Jouet de cet
œil morne...' : Rimbaud's Mémoire",
Australian Journal of french studies, p.71-80, 1989
(repris dans Rimbaud's Theater of the Self, Harvard
University Press, 1992). |
James Lawler trouve réducteur le caractère
anecdotique de la doxa psycho-biographique : « Il ne nous
est pas donné une anecdote isolée ("souvenir") mais une somme de
remémorations qui résume dans sa totalité l’expérience passée de
l’amour, lucidement représentée ("mémoire"). » (65). Après un
début de poème où domine une image sensuelle de la féminité,
James Lawler voit dans « Madame » l’apparition de « l’image
contraire d’une toute autre féminité inscrite dans la mémoire —
manquant de tendresse, et de ce fait hostile à la nature et à
l’amour » (61). De même, à la strophe suivante, il ne s’agit pas
du capitaine Rimbaud abandonnant son épouse mais de la
« séparation de deux vrais amoureux, lui s’en allant pris par
ses obligations, elle courant après lui, désespérée » (62).
Autrement dit, Rimbaud n’évoquerait pas ici son expérience
privée mais la problématique générale de la division des sexes.
L’auteur n’explique pas très clairement ce qu’il appelle des
« obligations » mais si l’on entend par là les obligations
professionnelles, on en vient à prêter au texte une allusion aux
rôles différents impartis à la femme et à l’homme dans la
société (possible lecture socio-politique qu’on retrouvera, en
plus affirmé, dans le commentaire procuré en 2012 par Benoît de
Cornulier). Dans le mouvement final du poème, « fin ouverte
comme celle du Bateau ivre » (64), le narrateur fait face
aux interrogations majeures de l’existence humaine : « Le moi
peut-il se résigner à la perte ? A-t-il recapturé le temps par
l’action de raconter ? Doit-il considérer la mortalité de
l’amour comme un savoir nécessaire qui peut être accepté ? Il
n’y a pas de réponse facile.»
(63).
|
Michael Riffaterre,
"Sylleptic symbols :
Rimbaud's Mémoire", Ninetenth-Century
French Poetry, Introductions to Close Readings, Cambridge
University Press, p.178-198, 1990. |
Ce sont les
"stratégies d'écriture" utilisées par Rimbaud dans Mémoire
qui constituent la cible de l’article de Michael Riffaterre. Au
titre de ces stratégies l’auteur inclut la subversion
systématique des conventions poétiques (usage du vers régulier,
des figures du discours, d'un vocabulaire choisi), l'humour
verbal, l'allusion intertextuelle (au Coucher du soleil
romantique de Baudelaire, par exemple, dans les vers 21-24),
la circularité entre comparant et comparé.
Comme l'indique le titre de l'article, les syllepses jouent
d'après Riffaterre un rôle central dans la fabrication des
symboles qui concourent à la signification du poème.
|
Peter Collier,
"Lectures de Mémoire",
Parade Sauvage, Colloque n°2, Rimbaud
"à la loupe", pages 60-73, 1990. |
Hiroyuki Hirai,
"Un mémoire sur la
Mémoire de Rimbaud", Parade sauvage
n°8, p.91-99, 1991. |
Pour ce critique,
le sens ultime du poème réside dans l'expérience du spleen, dont
le paysage des bords de Meuse à Charleville, face à la maison de
Rimbaud, pouvait représenter pour le poète, en 1872, une sorte
de miroir : "Le vers 1 du deuxième quatrain reflète exactement
l’état d’âme du poète regardant et écoutant la Meuse qui fait
des gazouillements en coulant sous le Vieux Moulin ("sous les
remparts !") […] Cette interprétation m’a été inspirée et elle
est devenue indubitable quand moi-même je restais debout devant
la fenêtre de la maison Rimbaud ; je voyais en face la Meuse et
le Mont-Olympe et même le Vieux Moulin […] Le ton dominant de
son âme en face de ce tableau naturel n’a pu être que tristesse
et spleen, surtout au printemps 1872." (97-98).
|
Yasuaki Kawanabe, note sur Mémoire, dans Rimbaud
Œuvre-vie, édition du centenaire établie par Alain Borer et
alii, Arléa, 1991, p.1150.
|
Manami Imura, "Mémoire
du
regard", Rimbaud vivant, n° 32, p.59-67, 1992. |
Jean-Marie Gleize,
Arthur Rimbaud,
Hachette Supérieur, coll. Portraits littéraires,
1993, p.35-40 (repris sous le titre : "À
quelle boue ?" dans Lectures des Poésies et
d'Une saison en enfer,
Presses Universitaires de Rennes,
Collection "Didact Français", octobre 2009, p.155-159). |
Marie-Paule Berranger,
"Mémoire", 12 poèmes de Rimbaud analysés
et commentés, pages 143-165, Marabout, 1993. |
Steve Murphy,
"Autour du manuscrit
de Mémoire", Parade sauvage
n°11, p.67-83, décembre 1994. |
C’est dans cet article de 1994, grâce à une photographie prêtée
par le collectionneur Jacques Guérin, que Steve Murphy peut
offrir au public, pour la première fois, une reproduction du
manuscrit de Mémoire. L’analyse qu’il en procure à cette
occasion dans Parade sauvage sera précisée dans plusieurs
publications ultérieures. Dix ans plus tard, la découverte d’un
état antérieur du texte intitulé Famille maudite
permettra à Murphy d’approfondir sa réflexion sur la date de
composition du poème et sur divers problèmes rencontrés
par les éditeurs dans l’établissement de son texte (cf. les
tomes I et IV de l’édition des Œuvres complètes de
Rimbaud chez Champion, et le chapitre de Stratégies de
Rimbaud consacré au poème).
|
Claude Jeancolas,
Rimbaud. L'œuvre intégrale manuscrite, Textuel, 1996 (2004,
2012), t.1 p.176 (fac-similé) ; t.2 p.248 (transcription) ; t.3
p.308 (notice). |
Albert Henry, "Si l'on revenait à Mémoire",
Contributions à la lecture de Rimbaud,
pages 217-225, Académie royale de Belgique, 1998. |
Albert Henry se signale notamment par son opposition résolue à
la lecture standard de Mémoire : "Nombre de
commentateurs, perdant de vue le bouquet même des effets
poétiques, prétendent que "Madame trop debout", de la section 3,
est Madame Rimbaud [...]. Mais que viendrait faire la sévère
"Mère Rimbaud" — car c'est ainsi qu'on veut la faire comparaître
ici ("trop debout") — sinon briser tous les miroirs ?" (220).
Comme d'autres avant lui, il préfère voir dans Mémoire
une fable sur l'échec du poète voyant. Rimbaud y aurait voulu
peindre l'opposition de ses deux "Je" : le Je "dévoré de
lucidité", en proie au "tassement existentiel", de la section
5, et le "Je magicien" des premières sections. À la fin du
poème, la Lumière-Soleil ayant cessé d'animer métamorphoses et
féeries, la Rivière se retrouve seule, et le poète "finalement,
lui aussi, œil d'eau morne, victime désenivrée, abandonnée par
sa propre magie" (222).
|
Steve Murphy,
Rimbaud, Œuvres complètes, tome I : Poésies, Champion,
1999, p.825-837.
|
Yoshikazu Nakaji,
"Du "bleu"
à la "boue" : Rimbaud, poète d'anamnèse", Parade Sauvage n°16, pages 45-57, 2000. |
L'article apporte quelques
éclairages nouveaux dans le cadre de l'interprétation
psychanalytique désormais classique du poème. Par exemple,
notant l'abondance de la syntaxe exclamative dans la seconde
moitié du poème (les
points d’exclamation sont au nombre de dix-sept dans tout le
poème, dont quatorze se trouvent dans la seconde moitié), Nakaji
y voit le signe d'une identification à la "femme-eau" montrant
que le narrateur subit la contagion de celle qui s’est montrée
"incapable d’atteindre l’homme-soleil qui fuit" et qui a perdu
sa "part virile" de femme "trop debout". Ou encore, commentant
le symbole de la fleur bleue à la fin du poème, il nous invite à
y déceler
"un
avatar de ce "bleu" des yeux dont Rimbaud constatait, dans
Les Poètes de sept ans, qu’il était fatalement commun à sa
mère et à lui. Ce "bleu"-là, transparent, tant qu’il est un
"bleu regard" est susceptible de faire espérer un
éclaircissement — c’est pourquoi il était [dans Les Poètes de
sept ans, précédemment commenté dans l’article] l’instrument
de l’hypocrisie réciproque entre la mère et l’enfant —, est
désormais décomposé et déposé au fond de l’eau-œil
stagnante, comme de la lie de vin, comme du résidu noir et
pernicieux de l’être" (53-54).
|
Michel Murat, L'Art de Rimbaud,
José Corti, 2002, p.61-67. |
Dans son chapitre consacré au vers rimbaldien, Michel Murat
analyse celui de Mémoire (corrélativement avec celui de
Qu’est-ce pour nous mon cœur…) comme l’une des voies
explorées par Rimbaud pour en finir avec l’alexandrin, avant de
l’abandonner tout à fait dans Les Illuminations.
Qu’est-ce pour nous mon cœur…, selon lui, expérimente une
"déconstruction violente, rageuse, de l’alexandrin". Mémoire,
par contre, offre l’exemple d’un "vers à profil plat", proche de
la prose : "Ici, le vers, même si son originalité reste
étonnante, n’est pas en lutte avec lui-même. Poétiquement
viable, il ouvre une voie nouvelle en réorganisant sa relation
avec la rime et le discours poétique. Rimbaud incorpore en
quelque sorte au vers ce qui fait la beauté de la prose : une
esthétique de la continuité."
|
Tajan,
Catalogue de la vente du 25 mai 2004 :
http://www.tajan.com/pdf/2004/4435.pdf
|
Jean-Jacques Lefrère
et Steve Murphy,"Famille maudite,
poètes maudits", Histoires littéraires, n°19, p.29-58, 2004. |
Steve Murphy, "La poétique de la
mélancolie dans Mémoire", suivi de "Enquête
préliminaire sur Famille maudite", Stratégies de Rimbaud, Champion, 2004,
p. 261-420.
Réédité
dans la collection Champion Classiques (2009). |
Il s'agit d'une
véritable somme de plus de cent pages (cent cinquante neuf, si
on y ajoute l’annexe consacrée à Famille maudite). On ne
résume pas un tel travail en quelques lignes, mais on
peut tenter d'en dégager les principales options. J'en citerai
quatre : l’importance accordée
à l'étude des choix
de versification rattachés à leur fonction sémantique
(pas
moins de vingt-quatre pages) ; la recherche d’intertextes (Steve
Murphy consacre tout un chapitre (321-325) à argumenter l’un
d'entre eux : Le Cygne, de Baudelaire ; il s’appuie
beaucoup, me semble-t-il, sur un hypothétique intertexte de
Gautier : La Source) ;
l'attention
toute particulière prêtée aux passages les plus énigmatiques du
poème,
qui nous vaut plusieurs élucidations extrêmement
précieuses ; enfin, au plan
de l’interprétation d'ensemble, le souci d’une approche ouverte
(voir aussi, infra, son article de 2006 dans TDC).
|
Jean-Luc
Steinmetz, "Rimbaud lecteur de Poe ?", Rimbaud et les sauts
d'harmonie inouïs, Actes du Colloque international de Zürich des
24-26 février 2005, Eurédit 2007, p.277-295. |
Jean-Luc
Steinmetz envisage l'hypothèse d'influences poesques dans
certaines parties de l'œuvre de Rimbaud.
Le
double dispositif titulaire de la première version de Mémoire (d'Edgar
Poe / Famille maudite) incite fortement à inclure ce poème
dans l'enquête. Il est pourtant improbable, estime Jean-Luc
Steinmetz, que l'on parvienne à établir quelque lien de parenté
entre Mémoire et les contes d’Edgar Poe sur le plan du
thème et de l'intrigue : « […] s’il est plusieurs familles touchées
par la fatalité chez Poe, aucune à dire vrai, ne contient des
êtres analogues à ceux dont Rimbaud esquisse la présence. Point
de fillettes (alors que Rimbaud désigne peut-être là ses sœurs),
ni d’image particulière de la mère, puisque, comme l’on sait,
domine chez Poe un type de jeune femme aimée, précocement
emportée par la mort, et qui revient à la vie dans des
circonstances où domine l’épouvante. » (281).
On a donc moins de chance de trouver chez Edgar Poe un
intertexte précis qu’une sorte de référent esthétique. D'après
Steinmetz, celui de l’hallucination littéraire, telle que le
poète américain la met en scène chez les opiomanes et les
voyants de ses contes : « Famille maudite, écrit
Steinmetz, commence par une suite exceptionnelle d’associations
[…] et je croirais assez que ces associations correspondent à la
méthode implicite de quelques personnages de Poe » (2007 : 283).
Egaeus, par exemple, le narrateur du conte Bérénice,
« présente "une chronique de sensations plutôt que de faits" et
nous apprend qu’il appartient à une "race de visionnaires" »
(284). Steinmetz rappelle à ce propos qu’un brouillon d’Alchimie
du verbe montre que son auteur a eu l’intention de
reproduire Mémoire dans Une saison en enfer
(intention abandonnée par la suite à cause de la longueur du
poème, sans doute). Or, dans ce brouillon, la mention de
Mémoire est précédée de la phrase suivante : « Les
hallucinations étant plus vives, la terreur venait. Je faisais
des sommeils de plusieurs jours, et levé, continuais les rêves
les plus tristes, égaré partout. » Est-ce à dire que Rimbaud
percevait dans Mémoire l'illustration possible d'un
scénario de cet ordre ? C'est possible (non sans quelque
exagération, toutefois). En tout cas, c'est bien à une montée de
la terreur, au fil de perceptions déformées de l’espace et du
temps, mêlant aux reflets du réel les projections mentales d’un
narrateur perturbé, que nous assistons dans plus d’une histoire
d’Edgar Poe et notamment dans celle dont Egaeus est
l'extravagant chroniqueur.
Ce conte de Bérénice illustre aussi, d’après l'auteur, un
type d’activité mémorielle cheminant par tâtonnements au travers
de réminiscences vagues et brouillées, bien différent du modèle
nostalgique et cartésien qu’un poète français de l’époque de
Rimbaud pouvait trouver dans la tradition romantique des
« souvenirs ». C’est ainsi qu’Egaeus, s’efforçant de
reconstituer à la fin du conte l’acte horrible commis sur sa
cousine, explique : « C’était comme une page effrayante du
registre de mon existence, écrite tout entière avec des
souvenirs obscurs, hideux et inintelligibles. Je m’efforçai de
les déchiffrer, mais en vain. » (284-285).
|
Steve Murphy, "Un
poème inédit", TDC n°915, 1er mai 2006, p.18-19. |
Il s'agit d'un
résumé, dans le cadre d'une revue pédagogique, du dossier
consacré à Mémoire et à Famille maudite dans
Stratégies de Rimbaud.
Mémoire y est présenté
comme
une allégorie des
âges de la vie, ou encore une fable du désenchantement.
L'écoulement fluvial évoqué par le texte symboliserait
l’itinéraire du "sujet", des "sources de la vie" aux "marécages
de la vieillesse", des grandes espérances (de l’enfance) aux
désillusions de l’âge avancé.
|
Franc Ducros, "Mémoire",
dans Lectures poétiques, Champ social éditions, 2006,
p.117-131.
|
Seth Whidden,
"On Mémoire", chapitre consacré au poème dans Leaving Parnassus :
The Lyric Subject in Verlaine and Rimbaud, Rodopi, 2007, p.168-179.
