> Proses évangéliques
(introduction)
> À Samarie
> L'air léger et charmant
de la Galilée
> Bethsaïda
> Bibliographie
commentée
>
Commentaire |
Paterne Berrichon, "Page inédite d'Une
saison en enfer", Revue blanche, 1er septembre
1897.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k155342/f389.image
Paterne Berrichon, Jean-Arthur
Rimbaud, le Poète, Mercure de France, 1912.
Pour notre sujet, voir page 291 et suivantes :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282062p/f288.image
"Que
signifierait donc la prose parabolique suivante [...], écrit
Berrichon en présentant Bethsaïda dans son livre de 1912, si
ce n'est qu'Arthur Rimbaud, au moment où il la traça, un jour de
mars ou avril 1873, à Charleville ou à Roche, était revenu à
l'Évangile" (op. cit. p.291-292). Berrichon reproduit le texte avec la même erreur initiale qu'en 1897
: "Cette saison, la piscine des cinq galeries [...]" au
lieu de "Bethsaïda,
la piscine des cinq galeries [...]" (cette erreur sera corrigée par
Bouillane de Lacoste dans le Mercure de France, 15 juillet
1937, p.441). Il le définit comme "une prose parabolique [...]
trouvée parmi les ébauches d'Une saison en enfer et faisant
corps avec elles". Rimbaud, commente-t-il, "s'y évoque ange et
paralytique guéri par Jésus, quittant avec assurance le monde des
infirmes et des damnés de la littérature."
Étiemble
et Yassu Gauclère, Rimbaud, Gallimard, 1936 (réédition NRF
Essais, Gallimard, 1950, p.52-61).
En
1936, seule la seconde page du manuscrit est encore connue. Étiemble
et Yassu Gauclère discutent dans leur livre la
thèse berrichonnienne selon laquelle cette "prose parabolique"
témoignerait d'un retour à l'Évangile. Certes, argumentent-ils, le
tableau brossé par cette ébauche "a bien son point de départ
dans le texte évangélique [...]. C'est le même décor — cependant
transformé —" mais "ce n'est pas la même histoire. Il n'y a pas de
miracle, en effet, dans le récit de Rimbaud : ni « l'ange du
Seigneur » ni le Christ ne guérissent. « L'ange du Seigneur » ? Le
voilà transformé en effet de lumière [...] Quant au miracle, Rimbaud
le nie expressément : « Les premiers entrés sortaient guéris,
disait-on. Non. » [...] Il n'y a point de salut : ces
« mendiants » et ces « infâmes infirmes » restent ce qu'ils sont. Et
Jésus, à la gloire de qui l'évangéliste écrit son récit, quel rôle
joue-t-il dans celui de Rimbaud ? Aucun. Ayant lu cette page de
l'Évangile, Rimbaud, évoquant la scène décrite, voit Jésus : « Le
divin maître se tenait contre une colonne ; il regardait les fils du
Péché ... » Et c'est tout ! De guérison, de miracle, il n'est pas
question. Il ne semble pas que le Christ ait été d'un grand secours
au Paralytique : « Le Paralytique se leva, qui était couché sur le
flanc. »
On ne lui tend pas la main, on ne lui intime pas l'ordre de marcher
en emportant son grabat. Son évasion est spontanée, inattendue ;
elle demeure incompréhensible, sauf sans doute pour le Paralytique.
Jésus n'a rien fait [...]".
Dans l'édition scolaire qu'il confectionne en 1957 pour les
"Classiques Larousse", Étiemble se montre tout aussi catégorique :
"Berrichon est allé jusqu'à présenter cette page sur Beth-Saïda
(sic) comme une introduction, très pieuse, croyait-il, à la
Saison. Il est clair que cette prose a pour origine l'évangile
selon saint Jean ; non moins clair que Rimbaud y prend
systématiquement à contresens le texte chrétien." (p.57).
André Rolland de Renéville et
Jules Mouquet, Arthur Rimbaud. Œuvres complètes, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade, 1946, p.211-212.
Henry de Bouillane
de Lacoste et Henri
Matarasso, "Découverte de deux
nouvelles 'ébauches' de Rimbaud", Mercure de France, 1er
janvier 1948, p.5-21.
Première
publication du manuscrit présentant, dos à dos, le brouillon de
Mauvais sang et celui de la page 1 des Proses évangéliques
(À Samarie / L'air léger de Galilée). Établissement du texte.
Hypothèses de transmission et de datation. Bouillane de Lacoste, sur
la base d'arguments graphologiques, pense que les proses ont été
inscrites plus tard que les brouillons, lors du retour de Rimbaud à
Roche (juillet 1873), après la crise de Bruxelles. Elles auraient
été transmises de Rimbaud à Verlaine ultérieurement à cette date.
Pierre Petitfils, "À propos de la
découverte de nouvelles ébauches de Rimbaud", Mercure de France,
1er mars 1948, p.572-574.
Brève contribution
au débat lancé par la précédente livraison du Mercure. Pierre
Petitfils trouve peu convaincantes les hypothèses de
datation-transmission formuléees par Bouillane de Lacoste. Il est
plus logique de supposer, selon lui, que les proses datent du séjour
effectué à Roche au printemps 1873, qu'elles aient participé du
travail préparatoire effectué par Rimbaud en vue du "Livre païen ou
Livre nègre" (annoncé à Delahaye dans la lettre de mai 73) et, qu'au
moment de la rupture entre les deux poètes, elles se soient trouvées
parmi les papiers personnels de Verlaine, où elles seraient restées.
Suzanne Bernard, Rimbaud, Œuvres,
Classiques Garnier, 1960, p.193-195 (notice) et 451-455 (notes).
C'est à cette notice de Suzanne
Bernard que remonte la tradition, contestable et contestée, du
titre : "Proses évangéliques".
Antoine Adam, Arthur
Rimbaud. Œuvres complètes,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p.1023-1025.
André Thisse, Rimbaud devant Dieu,
José Corti, 1975.
Helena Shillony, "Essai
d'interprétation des Proses évangéliques", Romance Notes, hiver
1975.
Pierre Brunel, "Rimbaud récrit
l'Évangile", Le Mythe d'Étiemble, hommages, études et recherches,
inédits, Didier Érudition, 1979, p.34-45.
Article important,
dont l'auteur est animé par une juste indignation devant l'interprétation d'André Thisse,
auteur de Rimbaud devant Dieu. Cet émule de Teilhard de
Chardin détecte dans les Proses
évangéliques "l'annonce d'une mystique moderne" (p.37). À cette
lecture jugée tendancieuse, Brunel oppose celle de Bethsaïda par Étiemble
et Gauclère, bien plus respectueuse du texte. Il considère le
titre "Proses évangéliques" comme une trahison de l'esprit de ces
pages qui constituent "davantage des proses contre-évangéliques"
(p.45).
Après avoir rappelé par quels errements la critique est
passée avant de convenir que ces trois paraphrases de l'évangile formaient un "groupe
isolé", "un ensemble à part", dans l'œuvre de Rimbaud, il démontre
que le texte suit de façon précise un passage de saint Jean dans la
traduction qu'en donne Lemaître de Sacy et conclut : "Rimbaud n'a pu
écrire ses Proses évangéliques sans avoir cette Bible
auprès de lui" (p.39). Enfin, il analyse la méthode
utilisée par le poète parodiste pour dépouiller le récit évangélique de toute
dimension spirituelle.
Rimbaud rend invraisemblable
l'épisode de Samarie "en inventant une donnée nouvelle : la hargne
des Samaritains à l'encontre des prophètes, dont plusieurs auraient
déjà été égorgés." (p.43). D'où la conclusion en forme de
négation du témoignage de l'apôtre : "Jésus n'a rien pu dire [n'a
pas laissé de paroles] à Samarie."
Dans L'air léger et charmant
de Galilée ..., "Rimbaud ajoute deux touches qui transforment la
scène du temple. Les Galiléens regardent avec curiosité celui qui en
a chassé les marchands et ne voient là d'autre miracle que celui de
« la jeunesse pâle et furieuse ». Le fils de Dieu redevient homme.
Quant au miracle de Cana, après l'avoir éludé (ce n'est plus parce
qu'il en a entendu parler que l'officier vient consulter Jésus)
Rimbaud le nie : « Jésus n'avait point encore fait de miracle »"
(p.41-42).
Enfin, quand il récrit la scène de Bethsaïda, Rimbaud "en donne une
interprétation naturaliste. Il y avait dans l'année un jour, une
heure, où un peu de lumière consentait à pénétrer dans ce lavoir si
sombre, un « rayon (...) pareil à un ange blanc couché sur le
côté ». N'importe qui aurait pu le voir, moi le premier. L'intrusion
du « je », apparemment si surprenante, est d'abord celle de
l'humanité commune, du « on », et réduction à la banalité." (p.41).
"Le miracle exceptionnel se trouve lui-même singulièrement réduit.
Jésus entre un peu avant l'heure où se produit le miracle habituel,
le faux miracle de la lumière. Il a une simple attitude de témoin et
passe inaperçu, sauf peut-être du démon, qui le nargue. Étiemble
faisait observer que « Jésus ne joue aucun rôle » et que l'évasion
du paralytique semble « spontanée ». N'était-il qu'un faux
paralytique ? A-t-il été guéri par la seule présence du Christ ?"
(p.44).
Il semble que le poète ait voulu
rester dans l'implicite,
car il se garde bien de formuler l'explication "naturelle" que tout
lecteur tant soit peu mécréant imagine sans peine : la mise en mouvement d'un faux
paralytique mise à contribution par
les disciples du Christ pour enrichir la légende de ses pouvoirs thaumaturgiques.
Jean-Luc Steinmetz, "Les Proses johanniques",
Berenice, 1981,
p.160-171 ; réédité dans Le Champ d'écoute. Essais critiques,
Neuchâtel, À la Baconnière, 1985, p.127-145 (sous le titre "Les proses
évangéliques") et dans Parade sauvage,
Hommage à Steve Murphy, octobre 2008, p.528-542 (augmenté d'une
"apostille" et sous le titre "Sur
les Proses évangéliques").
L'actuel
"dépérissement des idéologies à fond politique", qui inhibaient
jusqu'ici chez les rimbaldiens la prise en compte du "contexte
métaphysique" dans lequel il convient de situer le poète, nous
permet d'envisager désormais, selon Jean-Luc Steinmetz, une
meilleure approche des Proses évangéliques (op.cit. 2008,
p.527). Il nous invite à
y trouver la preuve que le Rimbaud
« mystique à l'état sauvage » de Claudel n'est pas sans receler "une
certaine vérité" (ibid.) :
"Qu'un « livre païen » ou « nègre »
figurât parmi les plans de Rimbaud n'empêche pas, bien au contraire,
de considérer que ces « proses évangéliques » en devaient peut-être
former le contrepoint, le remords, l'obsession positive." (528).
La
paraphrase de saint Jean offrirait donc au poète voyant l'occasion
de magnifier "l'être hors du commun « changeant la vie »" (529), de
rêver au pouvoir magique qu'il aurait voulu posséder lui-même. Et
c'est ainsi que "Rimbaud rencontre (après l'avoir âprement décriée)
la figure (les pouvoirs) du Christ" (529).
Dans la première des trois proses (À Samarie), "Rimbaud
insiste sur la puissance prophétique de Jésus" (530). Comme on le
voit : Jean-Luc Steinmetz et Pierre Brunel, littéralement, ne lisent
pas le même texte ! Mais à Samarie, de même que dans le Paris ou le
Londres que Rimbaud a connus, on n'aime pas les annonciers du
futur. Ainsi, "il faut bien estimer que l'Évangile de Jean
présente à ses yeux une sorte de canevas [...] de ce qui put être un
moment de sa vie" (231).
De l'épisode galiléen, Steinmetz écrit :
"Toute cette prose [...]
combine deux histoires de fils : d'une part, le fils répond
vertement à sa mère ; d'autre part, Jésus guérit un fils, le rend à
son père. Jeu singulier, étroit entre instances parentales.
L'Évangile, encore une fois, semble fournir un canevas prémonitoire,
un sujet d'exercitatio, au sens mystique du terme, pour que
Rimbaud y reverse sa vie et, simultanément, repense ce qu'il en est
de ses rapports filiaux, de son contact avec la parole en tant qu'il
est parlé, lui aussi, par l'Autre" (532).
À propos de Bethsaïda, Steinmetz note que dans la version de
l'épisode par Rimbaud ce sont leurs péchés qui ont fait des
mendiants de la piscine des infirmes et des "damnés" :
"Leur
infirmité — qui ne l'apitoie guère (pas plus qu'elle ne touche le
Christ, en vérité) — s'affiche comme symptôme de l'âme pécheresse.
Ainsi, par leur intermédiaire, insiste la présence antagonique du
Démon et l'on voit mieux désormais comment un tel texte fournit les
préalables indispensables à la méditation de la Saison. Le
Christ confronté aux forces du Démon (c'est-à-dire une certaine
parole affrontant la sienne) réactive le débat infiniment prolongé
du Rimbaud soumis par sa famille à la loi du baptême et de Rimbaud
athée (« Le sang païen revient !») [...] On pourrait imaginer les
proses johanniques comme une sorte de prélude à la lutte spirituelle
animant la Saison, esprit et corps tiraillés, catholicisme et
paganisme placés face à face, règles et magie scandant les moments
d'une existence" (534-535).
Que le fameux
"combat spirituel" orchestré par Une saison en enfer puisse
être réduit au conflit entre un catholicisme assimilé au Bien
(mais rendu indigeste à Rimbaud par la transmission autoritaire qui
lui en a été imposée dans le cadre familial) et un athéisme (ou un
paganisme) assimilé au Mal (au Démon), qui n'a été embrassé que par
esprit de révolte et dont le narrateur est las, voilà qui ne laisse
d'être ... étonnant ! Personnellement, en tout cas, je
comprends tout autrement le cheminement réflexif du narrateur dans
ce livre. Un instant, sur son lit d'hôpital, il songe à faire appel
aux secours de la religion mais c'est pour immédiatement reconnaître
et dénoncer "la sale religion d'enfance". Quant au "pas gagné", à
l'issue du "combat spirituel" (par antiphrase) dont cette sorte de
roman d'apprentissage sui generis qu'est la Saison est la relation, il a
consisté à comprendre qu'une certaine mystique de la
négativité (le compagnonnage faustien avec Satan) n'est qu'une autre variante du "mensonge" métaphysique,
que les marchands d'éternité ne sont pas les seuls "amis de la mort"
et que sont à renvoyer dos à dos tous ceux qui font profession de
vivre "en [se] plaignant et en querellant les apparences du monde,
saltimbanque, mendiant, artiste, bandit, — prêtre !"
(les expressions vitées sont tirées de L'Éclair et d'Adieu).
Pierre Brunel, "Les proses
« évangéliques »", Arthur Rimbaud,
Une saison en enfer, édition critique, José Corti, 1987, p.118-143
(incluant une reprise, modifiée, de l'article de
1979, p.132-143).
Peu de
modifications par rapport à l'article de 1979. L'étude des proses contre-évangéliques au sein d'une édition critique d'Une saison
en enfer est justifiée par la présence de ces textes au dos
d'ébauches de la Saison. Cette présence n'est pas fortuite :
"Selon toute vraisemblance, ces proses sont liées à la préparation
du livre que Rimbaud projette d'écrire à son retour de Londres, au
printemps 1873, et avant un nouveau départ" (op. cit. 1987, p.134).
Elles pourraient constituer, selon Pierre Brunel, "l'état
intermédiaire d'un projet qui trouve son aboutissement, après la
rupture et la crise de juillet, dans Une saison en enfer"
(ibid.). L'auteur trouve une confirmation de cette hypothèse dans la
tonalité très personnelle que Rimbaud ajoute à la description de la
scène de Bethsaïda :
"Les marches intérieures de la piscine de Bethsaïda sont « blêmies par ces lueurs d'orages précurseurs des
éclairs d'enfers », les mendiants y sont finalement confondus avec
les Damnés, dernier mot de la dernière prose [...] Le Paralytique,
dès lors, pourrait être son double fantasmatique [de Rimbaud], celui
qui est parvenu à s'échapper ..." (p.142-143).
Suzanne Bernard /
André Guyaux, Rimbaud, Œuvres, Classiques Garnier, 1981,
p.197-199 (notices de S.Bernard et A.Guyaux), 453-457 (notes de
S.Bernard).
Réédition marquante
de l'édition critique de 1960 en ce qui concerne les Proses
évangéliques, André Guyaux s'étant vu confier par le
collectionneur Jacques Guérin des photographies des deux manuscrits.
L'établissement du texte s'en est trouvé "radicalement amélioré",
écrit Steve Murphy (op. cit. 2002).
C.A. Hackett, Arthur Rimbaud,
Œuvres poétiques,
Imprimerie nationale, Coll. Lettres françaises, 1986, p.378-381.
Mario Matucci, "Rimbaud et l'étrange évangile", Parade sauvage,
Colloque n°2, Rimbaud à la loupe, Cambridge 10-12 septembre 1987,
Charleville-Mézières 1989, p.136-141.
L'article n'aborde que marginalement l'analyse des Proses
évangéliques. Il s'interroge de façon plus générale sur
"l'obsession aussi profonde qu'énigmatique de l'Évangile" dont
témoigne Rimbaud dans son œuvre : "Même s'il n'y adhère pas, sa
vision du monde en est imprégnée, et aussi son écriture qui reprend
à la fois le lexique et le rythme de la phrase évangélique". Cette
obsession se manifeste aussi bien dans la parodie contre-évangélique
que dans le pastiche poétique. Voir à ce sujet, le célèbre passage
de Nuit de l'enfer où Rimbaud, sur le modèle de Jésus
marchant sur les eaux du lac de Tibériade (Jean, 6-16),
fabrique l'image d'un Christ triomphant (comme dans une ordalie
médiévale) du supplice de la croix et de la couronne d'épines
infligé par Pilate (Jean, 19-2) : "Jésus marche sur les roses
purpurines, sans les courber". Il est difficile de ne pas lire dans
cet usage du modèle évangélique "un besoin angoissé
d'identification. Le recours à l'évocation visionnaire de l'Évangile
représentait peut-être l'ultime tentative du poète pour reconnaître,
dans la thaumaturgie du Nazaréen, l'origine de la recherche du
« voyant »" dont le dernier Rimbaud (celui de la Saison et
des Illuminations) ne cesse de signifier l'échec et de
dénoncer le caractère chimérique : "Lui « à la fois créature et
créateur », il s'était apprêté à devenir « l'Homme-Dieu », mais « la
vie, l'insupportable, l'implacable vie » l'avait rejeté vers un
peuple « inspiré par la fièvre et le cancer », vers un échec dont la
lacération, dans son sens le plus poignant, est actuelle encore
aujourd'hui."
Jean-Luc Steinmetz, "Notice" des
"Proses évangéliques", Rimbaud, GF-Flammarion n°506, 1989,
p.91-92.
Le
débat interprétatif autour des Proses évangéliques est exposé
dans cette notice de la façon suivante :
"Une tendance de la
critique consiste à n'y voir que des textes ironiques contestant la
parole évangélique (voir Étiemble et surtout Pierre Brunel). Une
autre tendance, à laquelle nous nous rangeons, y perçoit une
intention moins ouvertement parodique. De toute évidence, Rimbaud
[...] s'interroge sur la présence du Christ (elle est contestée et
inefficace à Samarie, ville "protestante") et sur les miracles qu'il
réalisa. S'il se plaît à retoucher l'Évangile, ce n'est cependant
pas pour proférer ouvertement des blasphèmes. Les guérisons ont
lieu, le Paralytique retrouve l'usage de ses jambes [...] s'il avait
souhaité définitivement nier le Fils de l'Homme, il n'aurait pas
pris soin de composer un texte aussi manifestement équivoque et
parfois aussi admirable." (op. cit. 1989 p.92).
