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Mémoire / Le manuscrit

 

   Nous connaissons ce poème par deux versions différentes.
   L'une, intitulée Famille maudite, n'a été découverte que très récemment, en 2004. L'origine de ce manuscrit (un lot d'archives provenant de la famille de Mathilde, épouse Verlaine) laisse penser qu'il a été abandonné chez les Mauté, rue Nicolet, lors du départ de Verlaine et Rimbaud pour l'Angleterre, en juillet 1872. Cette hypothèse tend à confirmer la datation généralement conjecturée pour l'écriture du poème (dont aucun des manuscrits n'est daté) : le printemps 1872.
   L'autre manuscrit (reproduit ci-dessous) est celui qui a servi à la publication initiale du texte en 1895 (édition Vanier des Poésies complètes) et aux rares éditeurs postérieurs qui ont pu le consulter (Berrichon en 1911/1912, Bouillane de Lacoste en 1939). Il a certainement fait partie du lot de poèmes confiés par Verlaine à la revue La Vogue en 1886. Mais il n'y parut jamais, l'un des animateurs de la revue ayant déserté pendant la publication en feuilleton des textes de Rimbaud en emportant quelques précieux manuscrits non encore publiés, qui finirent par se retrouver entre les mains de l'éditeur Vanier (cf. l'édition Murphy des Œuvres complètes, Champion, t.IV, p.23-24).
   On considère cette version du poème comme ultérieure à Famille maudite. Ce jugement s'appuie sur un faisceau d'arguments convergents : la nature de certaines variantes, l'abandon des majuscules en tête de vers, la présence probable du texte dans le dossier fourni par Verlaine aux éditions La Vogue en 1886 en compagnie d'autres transcriptions sans majuscules que l'on suppose avoir été faites en juillet-août 1872, certaines considérations graphologiques, la désignation du poème sous le titre Mémoire dans les brouillons de la Saison ... Elle reste donc la version de référence pour l'édition et l'étude du poème.
   Le premier fac-similé de ce manuscrit été procuré par Steve Murphy dans Parade sauvage n°11, décembre 1994, p.70-71. Murphy a décrit et analysé le document à plusieurs reprises : dans le numéro cité de Parade sauvage, dans les tomes I et IV de l'édition Champion et dans Stratégies de Rimbaud (voir ma bibliographie). Les notes ci-dessous doivent tout à ces travaux.


  

    — Le nombre 10 à droite du titre indique le corps que les typographes de l'édition de 1895 devaient utiliser.
  — Le chiffre 3, en haut à gauche, peut-être autographe, n'a reçu aucune explication.
  — Des chiffres (2,3,4,5) divisent le poème en cinq sections de deux quatrains. L'absence du numéro 1 s'explique sans doute par l'espace insuffisant entre le titre et le premier vers, la numérotation des sections n'étant intervenue qu'après l'inscription du texte. Le tiret jouxtant la marge entre les sections 1 et 2 semble le vestige d'une autre méthode de démarcation, abandonnée en faveur des chiffres. Dans Famille maudite, les sections sont séparées par trois astérisques alignées et centrées.
  v.1 — "de l'enfance" corrigé en "d'enfance".
  — Les éditeurs récents s'accordent à ne pas placer de point-virgule en fin de vers : Rimbaud semble l'avoir inscrit puis supprimé. Cela tend à faire du "sel des larmes d'enfance" non le comparant de "L'eau claire" mais le comparé des trois comparants qui suivent (contrairement à la formulation à mon avis beaucoup plus logique de Famille maudite). Était-ce vraiment le but recherché par Rimbaud comme le pense Murphy (Stratégies de Rimbaud p.415) ?
  v.3 et 5 — À deux reprises, Rimbaud a envisagé de supprimer un monosyllabe mis entre parenthèses dans le corps du texte ("pur", v.3 ; "non", v.5) afin d'introduire le mot "ou" (placé en marge entre parenthèses) en tête de vers, comme il l'avait fait dans Famille maudite.
   v.6 — Le manuscrit de Famille maudite comporte une virgule en fin de vers, après "Elle". L'absence de virgule, dans Mémoire, introduit selon Steve Murphy une ambiguïté peut-être volontaire permettant de lire "sombre" comme un verbe (Poésies, Champion, tome I, p.832-833 ; Stratégies de Rimbaud, p.415).
  v.7 — Contrairement à d'anciens éditeurs qui croyaient devoir corriger "avant" en "ayant", on respecte aujourd'hui la formulation du manuscrit : "avant le Ciel bleu pour ciel-de-lit". La présence de la même préposition dans Famille maudite ("avant la nuit pour ciel-de-lit") confirme cette lecture.
   v.8 — La majuscule de "Ciel" surcharge une minuscule.
   
 
  v.26 — Rimbaud avait d'abord écrit "sentier" pour le remplacer ensuite par "saint lit" qui était déjà la leçon de Famille maudite. Tentative infructueuse de correction ? problème de mémoire ? On se perd en conjectures.
  v.29 — "Qu'elle pleure" remplace "Quel murmure". Même problématique qu'au vers 26.
  v.33 — La majuscule de "Je" surcharge une minuscule.
  v. 34 — En début de vers, Vanier et Bouillane de Lacoste lisaient "ô" ; Murphy et Guyaux (Pléiade Rimbaud 2009) optent pour "oh".
  — "ni" paraît biffé ! Steve Murphy suppose que Rimbaud a tenté des modifications assez complexes, sans les finaliser. Il a failli produire le vers < mon canot immobile ! oh ! mes bras trop courts ! l'une >. Il a ensuite barré les deux adjectifs possessifs, laissant un vers incomplet (cf. Stratégies, p.263). Les éditeurs récents tranchent pour : "oh canot immobile ! oh ! bras trop courts ! ni l'une". Guyaux (Pléiade Rimbaud 2009, p.235) présente "ni" entre crochets.
  v.37 — La majuscule de "Ah" surcharge une minuscule.
  v.40 — La minuscule très encrée de "au fond" surcharge un "A" majuscule.