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Annexe : Famille maudite (1872)

 

Une image peu lisible du manuscrit est consultable sur le catalogue en ligne de la vente Tajan du 25 mai 2004 et dans Steve Murphy, Stratégies de Rimbaud, 2004, p.372. L'image ci-dessous vient de TDC n° 915, spécial Rimbaud. Pour la transcription, nous suivons l'édition procurée par Steve Murphy (ibid. p.369-371). Les passages entre crochets : [...] indiquent des caractères rendus indéchiffrables par le mauvais état du manuscrit (déchirures, pliures). L'absence d'espace entre les quatrains 1 et 2, 5 et 6, 7 et 8, est conforme au manuscrit de Rimbaud, sans qu'on en sache la cause.
 

 
 

         d’Edgar Poe
              ___

       Famille maudite.
 


L’Eau, pure comme le sel des larmes d’enfance
Ou l’assaut du soleil par les blancheurs des femmes,
Ou la soie, en foule et de lys pur ! des oriflammes,
Sous les murs dont quelque Pucelle eut la défense,
Ou l’ébat des anges, le courant d’or en marche,
L’Eau meut ses bras lourds, noirs, et frais surtout, d’herbe. Elle,
L’Eau sombre, avant la nuit pour ciel-de-lit, appelle
Pour rideaux l’ombre de la colline et de l’arche.

                             ***

Eh ! l’antique matin tend ses réseaux limpides.

L’air meuble d’or pâle et sans fond les couches prêtes.
Les robes, vertes et déteintes, des fillettes
Font les saules d’où sautent les Oiseaux sans brides.

Plus jaune qu’un louis, chaude et grasse paupière,
Le souci-d’eau, ta foi conjugale, ô l’Epouse,
De son terne miroir immobile, jalouse
Au ciel gris de chaleur la Sphère rose et claire !

                              ***

Madame se tient trop debout dans la prairie

Prochaine où neigent les fils du travail; l’ombrelle
Aux doigts, foulant l’ombelle ; trop fière pour elle
Des Enfants lisant dans la verdure fl[eurie]
Leur livre de maroquin rouge Ah ! Lui [!] comme
Mille Anges blancs qui se quittent au haut des routes,
Disparaît par delà la montagne ! Elle, toute
Folle, et noire, court, après le départ de l’homme !

                               ***

Qu’elle pleure à présent sous les remparts ! l’haleine

Des peupliers d’en haut est pour la seule brise.
La voilà nappe, sans reflets, sans source, grise.
Un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine.
Regret des bras épais et jeunes d’herbe pure !
Or des lunes d’avril au cœur du saint lit ! Joie
Des chantiers riverains à l’abandon, en proie
Aux soirs d’août qui faisaient germer ces pourritures !

                                ***
Jouet de cet œ[il] d’eau morne, je n’y puis prendre
Ma barque immobile ! et mes bras trop courts ! ni l’une
Ni l’autre fleur ; ni la jaune qui m’importune,
Là, ni la bleue, amie à l’eau couleur de cendre.

O la poudre des saules qu’une aile secoue !
Les roses des roseaux dès longtemps dévorées!
Mon canot, toujours fixe, et sa chaîne tirée
Au fond de cet œil d’eau sans borne à quelle boue !



R.