Alain Borer et alii, Œuvre-vie, édition du
centenaire, Arléa, 1991.
Henri Cottez et Michel Sidoroff,
"Rimbaud et la piscine de Bethsaïda", La Nouvelle Revue française,
juillet-août 1991, p.197-213.
Paola Ricciuli, "Rimbaud et la
poésie de l'inexprimable dans la suite johannique", Rimbaud cent ans
après, Parade sauvage Colloque n°3, 5-10 septembre 1991, Charleville-Mézières, 1992,
p.104-115.
Yves Reboul, "Rimbaud lecteur de
Renan", Renan : lecteurs et lectures, Guy Sagnes, groupe de
recherche "Les états du texte (XIXe-XXe)", Toulouse, Université de
Toulouse-le-Mirail, 1993, p.45-53.
Jean-Marie Gleizes, Arthur
Rimbaud, Hachette Supérieur, Coll. "Portraits littéraires", 1993,
p.48-62.
Rien ne s'écarte beaucoup de ce qui a déjà été dit sur les Proses
dans ces pages sauf, soudainement, leur conclusion :
"Au lavoir de Betsaïda (sic), il y a, nettement, trois instances : les infirmes,
« leur Démon » ou « le démon », et le « divin maître ». Et puis Je :
ne suis ni les infirmes, serais, si j'entrais « loin derrière » eux,
non pas l'un d'entre eux, ni le démon, ni le maître [...]. Le plus
beau de ces proses est bien sûr leur ambiguïté. J'admire les
rimbaldiens qui parlent de « contre-évangile » (par exemple). Eux au
moins ont perçu de l'ironie, de l'agressivité peut-être (dans ces
moments où Rimbaud contredit Jean). Pour ma part je ne perçois rien
de tout cela. Je prétends qu'il est impossible de savoir ce que
pense celui là qui se tient loin derrière avec les infirmes. La
seule chose réellement évidente est qu'il y a un texte sacré (quelle
que soit la couleur de sa tranche), et que dès lors qu'un tel texte
existe nous, qui que nous soyons, quoi que nous croyions, nous
sommes écrits par lui [...]" (op. cit. p.62).
Cette conclusion a
quand même l'inconvénient de rejeter les deux entrées les
plus fécondes qu'offrent ces proses : l'idée d'une distance ironique
(ou tout simplement critique) du texte rimbaldien à l'égard de son intertexte ; celle
d'une identification de Rimbaud avec la posture,
que l'on voit prendre à Jésus dans ces textes, d'observateur mutique
et impuissant du mal et de la superstition régnant parmi les hommes...
quand il ne laisse pas libre cours à sa
"jeunesse pâle et furieuse" ! Et ce sacrifice
herméneutique, pourquoi ? Pour pouvoir conférer à la poétique de
l'énigme et de l'implicite propre à Rimbaud le sens d'un rapport
"ambigu" à la religion chrétienne. Pour maintenir à l'Évangile,
qu'on y croie ou qu'on n'y croie pas, le statut d'un "texte sacré".
Pour pouvoir présenter le questionnement métaphysique comme un
horizon indépassable, une clôture idéologique au sein de laquelle, volans nolans, Rimbaud, nous, sommes condamnés à tourner en rond.
Rémy Duhart, "Le fac-similé des
proses dites évangéliques", Parade sauvage n°11, décembre 1994, p.86-87.
Yves Reboul, "De Renan et des Proses
évangéliques", Parade sauvage n°11, décembre 1994, p.88-94.
Selon l'auteur, le propos de Rimbaud dans les Proses évangéliques
n'est clairement discernable que dans son rapport avec la Vie de
Jésus de Renan. Suzanne Bernard, dit-il, s'était demandé si Rimbaud
n'aurait pas lu ce livre, publié en 1963.
Mais ni elle, ni personne, n'était allé y voir de plus près. Or, il
est au moins un aspect du texte rimbaldien qui semble ne pouvoir
venir que de Renan, car on n'en trouve l'idée ni chez Jean, ni dans
les évangiles synoptiques, c'est la façon "charmante" dont est présentée la
province natale du Christ : "L'air léger et charmant de la
Galilée...". Le terme "charmant" se trouve partout dans La Vie de
Jésus dès qu'il est question de la Galilée : "Une nature
ravissante [...] imprimait à tous les rêves de la Galilée un tour
idyllique et charmant." Renan, écrit Reboul, ne cesse d'"opposer le
délicieux climat galiléen à celui, aride et désolé qui règne en
Judée" et, en "adepte d'une nouvelle théorie des climats, Renan voit
dans cette riante nature galiléenne la clé du personnage idyllique
qu'est pour lui Jésus".
Rimbaud s'est donc très probablement intéressé à Renan en tant que
lecteur critique de l'Évangile. Par contre, selon Reboul, il
suffit de comparer leur traitement respectif des mêmes épisodes du
récit johannique pour constater qu'il est moins enclin que son
modèle à leur accorder une crédibilité historique. La négation
rimbaldienne des miracles du Christ, mise en évidence par Pierre
Brunel dans son article de 1979, fait apparaître les Proses comme une
parodie non seulement de l'Évangile mais aussi du livre de Renan.
