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Mauvais sang, Une saison en enfer, avril-août 1873.
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     Assez ! voici la punition. En marche !
     Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur... les membres...
     Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes... le temps !...
     Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. Lâches ! Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
     Ah !...
     Je m'y habituerai.
     Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !







     Le dénouement de "Mauvais sang" prend la forme d'une brève scène dramatique que l'on pourrait intituler : le monologue du conscrit. Ne sachant comment trancher le dilemme qui le hante, Rimbaud semble laisser la vie décider pour lui. Et la vie, pour bien des jeunes français de son âge et de son temps, c'est le service militaire. Une nouvelle fois dans le chapitre, voici le thème du mercenaire, du "fils de famille" enrôlé pour quelque croisade dont il ne comprend pas les buts, et le fantasme d'une mort sans courage sur le champ de bataille.

     Au moment de conclure, il faut répondre à cette question qui s'est, à plusieurs reprises, posée à nous depuis le début de notre lecture : qui est "Je" ? est-ce Rimbaud qui parle ici ? Il est courant de lire chez les critiques contemporains que "le locuteur de Mauvais sang ne saurait se confondre avec l'auteur" (Pierre Brunel, Une saison en enfer, édition critique, Corti, 1987, p.214). "Se confondre" ? Non certes ! Encore faut-il préciser quel sens on pense pouvoir donner à cette ambiguïté énonciative. Pour moi, à l'évidence, c'est Rimbaud qui parle dans "Mauvais sang", et qui se confie, et qui réfléchit. À un moment critique de sa vie, il envisage les solutions qui pourraient le tirer de l'impasse où il s'est fourvoyé. Elles sont deux, essentiellement : se ranger, se convertir. Se ranger, ce serait se réconcilier avec la vie française ; se convertir, revenir vers la religion de son enfance. Un autre que lui choisirait peut-être l'une de ces issues. Lui ne peut pas. Il essaie pourtant : son imagination lui permet de devenir par moments cet Autre. Tantôt, c'est la pantomime du fils du peuple docile et résigné se louant à ses maîtres, tantôt celle du doux chrétien louant son Dieu. Dans ce sens, en effet, des pans entiers de "Mauvais sang" ne représentent pas la pensée de Rimbaud mais plutôt le discours dominant de la société, celui que l'auteur cherche à éprouver en se demandant s'il pourrait, éventuellement, le faire sien. À d'autres moments, c'est au contraire la voix de Rimbaud que nous entendons, celle, du moins, qui nous est familière et que nous identifions, peut-être indûment, comme son vrai Moi : la voix de la critique et du refus. Le dialogue dramatisé entre les voix multiples de ce Moi divisé s'achève sur une résignation que l'on sent fragile : Je m'y habituerai, et un conditionnel qui sous-entend bien des hésitations : Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !