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Mauvais sang, Une saison en enfer, avril-août 1873.
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     L'ennui n'est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l'étendu de mon innocence.
     Je ne serais plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
     Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
     Quant au bonheur établi, domestique ou non... non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde.
     Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort !
     Si Dieu m'accordait le calme céleste, aérien, la prière, comme les anciens saints.  Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n'en faut plus !
     Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.

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     La section 7 développe la critique de la précédente, parfois terme à terme, et l'on peut estimer qu'on y entend la vraie voix de l'auteur. Elle annonce d'abord une volonté de tourner la page : de rejeter l'ennui, les rages, les débauches, la folie qui sont les attributs habituels du poète maudit. Il y a donc bien, dans ce désir de table rase, une sorte d'innocence retrouvée, semble avouer Rimbaud. Mais une innocence qu'il faut débarrasser du vertige mystique de la section précédente. Refus, aussi, de tout sentiment de culpabilité (pas de bastonnade consentie de gaîté de cœur pour ses fautes passées), et de toute religiosité (Rimbaud n'aura pas Jésus-Christ pour beau-père, ce qui se produirait, explique ingénieusement Jean-Luc Steinmetz dans son édition GF n°106, p.197 si Rimbaud épousait la vie française, puisque la France est "fille aînée de l'Église"). Refus, encore, des vertus chrétiennes (dévouement, amour divin) et de l'humanisme rousseauiste (raison, cœurs sensibles). Tout cela au nom de la liberté, du droit d'avoir sa raison à soi et son propre bon sens. Refus, enfin, du bonheur établi et du travail, parce que c'est au-dessus de ses forces.
     Mais, avec ce nouvel aveu de faiblesse (le "vice" natif évoqué section 4), la blessure ancienne semble se rouvrir : Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort ! Et, conséquence de ce désarroi, voici à nouveau la tentation mystique : pourquoi Dieu ne me donne-t-il pas la force des héros, ceux qui aiment la mort, les saints, les artistes ? Enfin, une fois de plus, le passage s'achève sur une chute épigrammatique congédiant la pensée illusoire que le narrateur vient de laisser échapper.