Les deux auteurs se séparent encore dans leur traitement
allégorique de la matière évangélique. Ils transposent différemment
en termes contemporains l'opposition, attestée par
la Bible, entre Judée et provinces du sud : entre Judée et
Samarie, plus précisément, dans la première des trois proses. Tous
deux, explique Reboul, voient en Jérusalem l'analogue de Rome. Mais, pour Renan,
face à l'orthodoxe et rigide Judée, la Samarie "protestante" représente
la religion libérale et ouverte qu'il appelle de ses vœux, Jésus (le
Christ romantique et sulpicien qu'il met en scène)
incarnant "la figure du rénovateur messianique dont le siècle, de
Mickiewicz à Lammenais, en passant par Victor Hugo, a cultivé
obstinément le mythe". Pour Rimbaud, par contre, elle figure la
société marchande du XIXe siècle dont la "richesse
universelle" suffit à inhiber toute "discussion éclairée"
(ou la rend stérile) et
réduit littéralement au silence ces prophètes armés du seul
Verbe que sont, dans le grand récit catholique, le Christ, et, dans la
réalité contemporaine, le Poète.
Hugo Friedrich, Structure de la
poésie moderne, Le Livre de poche, 1999, p.91-92.
Yann Frémy, "L'envers de Bethsaïda",
Parade sauvage n°16, mai 2000, p.58-65 (repris, presque à
l'identique, dans Frémy, 2009, p.87-97).
Steve Murphy, Arthur Rimbaud,
Œuvres complètes, tome IV, Fac-similés, Champion, 2002, p.95-96 et
582-585.
Yoshikazu Nakaji, "Le Mage rendu au sol : sur les proses
« évangéliques »", Parade sauvage, Colloque n°5, 16-19 septembre 2004,
Charleville-Mézières 2005, p.454-464.
La lecture des Proses par Yoshikazu Nakaji
se situe tout à fait dans la lignée de celle de Pierre Brunel, dont il
radicaliserait même le jugement sous certains aspects. Les deux premiers
morceaux, explique l'auteur, montrent un Christ "incapable" d'accomplir
les miracles qu'on attend de lui ou, tout au moins, réticent à mettre en
œuvre ses pouvoirs surnaturels. Il commente ainsi, par exemple, le
dénouement de la seconde prose :
"Or, après avoir assuré l'officier
de la guérison de son fils, « Jésus continua par les rues les moins
fréquentées », dit [Rimbaud] comme pour suggérer que Jésus voulait
se cacher aux yeux des gens. Cette phrase semble signifier la même
crainte que celle qu'on a remarquée à la fin du premier morceau
(« Jésus n'a rien pu dire à Samarie ») : que son inefficacité de
thaumaturge, une fois révélée, ne les révolte et que leur déception
exaspérée ne les incite à l'agresser." (p.459).
Nakaji médite ensuite sur tout ce qui
rapproche de la figure de Jésus le narrateur d'Une saison en enfer
et, en même temps, sur l'opposition entre "ce Jésus fuyant la foule
curieuse de voir un miracle qu'il ferait surgir" et l'"étrange
rédempteur" qui, dans Nuit de l'enfer, interpelle sur une
"tonalité de prestidigitateur forain" le lecteur qui l'écoute. Car "il y
a quelqu'un" qui écoute bien qu'il n'y ait "personne ici" et, ce
"quelqu'un", c'est évidemment le lecteur :
"Écoutez
!... J'ai tous les talents ! — Il n'y a personne ici et il y
a quelqu'un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. — Veut-on des
chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse,
que je plonge à la recherche de l'anneau ? Veut-on ? Je ferai
de l'or, des remèdes. Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous,
venez, — même les petits enfants, — que je vous console, qu'on
répande pour vous son cœur, — le cœur merveilleux ! — Pauvres
hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières ; avec votre
confiance seulement, je serai heureux."
Mais il va de soi, selon moi, que cette
opposition n'en est pas une, tant il est évident que le sujet
s'exprimant dans la Saison ne croit pas (ou ne croit plus) à la
réalité de sa "vocation salvatrice [de] voyant-Prométhée" (p.460) et que
c'est avec une bonne dose d'auto-dérision qu'il réclame notre
"confiance" sur ce plan.
L'impuissance de Jésus touche à son
comble dans le dernier des trois morceaux :
"Ses gestes à côté et
insignifiants (« Jésus entra aussitôt après l'heure de midi.
Personne ne lavait ni ne descendait de bêtes. ») sinon simplement
passifs (« Le divin maître se tenait contre une colonne : il
regardait les fils du Péché ») le conduisent au bord de la
stupidité [...]. Submergé par les forces démoniaques qu'il devait se
donner pour tâche de conquérir, il semble résigné à une passivité
totale. Il ne sait que regarder silencieusement « les infâmes
infirmes » dans l'oubli total qu'il est un être hors du commun
chargé d'une haute mission, le fils de Dieu" (p.461-462).
