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Mauvais sang, Une saison en enfer, avril-août 1873.
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     On ne part pas. Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
     La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
     Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.
     À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? Dans quel sang marcher ?
     Plutôt, se garder de la justice. La vie dure, l'abrutissement simple, soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française.
     Ah ! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection.
     Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
    
De profundis Domine, suis-je bête !

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     Faisant transition avec la section 3, le premier paragraphe commence par poser l'inutilité du départ et, de façon plus générale, l'impossibilité d'échapper à son destin, à son "vice". De quel "vice" s'agit-il ? Le lecteur doit-il voir dans la phrase initiale du second paragraphe (La dernière innocence et la dernière timidité) une réponse à cette légitime question ? Sans doute, bien que la chose ne soit pas aussi clairement "dite" que le poète le déclare (C'est dit). Rimbaud semble s'avouer trop naïf (la dernière innocence), trop sensible (timidité), il avoue de la lâcheté (cf. le mot trahisons), des dégoûts, ce qui n'infirme pas nécessairement les gloses sexuelles plus précises (l'homosexualité, l'onanisme) que certains critiques ont avancées. Ce sentiment d'insuffisance et de faiblesse est confirmé a contrario dans la section 5 par l'obsession de la "force" qui s'y fait jour (Faiblesse ou force ? Te voilà, c'est la force !).
     Le poète se résout donc à mener une vie obscure (Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons), à accepter le type de vie que la société "française" réserve à ses esclaves : la marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère. Il se "louera" à qui aura besoin de mercenaires, mettra sa charge intérieure de violence au service de n'importe quel mensonge — sans toutefois s'exposer à tomber sous les coups de la Justice, se laissera "abrutir" dans la vie dure que la société réserve aux "fils de famille", ce qui n'est rien d'autre au fond qu'une forme de mort précoce (point de vieillesse), d'où le thème du cercueil dans lequel le narrateur "s'étouffe" lui-même, suicide en douceur, car la terreur n'est pas française (voir la même métaphore dans la section 6 de "Mauvais sang" et dans "Enfance V").
     Enfin, dans un soupir, la tentation de la conversion et de la réhabilitation vient hanter à nouveau le narrateur, tentation absurde, aussitôt repoussée d'une pichenette : Suis-je bête !