Les Blasons

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Définition 

Le "blason" est un court poème célébrant une partie du corps féminin ("Blason du beau tétin" de Marot, "Le Front" de Maurice Scève", "Blason de l'œil" de Mellin de Saint-Gelais, "Le Blason" de Georges Brassens, etc... ).

Dans le même esprit, certains poèmes évoquent le corps entier en détaillant successivement ses différentes parties ("Marie, vous avez la joue aussi vermeille..." de Ronsard, "L'Union libre" de Breton).

Le blason se fait parfois satirique : on parle alors de "contre-blason" ("Blason du laid tétin" de Marot, "O beaux cheveux d'argent..." de Du Bellay).

 

 

Petite anthologie du blason et du contre-blason 

 

Clément Marot, Blason du beau tétin, Blason du laid tétin, (1535).

Maurice Scève, Le front (1536).

Mellin de Saint-Gelais, Blason de l'oeil, (1547).

Ronsard, " Marie, vous avés la joue aussi vermeille… ", (1555)

Du Bellay,  " O beaux cheveux d'argent… ",  (1556)                    

Pierre de Marbeuf, L'Anatomie de l'oeil, (1625)

Paul Scarron, "Vous faites voir des os quand vous riez, Heleine..." (1610-1660)  

Paul Eluard, La Courbe de tes yeux, (1926)

André Breton, L'Union libre, (1931)

Georges Brassens, Le Blason, (1960-62)

 

 

 

Historique 

"Le blason apparaît au milieu du XVème siècle, comme une surgeon tardif du "dit" médiéval. Mais il se trouve qu'à Ferrare où le ressuscite Marot, exilé vers la fin de 1535, il va prendre la forme exclusive de l'éloge (ou inversement du vitupère, comme on dit à l'époque) du corps féminin. Pendant une quinzaine d'années, les poètes français rivalisant avec Marot, vont faire rêver sur les beautés du corps de leurs belles amies réduit à l'absolu d'un détail qui devient monde. Car il n'y a blason que d'une partie du corps ou d'un accessoire de sa parure (épingle ou miroir) mais beaucoup plus rarement de l'ensemble (le corps promis à la mort)." Roland Antonioli, Le corps de la femme : du blason à la dissection mentale (CEDIC, Université de Lyon).

Forme 

Le blason ne suit pas de règle fixe. A l'époque de Marot, il est généralement bref, en rimes plates, en octosyllabes ou décasyllabes. D'habitude, on s'adresse directement à la partie du corps célébrée en empruntant le modèle rhétorique de l'apostrophe.

Thématique  

En fait, 4 tons différents peuvent être empruntés : 
- le ton sensuel et voluptueux, 
- le ton grossier ou grivois, 
- le ton courtois ou pétrarquiste, 
- et enfin le ton spirituel, néoplatonicien ou ficinien.  
Quand le ton grossier est utilisé et qu'on tombe dans le dénigrement satirique, on parle alors de contre-blasons.  Dans tous les autres cas, on parle de blasons.

 

 

Lien internet : http://www.ac-reunion.fr/pedagogie/lyvergerp/FRANCAIS/Blason/Corpus.htm

 

 

 

 

Petite anthologie

 

 

 

 

Le Beau Tetin

Tetin refaict, plus blanc qu'un oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose ;
Tetin dur, non pas Tetin, voyre,
Mais petite boule d'Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraize ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gaige qu'il est ainsi.
Tetin donc au petit bout rouge
Tetin quijamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller.
Tetin gauche, tetin mignon,
Tousjours loing de son compaignon,
Tetin qui porte temoignaige
Du demourant du personnage.
Quand on te voit il vient à mainctz
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir ;
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une aultre envie.
O tetin ni grand ni petit,
Tetin meur, tetin d'appetit,
Tetin qui nuict et jour criez
Mariez moy tost, mariez !
Tetin qui t'enfles, et repoulses
Ton gorgerin de deux bons poulses,
A bon droict heureux on dira
Celluy qui de laict t'emplira,
Faisant d'un tetin de pucelle
Tetin de femme entiere et belle.

Clément Marot
(1496-1544),
Épigrammes, 1535.

 

 

 

 

Du Laid Tétin

 

Tetin, qui n'as rien, que la peau,
Tetin flac, tetin de drapeau,
Grand' Tetine, longue Tetasse,
Tetin, doy-je dire bezasse ?
Tetin au grand vilain bout noir,
Comme celuy d'un entonnoir,
Tetin, qui brimballe à tous coups
Sans estre esbranlé, ne secoux,
Bien se peult vanter, qui te taste
D'avoir mys la main à la paste.

Tetin grillé, Tetin pendant,
Tetin flestry, Tetin rendant
Vilaine bourbe au lieu de laict,
Le Diable te feit bien si laid :
Tetin pour trippe reputé,
Tetin, ce cuydé-je, emprunté,
Ou desrobé en quelcque sorte
De quelque vieille Chievre morte.

Tetin propre pour en Enfer
Nourrir l'enfant de Lucifer :
Tetin boyau long d'une gaule,
Tetasse à jeter sur l'epaule
Pour faire (tout bien compassé)
Ung chapperon du temps passé ;
Quand on te voyt, il vient à maints
Une envye dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain Tetin puant,
Tu fourniroys bien en suant
De civettes et de parfums
Pour faire cent mille deffunctz.
Tetin de laydeur despiteuse,
Tetin, dont Nature est honteuse,
Tetin des vilains le plus brave,
Tetin, dont le bout tousjours bave,
Tetin faict de poix et de glus :
Bren ma plume, n'en parlez plus,
Laissez-le là, veintre sainct George,
Vous me feriez rendre ma gorge.

 

 

 

 

Le Front

Front large et hault, front patent et ouvert,
Plat et uny, des beaux cheveulx couvert :
Front qui est cler et serain firmament
Du petit Monde, et par son mouvement
Est gouverné le demeurant du corps :
Et à son vueil sont les membres concors :
Lequel je voy estre troublé par nues,
Multipliant ses rides tresmenues,
Et du costé qui se presente à loeil
Semble que la se lieve le soleil.
Front élevé sur cette sphère ronde,
Où tout engin et tout sçavoir abonde.
Front reveré, Front qui le corps surmonte
Comme celuy qui ne craint rien fors honte.
Front apparent, affin qu'on peult mieulx lire
Les loix qu'amour voulut en luy escrire,
O front, tu es une table d'attente
Où ma vie est, et ma mort trespatente.

Maurice Scève, 1636.

 

 

 

 

Blason de l'oeil

Oeil attrayant, oeil arrêté,
De qui la céleste clarté
Peut les plus clairs yeux éblouir,
Et les plus tristes éjouir
Oeil, le seul soleil de mon âme,
De qui la non visible flamme
En moi fait tous les changements
Qu'un soleil fait aux éléments,
Disposant le monde par eux
À temps froid ou à chaleureux,
A temps pluvieux ou serein,
Selon qu'il est proche ou lointain.
Car, quand de vous loin je me trouve,
Bel oeil, il est force qu'il pleuve
Des miens une obscure nuée,
Qui jamais n'est diminuée,
Ni ne s'éclaircit ou découvre,
Jusqu'à tant que je vous recouvre ;
Et puis nommer avec raison
Mon triste hiver cette saison.
Mais quand il vous plaît qu'il advienne
Que mon soleil à moi revienne,
Il n'est pas si tôt apparu,
Que tout mon froid est disparu
Et qu'il n'amène un beau printemps
Qui rend mes esprits tout contents ;
Et hors de l'humeur de mes pleurs
Je sens renaître en lieu de fleurs
Dans mon coeur dix mille pensées
Si douces et si dispensées
Du sort commun de cette vie,
Qu'aux dieux ne porte nulle envie. 

Mellin de Saint-Gelais
(1491-1558),
Oeuvres,
1547.

 

 

 

 

 

Marie, vous avés la joue aussi vermeille,
Qu'une rose de Mai, vous avés les cheveux,
De couleur chastaigne, entrefrisés de neus,
Gentement tortillés tout-au-tour de l'oreille.

Quand vous estiés petite, une mignarde abeille
Dans vos lèvres forma son dous miel savoureus,
Amour laissa ses traits dans vos yeus rigoreus,
Pithon vous feit la vois à nulle autre pareille.

Vous avès les tétins comme deus mons de lait,
Caillé bien blanchement sus du jonc nouvelet
Qu'une jeune pucelle au mois de Juin façonne :

De Junon sont vos bras, des Graces votre sein,
Vous avés de l'Aurore & le front, & la main,
Mais vous avés le coeur d'une fière lionne.

Ronsard,
Continuation des Amours
,
Sonnet X, 1555

 

 

 

 

O beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
O front crespe et serein ! et vous face dorée !
O beaux yeux de cristal ! ô grand'bouche honorée, 
Qui d'un large reply retrousses tes deux bords ! 

O belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui faites d'un seul ris toute âme énamourée ! 
O gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !

O beaux  ongles dorés ! ô main courte, et grassette ! 
O cuisse délicate ! et vous jambe grossette, 
Et ce que je ne puis honnestement nommer !

O beau corps transparent ! ô beaux membres de glace ! 
O divines beauté ! pardonnez-moi, de grace,
Si, pour estre mortel, je ne vous ose aimer.   