Consultable en ligne :
http://www.scribd.com/doc/97486516/12/On-%E2%80%9CMemoire%E2%80%9D
|
D'après
Seth Whidden, l'expérience
du temps telle qu'elle est restituée dans Mémoire situe
le poète au centre d'une contradiction ou, du moins, d'une
"tension" entre la représentation linéaire qui est celle de la
chronologie et la simultanéité de la représentation mémorielle.
En conséquence de quoi l'auteur
décèle dans le poème deux modalités complémentaires de la lutte
avec le temps : "La juxtaposition, dans Mémoire, de temps
verbaux superposés implique pour le sujet lyrique de lourdes
conséquences, dans l’acte de la remémoration ; le passage du
temps impliquant, à la fin, la mort du sujet, ainsi que la
perte, à la fin, de ses souvenirs, le sujet, une fois de plus,
se trouve lui-même dans une lutte avec le temps, celui entre les
actes consistant à se souvenir et à oublier." (172).
|
Marc Dominicy,
"Mémoire, Le Capitaine Fracasse et Le Château du souvenir",
Parade sauvage, Hommage à Steve Murphy,
octobre 2008, p.514-524. |
Yann Frémy, « Te
voilà, c’est la force ». Essai sur Une saison en enfer de Rimbaud,
Classiques Garnier, 2009, p.141-142. |
Marc Dominicy, "Mémoire
et le latin", Rimbaud, Europe
n°966, octobre 2009, p.201-214. |
Marc Dominicy, "De
Famille maudite à Mémoire", Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer,
Presses Universitaires de Rennes,
Collection "Didact Français", octobre 2009, p.161-172. |
Benoît de Cornulier,
De la métrique à l’interprétation. Essais sur Rimbaud,
Classiques Garnier, Études rimbaldiennes, 2009,
p.304-315 et
359-378 (sur Qu'est-ce pour nous mon cœur et Mémoire).
|
Les pages 304-315 annoncent les
analyses qui seront développées par l'auteur dans son article
sur Mémoire de 2012 (voir ci-après). Malgré d'importantes
modifications nuançant ou affinant les arguments, les pages
359-378
valent réaffirmation de la thèse
défendue par l'auteur dans Théorie du vers (voir
ci-dessus).
|
Dominique Billy,
"Innovation et déconstruction dans l’alexandrin de Rimbaud", dans
Rimbaud. Des Poésies à la Saison, études réunies par
André Guyaux, Paris : Éditions Classiques Garnier, 2009, p.
119-182. |
"Analyse des
innovations et des spécificités de l’alexandrin de Rimbaud ;
approche nouvelle de Mémoire et de Qu’est-ce pour nous,
mon Cœur…” (présentation de l'article par l'auteur sur sa
page personnelle). Si
on compare les vers de Mémoire à ceux de 1870 et 1871,
explique Dominique Billy, on constate d’une part que Rimbaud y
reprend les types d’infraction déjà utilisés dans le passé, en
les compensant souvent, traditionnellement, par l’appui sur les
quatrième et/ou huitième positions ("seuls quatre des vers
déviants (le dixième de l’ensemble) n’utilisent pas les appuis
secondaires de quatrième et huitième position (v.12, 20, 24,
37)" p.157), mais en les multipliant et les diversifiant.
D’autre part, il s’autorise des transgressions nouvelles et plus
radicales : la césure enjambante ; l’utilisation de proclitiques
et de prépositions monosyllabiques en position 6 sans
compensation sur les positions 4 ou 8.
Dans
Qu’est-ce pour nous…, les infractions sont plus radicales
encore : sept vers sur vingt-quatre sont totalement
irréductibles à la norme métrique contre trois sur quarante
seulement dans Mémoire (cf.175-176).
