Mauvais sang, Une saison en
enfer, avril-août 1873.
Pour ce texte important, une
lecture cursive intégrale nous a paru souhaitable. Dans la colonne de droite, nous proposons
un bref commentaire, section par section. Des micro-lectures d'extraits choisis s'ajouteront
(peut-être) ultérieurement.
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section 1
section 2
section 3
section 4
section 5
section 6
section 7
section 8
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Mauvais sang
J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu
blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon
habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes,
les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.
D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du
sacrilège ;
— oh ! tous les
vices, colère, luxure, —
magnifique, la luxure ;
— surtout mensonge et
paresse.
J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et
ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à
charrue. — Quel
siècle à mains ! —
Je n'aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin.
L'honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme
des châtrés : moi, je suis intact, et ça m'est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement
qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me
servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai
vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. —
J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la
déclaration des Droits de l'Homme. —
J'ai connu chaque fils de famille !
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Yeux bleus (§1), goût pour le sacrilège et la luxure (§3), dégoût
égal pour le travail honnête (défini comme une domesticité) et pour le crime (§4) ... aucun doute : c'est
un autoportrait. Et un autoportrait au vitriol ! L'ascendance gauloise
revendiquée est loin d'être valorisée : bêtise, brutalité. Le refus
du travail non plus : Rimbaud nous invite à considérer comme habileté rhétorique
de sa part tout argument destiné à justifier sa paresse,
pour la sauvegarder (§5). En se décrivant "plus oisif
que le crapaud", conformément au portrait insultant que certains
amis de Verlaine faisaient de lui, il admet implicitement le bien-fondé
de cette accusation.
La seule excuse que le poète semble prêt à se
trouver, à la fin du §5, c'est que tous les fils de
famille (ce qui veut dire ici, paradoxalement : les fils du Peuple, ceux qui tiennent tout de la déclaration des Droits
de l'Homme) ont les mêmes vices que lui.
Ce thème annonce la section 2, nous le verrons : dans son réquisitoire contre
lui-même, Rimbaud se voit comme le produit d'un double déterminisme, racial (les
gaulois) et social (la classe qui est la
sienne, celle des roturiers : maîtres et valets, tous [...] ignobles
— "ignobles"
au sens étymologique de non-nobles ? — ).
Ce discours auto-accusateur est-il sincère ?
Rimbaud, dans ce moment de crise où il rédige Une
saison en enfer, se laisse-t-il envahir par la
honte et la fatigue de soi ? Ou bien faut-il deviner là quelque ironie, le
"damné" se complaisant à mimer la parole de l'Autre, du juge,
du bourreau, par provocation, par bravade ?
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