Du Bellay,
Les Regrets
, 1556,
Sonnet 91

 

 

 

 

L'anatomie de l'oeil

 

L'oeil est dans un château que ceignent les frontières
De ce petit vallon clos de deux boulevards.
Il a pour pont-levis les mouvantes paupières,
Le cil pour garde-corps, les sourcils pour remparts.

Il comprend trois humeurs, l'aqueuse, la vitrée,
Et celle de cristal qui nage entre les deux :
Mais ce corps délicat ne peut souffrir l'entrée
A cela que nature a fait de nébuleux.

Six tuniques tenant notre oeil en consistance,
L'empêche de glisser parmi ses mouvements,
Et les tendons poreux apportent la substance
Qui le garde, et nourrit tous ses compartiments.

Quatre muscles sont droits, et deux autres obliques,
Communiquant à l'oeil sa prompte agilité,
Mais par la liaison qui joint les nerfs optiques,
Il est ferme toujours dans sa mobilité. 

Bref, l'oeil mesurant tout d'une même mesure,
A soi-même inconnu, connait tout l'univers,
Et conçoit dans l'enclos de sa ronde figure
Le rond et le carré, le droit et le travers. 

Toutefois ce flambeau qui conduit notre vie,
De l'obscur de ce corps emprunte sa clarté :
Nous serons donc ce corps, vous serez l'oeil, Marie,
Qui prenez de l'impur votre pure beauté.

 Pierre de Marbeuf
(1596-vers 1635)

 

 

 

 

Sonnet



Vous faites voir des os quand vous riez, Heleine,
Dont les uns sont entiers et ne sont gueres blancs ;
Les autres, des fragmens noirs comme de l'ebene
Et tous, entiers ou non, cariez et tremblans.

Comme dans la gencive ils ne tiennent qu'à peine
Et que vous esclattez à vous rompre les flancs,
Non seulement la toux, mais vostre seule haleine
Peut les mettre à vos pieds, deschaussez et sanglans.

Ne vous meslez donc plus du mestier de rieuse ;
Frequentez les convois et devenez pleureuse :
D'un si fidel avis faites vostre profit.

Mais vous riez encore et vous branlez la teste !
Riez tout vostre soul, riez, vilaine beste :
Pourveu que vous creviez de rire, il me suffit.

 

Paul Scarron (1610-1660)

 

 

 

 

L'union libre

 

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu 

André Breton (1896-1966), 
extrait de Clair de terre, 1931.

 

 

 

 

La courbe de tes yeux...

 

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

 

Paul Eluard (1895-1952),
 extrait de Capitale de la douleur.

 

 

 

 

 

 

LE BLASON

 

 

Ayant avecque lui toujours fait bon ménage,
J'eusse aimé célébrer, sans être inconvenant,
Tendre corps féminin, ton plus bel apanage,
Que tous ceux qui l'ont vu disent hallucinant.

Ç'eût été mon ultime chant, mon chant du cygne
Mon dernier billet doux, mon message d'adieu.
Or, malheureusement, les mots qui le désignent
Le disputent à l'exécrable, à l'odieux.

C'est la grande pitié de la langue française,
C'est son talon d'Achille et c'est son déshonneur,
De n'offrir que des mots entachés de bassesse
À cet incomparable instrument de bonheur.

Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c'est fort malencontreux
Que ta fleur la plus douce et la plus érotique
Et la plus enivrante en ait un si scabreux.

Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres, pas plus, familier, coutumier,
Il est inexplicable, il est irrévocable,
Honte à celui-là qui l'employa le premier.

Honte à celui-là qui, par dépit, par gageure,
Dota du même terme, en son fiel venimeux,
Ce grand ami de l'homme et la cinglante injure,
Celui-là, c'est probable, en était un fameux.

Misogyne à coup sûr, asexué sans doute,
Au charme de Vénus absolument rétif,
Était ce bougre qui, toute honte bu', toute,
Fit ce rapprochement, d'ailleurs intempestif.

La malepeste soit de cette homonymie!
C'est injuste, madame, et c'est désobligeant
Que ce morceau de roi de votre anatomie
Porte le même nom qu'une foule de gens.

Fasse le ciel qu'un jour, dans un trait de génie,
Un poète inspiré, que Pégase soutient,
Donne, effaçant d'un coup des siècles d'avanie,
À cette vrai' merveille un joli nom chrétien.

En attendant, madame, il semblerait dommage,
Et vos admirateurs en seraient tous peinés,
D'aller perdre de vu' que, pour lui rendre hommage,
Il est d'autres moyens et que je les connais,

Et que je les connais.

 

Georges Brassens
(figure sur l'album Mourir pour des idées 1960-62)