En conclusion :
"cette réécriture de l'Évangile
semble être motivée par le vif intérêt, non dépouillé de sympathie,
que le soi-disant « mage ou ange » déchu montre pour son modèle
surhumain, qu'il imagine également déchu au sein de l'humanité.
Avant de façonner une œuvre bien structurée dans une tonalité
mythique, Rimbaud traverse une étape préparatoire de réflexion
comparative ou identificatrice, s'adonnant à une écriture tâtonnante
collant à l'original" (p.463).
Yann Frémy, "Vers l'enfer (sur les
Proses évangéliques)", Studi francesi, n°146,
maggio-agosto 2005, p.272-291.
Yann Frémy, "Les Proses
« évangéliques » : vers une poétique du paradoxe", « Te voilà, c'est
la force ». Essai sur Une saison en enfer de Rimbaud,
Classiques Garnier, 2009, p.61-97.
Yann Frémy analyse successivement
les trois proses. La "critique sociale" qui ressort
de la première (À Samarie) recèle, en peu de mots, "une
masse d'informations" (p.61) sur l'idée que Rimbaud se fait de la
"société samaritaine" et, bien sûr, à travers celle-ci, de la
sienne. Une société bloquée, corsetée dans l'observance des codes
(idée de "routine"), obéissant à de fausses valeurs ("sophisme"), et
où règne une "violence meurtrière secrète qui menace tout acteur du
changement" (p.67) : hier, le Christ ; aujourd'hui, le Voyant. C'est
pourquoi, contrairement à Jean qui célèbre dans cet épisode "le
potentiel considérable de conversion de la parole christique"
(p.68), Rimbaud peint un Christ mutique, convaincu que sa parole
serait inefficace :
"Ainsi, la première prose « évangélique »
sonne-t-elle le glas des assauts du voyant quant à la parole, dans
son désir, du moins, de bouleverser les mœurs des hommes en
révolutionnant la langue." (p.75).
La seconde prose commence et
s'achève sur l'exaltation de la nature. En évoquant la "lueur
magique" de fleurs perçant "entre les pavés", Rimbaud transfère à la
nature l'énergie surnaturelle censée émaner du fils de Dieu. Ce
n'est d'ailleurs pas que celui-ci manque d'énergie, comme le montre
l'épisode du Temple, mais la force dont Jésus fait preuve à cette
occasion est de nature strictement humaine, c'est celle de la
"colère" et de la "jeunesse". Cette révolte juvénile se manifeste
notamment contre ces "instances parentales" que sont la Vierge Marie
et l'officier de Capharnaüm (incarnation de la figure du Père), qui
provoquent tous deux l'agacement de Jésus. Les galiléens eux-mêmes,
d'après Yann Frémy, sont décrits comme un peuple "pour qui le
miracle est avant tout celui de la vie" (comme le prouve leur
enthousiasme envers le "miracle" du Temple) et peu enclin à célébrer
les "vrais" prodiges de Jésus puisque la nouvelle de celui accompli
à Cana ne semble pas avoir été propagée. Du coup, selon Frémy, on
assiste par trois fois chez Jésus à une libération de la parole.
Mais ce n'est pas une parole porteuse de Vérité transcendantale, à
la façon dont la présente saint Jean :
"C'est comme si le langage
possédait en son tréfonds une réserve de colère, comme si s'y était
déposée une vérité, mais cette fois de l'ordre de l'intensité."
(p.86).
Comme l'Adieu d'Une
saison en enfer, la troisième prose, nous dit Frémy, montre le
sujet finissant "par éloigner de lui le monde mortifiant de la
négativité et se détacher de sa paradoxale passion pour l'énergie
infernale" (p.87). Le tableau initial juxtapose en effet "un climat
de désolation" (la pluie, l'eau noire) et une sorte d'électricité
(celle des "éclairs d'enfer", de l'agitation des mendiants sur les
marches). Spectacle fascinant qui traduit l'attirance, commune au
Christ historique et à l'auteur de la Saison, pour "les
marges" : "Les Évangiles sont peuplés d'infirmes, de lépreux,
d'aveugles, d'autant de singularités sauvages [...]. Pour Rimbaud,
le Christ est celui qui est hanté par le mal, affronte le négatif de
la vie, habite parmi les êtres souffrants." (p.90-91). Rien
d'étonnant, donc, à ce que l'apparition intermittente d'un rayon de
soleil, contrastant avec l'atmosphère morbide du lieu ait pu être
interprétée par une population superstitieuse comme une intervention
divine. Mais le miracle se produit-il ? Peut-être, estime Frémy, de
façon assez surprenante. En tout cas, ajoute-t-il, pour le narrateur
qui intervient dans cette prose à la première personne, cette
précaire irruption de la lumière semble correspondre à "une
entrevision d'une sortie possible de l'enfer, même si la puissance
propre de la négativité demeure considérable."
Yann Frémy, "Rimbaud entre Jean,
d'Holbach et Renan. La genèse des Proses évangéliques", Europe
n°966, 2009, p.152-163.