En conclusion : "Rimbaud
n’a sans doute pas cherché à créer un dodécasyllabe unaire du
point de vue métrique, c’est-à-dire véritablement affranchi de
la césure comme il le réalisera avec l’hendécasyllabe : il
partait d’une norme bien établie, l’alexandrin, et son intention
était d’en tirer des effets nouveaux […]" (180).
|
André Guyaux,
Rimbaud, Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, 2009,
p.913-916. |
Ross
Chambers, "Rimbaud fluvial : Le Bateau ivre et Mémoire",
Rimbaud vivant n°48, juin 2009, p.7-19. |
L’écoulement
fluvial décrit dans le poème traduit, selon Ross Chambers, le
perpétuel en-marche du poète voyant, le Je
toujours en quête de son autre. Mais, comme on le voit
dans Le Bateau ivre et dans maint poème de Rimbaud, le
sujet constate bientôt la fatalité d’un ancrage. C’est "la
nappe". C’est "l’œil d’eau". "Cet œil d’eau, écrit Chambers,
rappelle la "flache" du Bateau ivre tandis que "sans
bords" semble renvoyer aux "nuits sans fond" du même poème, où
"dort et s’exile" le but rêvé mais hors d’atteinte" (15). Cet
horizon fuyant du désir, dans Mémoire (l’équivalent des
"oiseaux d’or" du Bateau ivre), c’est la fleur bleue du
v.36. Son contraire, l’enlisement identitaire, c’est "la jaune".
|
Benoît de Cornulier, "De l'analyse
métrique à l'interprétation de Mémoire comme élément d'un
diptyque de Rimbaud", Cahiers du Centre d'Études métriques
n° 6, 2012, p.57-99.
Consultable en ligne :
http://www.crisco.unicaen.fr/verlaine/ressources/CEM/Cahier_CEM_6.pdf
|
Une analyse des
parallélismes et des oppositions, tant rimiques
(rimes féminines vs masculines) que métriques
(traitements contrastés du "e" féminin), entre Mémoire et
Qu'est-ce pour nous mon cœur inspire à l'auteur
l'hypothèse que Rimbaud a conçu ces poèmes comme un véritable
diptyque formel. D'où une seconde hypothèse qui, elle,
touche à l'interprétation :
Mémoire,
poème féminin, ne peut pas ne pas évoquer la
Commune, comme son pendant héroïque et masculin.
L'auteur en trouve la confirmation dans les images des
vers 3-4 : ces "murs dont quelque pucelle eut la défense"
pourraient bien être ceux de Paris, jadis défendus par
Sainte-Geneviève, et les "oriflammes" fleurdelisées qui les
assaillent représenter le triple symbole de l'eau, de la femme,
et des troupes versaillaises : "Le premier quatrain de
Mémoire associe donc, comme en fantasme, à travers les
comparants de l'eau dont elle sera l'analogue (à partir de la
section II), la femme aux forces catholiques et
contre-révolutionnaires" (2012 : 73).
L’image donnée de "l’Épouse" dans la suite du texte, "son
immobilité, sa passivité, et le fait que ses intérêts se bornent
à l’espace de son foyer", incite à voir dans
Mémoire
"une évocation critique de la "femme au foyer domestique", objet
de débats vigoureux au XIXe siècle." (95).
|
Marc Dominicy, "Analyse
poétique et intertextualité : la genèse de Mémoire d’Arthur
Rimbaud", 2013 :
https://dipot.ulb.ac.be/dspace/bitstream/2013/143335/1/RIMBAUD.Approches.pdf
|
Alain Bardel,
"Pour
mémoire", Parade sauvage n° 24, Dossier sur Mémoire,
2013, p.15-75.
|
Benoît De Cornulier, "Aspects
du symbolisme dans Mémoire",
Parade sauvage
n° 24, Dossier sur Mémoire, 2013, p.77-146.
|
Marc Dominicy, "Que peut-on
dire de Mémoire ?",
Parade sauvage
n° 24, Dossier sur Mémoire, 2013, p. 147-200.
|
Philippe Rocher, "Formes et
mouvements de la lumière et du silence, Mémoire",
Parade
sauvage n° 24, Dossier sur Mémoire, 2013, p.201-242.
|
Yann Frémy, "Le suicidé de
Mémoire. Pour une herméneutique du détail chez Rimbaud",
Parade sauvage n°28, 2017, p.89-102.
|
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