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Proses évangéliques (1873)

 

Sommaire du dossier :

      > Proses évangéliques (notice introductive : vous y êtes)
      > À Samarie (texte, intertexte et notes)
      > L'air léger et charmant de la Galilée (texte, intertexte et notes)
      > Bethsaïda (texte, intertexte et notes)

      >
 Bibliographie commentée

      > Commentaire

      La mention "op.cit." renvoie aux livres et articles cités dans la bibliographie.
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Manuscrit BnF - page 1






Première publication : Bouillane de Lacoste et Matarasso (op. cit. 1948).

 

Manuscrit BnF - page 2






Première publication : Berrichon (op. cit. 1897).

 


   Sont parvenues jusqu'à nous, sur des feuillets distincts, deux ébauches d'Une saison en enfer (correspondant respectivement à Mauvais Sang et à Nuit de l'Enfer) et, au revers de ces mêmes feuillets, deux pages d'un manuscrit rimbaldien qu'une tradition contestable a titré Proses évangéliques. L'œuvre se présente, en effet, comme une libre réécriture de trois épisodes consécutifs de l'Évangile selon saint Jean. Les éditeurs récents se font un devoir de réviser ce titre. Mais chacun y va du sien, sans qu'on parvienne à un consensus. Je conserve donc la formulation classique. Au reste, s'il ne s'agit que d'éviter au lecteur l'erreur de croire ces proses toutes dévouées à la propagation de la Bonne Nouvelle — sens étymologique du grec euangellion, formé des radicaux « eu » (« bien ») et « aggelô » (« annoncer ») —, cette précaution n'est-elle pas inutile ?
 

  
   On ne sait pas si ces deux pages proviennent d'une œuvre plus étendue, en majorité perdue, ou si l'on a affaire à un texte complet. Steve Murphy, relevant dans le triptyque "une certaine unité", n'écarte pas la seconde hypothèse (op. cit. 2002, p.584). André Guyaux défend la thèse inverse : "la première ligne figurant en haut du premier feuillet ne constitue pas un début mais une continuation, comme le montre le faible espace séparant cette première ligne du bord supérieur du feuillet. Rimbaud démarque le texte de saint Jean, passant d'un épisode à l'autre, en conservant la chronologie du récit biblique. Ce qui précède le premier feuillet est perdu, tout comme, selon toute vraisemblance, ce qui suit le second. Nous nous trouvons donc devant le reliquat d'un essai de paraphrase de l'Évangile dont on ignore quelle ampleur il a pu prendre" (op. cit. p.918). Par ailleurs, on ignore la date de composition de ces pages, même si leur présence sur des feuillets ayant servi au brouillon d'Une saison en enfer tend à accréditer celle du printemps 1873. Sur cette question, voir la bibliographie de ce dossier. 

   Le débat interprétatif autour des Proses évangéliques est exposé par Jean-Luc Steinmetz de la façon suivante : "Une tendance de la critique consiste à n'y voir que des textes ironiques contestant la parole évangélique (voir Étiemble et surtout Pierre Brunel). Une autre tendance, à laquelle nous nous rangeons, y perçoit une intention moins ouvertement parodique. De toute évidence, Rimbaud [...] s'interroge sur la présence du Christ (elle est contestée et inefficace à Samarie, ville "protestante") et sur les miracles qu'il réalisa. S'il se plaît à retoucher l'Évangile, ce n'est cependant pas pour proférer ouvertement des blasphèmes" (op. cit. 1989, p.92). Blasphèmes ? Peut-être pas ! À ce moment de sa trajectoire, écrit d'ailleurs Étiemble, Rimbaud "renonce à l'injure ; sa critique devient plus subtile ; il s'attaque aux dogmes et aux mystères" (op. cit. p.51). Et encore ne s'en prend-il à eux que de manière assez indirecte. Comme l'a montré Yann Frémy (op. cit. Europe, 2009), un d'Holbach, au XVIIIe siècle, est beaucoup plus explicite dans la déconstruction rationaliste du texte évangélique et Rimbaud, qui l'avait certainement lu, aurait pu lui emboîter le pas. Il n'en fait rien. Mais se contente-t-il pour autant de "s'interroger" sur les miracles que le Christ "réalisa", comme l'écrit Jean-Luc Steinmetz ? Non ! Simplement, il est moins intéressé à contester la véracité du témoignage de saint Jean qu'à semer chez son lecteur un doute fécond. Surtout, il a  perçu une certaine parenté entre Jésus, en tant que personnage historique, et la figure du chercheur d'absolu contraint de constater son impuissance face à la "réalité rugueuse", archétype littéraire auquel il s'identifie et qu'il s'apprête à incarner une nouvelle fois dans ces faux magiciens démasqués que sont l'Époux infernal, l'alchimiste du Verbe ou le mage "rendu au sol" d'Une saison en enfer (avatar rimbaldien du mythe d'Icare). Et c'est cette parenté que sa relecture de l'Évangile lui sert à méditer, comme plusieurs l'ont fort bien vu (je pense notamment à Yoshikazu Nakaji, op. cit.).

  Je reproduis ci-contre les images du manuscrit mises en ligne par la BnF le 04/10/2013 (acquis par la BnF en novembre 1998). J'annote ensuite le texte en le découpant, selon la tradition, en trois épisodes qui correspondent respectivement à l'Évangile selon saint Jean, chapitre 4, versets 39-42 (À Samarie) ; 4,43-54 (L'air léger et charmant de la Galilée) ; 5,1-18 (Bethsaïda). Pour les références aux évangiles, j'adopte le système : chiffres arabes en gras pour les chapitres, en caractère normal pour les versets. Je place en vis à vis, dans chacune de mes pages, le texte de Rimbaud et celui de Jean. J'utilise pour ce dernier la traduction française sur la Vulgate (Bible courante en latin, œuvre de saint Jérôme), traduction due à Louis-Isaac Lemaistre de Sacy (numérisation d'Yves Petrakian). C'était là, en effet, d'après Berrichon, la fameuse "Bible à la tranche vert-chou" mentionnée par Rimbaud dans Les Poètes de sept ans. Le fait est d'ailleurs confirmé par les similitudes de vocabulaire entre les deux textes (par exemple, l'orthographe "Bethsaïda" qui n'est pas celle généralement rencontrée dans les traductions). Quand une graphie confuse, une biffure ou une surcharge, rendent problématique l'établissement du texte, je l'indique entre crochets à l'endroit concerné.  

Février 2014