Faisant d'abord le
point sur l'influence de Renan, analysée en 1993-94 par Yves Reboul,
Yann Frémy confirme quelques emprunts visibles et juge que Rimbaud a
retenu de Renan sa façon d'appréhender Jésus comme une personne.
Il ne partage guère l'idée reboulienne d'un Rimbaud plus explicite que Renan
dans la remise en cause de l'Évangile, mais il note dans l'évocation
de la vie de Jésus ébauchée par les Proses une noirceur
(importance du Péché, portrait d'un "Christ misanthrope et
mélancolique") qui le distingue nettement de l'idéalisation
renanienne et de ce qu'il appelle sa "poétique christique".
Yann Frémy montre
ensuite tout le parti que Rimbaud semble avoir tiré de la lecture de
d'Holbach (Histoire critique de Jésus-Christ ou Analyse raisonnée
des Évangiles, 1770). Voici, par exemple, comment cet auteur du
XVIIIe siècle commente la divination par Jésus du passé
matrimonial tourmenté de la Samaritaine :
"Cependant il est aisé de
voir que le Christ avait pu découvrir cette anecdote, soit par la
conversation même avec cette femme bavarde, soit par le bruit
public, soit par quelque autre voie très simple".
Yann Frémy a
raison de noter que Rimbaud ne hasarde pas explicitement ce genre de
conjectures rationalisantes. Mais, selon moi, par divers biais
(ses négations, ses ellipses, ses interventions
d'auteur), il en suggère tout autant. Donc, ne confondons pas
ambiguïté et implicite ! Les Proses évangéliques manient
constamment l'implicite mais elles ne sont pas ambiguës.
Tel n'est pas
le point de vue de Yann Frémy :
"Rimbaud cultive dans ces proses une
certaine ambiguïté, dont la figure du Christ est la cause, alors
qu'est complet son rejet du christianisme. Pour Rimbaud, en 1873,
Jésus était à sa manière un « voyant », sa crucifixion faisait de
lui un maudit" (p.155). Ce "maintien du postulat de Jésus-personne,
sujet de toutes les projections, rend impossible tout radicalisme de
type holbachique." (160).
Comprenons que, s'identifiant à Jésus,
Rimbaud ne peut l'accuser ouvertement de charlatanisme, il lui
accorde le bénéfice du doute :
"Alors que le rejet du christianisme
par Rimbaud est sans appel, la figure du Christ demeure un lieu de
questionnements, en 1873, ce qu'elle ne sera plus dans les Illuminations."
Personnellement, je pense que Rimbaud, "en 1873", comme on peut s'en assurer en lisant Une saison en
enfer, ne se fait pas scrupule de traiter de faux magiciens et
de charlatans
"voyants", "maudits" et lui-même... et le Christ, par conséquent.
André Guyaux, "Fragments d'une
paraphrase de l'Évangile selon saint Jean", Rimbaud - Œuvres
complètes, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2009, p.918-921.
André Guyaux
se montre péremptoire sur une question que les commentateurs
abordent généralement avec plus de prudence. Il se déclare convaincu
de ce que les trois proses "évangéliques" qui nous sont parvenues
proviennent d'une œuvre plus étendue, en majorité perdue :
"la
première ligne figurant en haut du premier feuillet ne constitue pas
un début mais une continuation, comme le montre le faible espace
séparant cette première ligne du bord supérieur du feuillet. Rimbaud
démarque le texte de saint Jean, passant d'un épisode à l'autre, en
conservant la chronologie du récit biblique. Ce qui précède le
premier feuillet est perdu, tout comme, selon toute vraisemblance,
ce qui suit le second. Nous nous trouvons donc devant le reliquat
d'un essai de paraphrase de l'Évangile dont on ignore quelle ampleur
il a pu prendre".
L'auteur prend aussi quelque distance avec la thèse "contre-évangéliste"
défendue par Pierre Brunel :
"Rimbaud semble en effet nier le
message biblique par la dénaturation du texte de l'Évangile, en se
fixant sur le rôle « thaumaturgique » de Jésus. Mais le but de cette
déconstruction du texte biblique n'est pas clair [...]. La manière
dont le texte glisse de la paraphrase à la glose et de la glose à la
fiction témoigne en faveur d'un point de vue plus sensible à
l'ambiguïté d'un texte qui n'est pas une simple parodie et intègre
des « suppléments visionnaires » (Steinmetz)."
Centrées
qu'elles sont, à l'évidence, sur la question des pouvoirs thaumaturgiques de
Jésus, ces Proses font certes le choix d'une remise en cause
implicite plus que d'une contestation ouverte mais, personnellement,
je n'irais pas jusqu'à parler d'"ambiguïté".
A.Gauvin, "Vers les Proses évangéliques d'Arthur Rimbaud", site
Philippe Sollers, 26/03/13.
http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1376
Antoine Nicolle, "Les Proses
évangéliques", juin 2013, Rimbaud vivant, p.109-135.
Compte-rendu d'une communication orale du même auteur :
http://www.amisderimbaud.fr/cr%20a.%20nicolle.pdf

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