Le sonnet
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D'origine
italienne (XIII° siècle), il s'est implanté dans toute l'Europe au cours de
la Renaissance. En France, les poètes du XVI° siècle, Marot, Du Bellay,
Ronsard, Louise Labé en ont fait leur genre de prédilection. Les poètes de la
deuxième moitié du XIX° siècle (Baudelaire,
Gautier, les parnassiens), le
remettent à la mode.
Le
Sonnet est un "poème à forme fixe". Il suit obligatoirement une règle
d'organisation strophique fondée sur la succession de deux quatrains et de deux tercets.
Le
système de rimes obéit à certaines contraintes qui ont cependant beaucoup
varié avec le temps, et selon les traditions nationales. Pour les quatrains,
jusqu'au XVI° siècle, l'usage dominant est la rime embrassée (abba / abba)
identique dans les deux strophes (mais Shakespeare pratique : abab / cdcd). Pour
les tercets, il n'y a pas de règle mais un usage différent selon les poètes
ou les traditions nationales : rimes italiennes (cdc /
dcd); françaises (ccd /ede); marotiques (ccd / eed); shakespeariennes (efef / gg). Au XIX° siècle
l'usage se diversifie considérablement : Baudelaire pratique des systèmes de
rimes différents d'un sonnet à l'autre. Banville, plus orthodoxe, paraît
archaïque (voir ci-dessous son Petit traité du sonnet).
Au delà de ces règles,
le Sonnet respecte plus ou moins certaines modalités de construction qui
constituent un art de la composition, indissociable du genre :
- la chute : le dernier vers du sonnet doit apparaître comme une brève
conclusion, brillamment formulée. Ce sera une image expressive résumant le tableau décrit par
le poème, une formule satirique spirituelle (une "pointe"), un effet
de surprise, une sorte de morale éclairant le sens du texte, etc... (voir sur
ce point le développement de Banville dans son Petit traité du sonnet).
- la division du sonnet en deux blocs : bloc des quatrains,
bloc des tercets. Quatrains et tercets déterminent souvent deux parties qui
peuvent être :
- la progression : certains sonnets sont moins fondés sur une
division en deux blocs que sur une progression constante orientée vers la
chute. Exemples : Marcher
d'un grave pas, et d'un grave sourcil, de Du Bellay; Le
dormeur du val de Rimbaud.
Théodore de Banville, Petit traité
sur le Sonnet
Le Sonnet est toujours composé de deux quatrains et
de deux tercets.
Dans le Sonnet régulier - riment ensemble :
1° le premier, le quatrième vers du premier quatrain
; le premier et le quatrième vers du second quatrain ;
2° le second, le troisième vers du premier quatrain ; le second et le
troisième vers du second quatrain ;
3° le premier et le second vers du premier tercet ;
4° le troisième vers du premier tercet et le second vers du second
tercet ;
5° le premier et le troisième vers du second tercet.
Si l'on introduit dans cet arrangement une
modification quelconque,
Si l'on écrit les deux quatrains sur des rimes différentes,
Si l'on commence par les deux tercets, pour finir par les deux
quatrains,
Si l'on croise les rimes des quatrains
Si l'on fait rimer le troisième vers du premier tercet avec le troisième
vers du deuxième tercet - ou encore le premier vers du premier tercet
avec le premier vers du du deuxième tercet,
Si enfin on s'écarte, pour si peu que ce soit, du type classique,
Le Sonnet est irrégulier.
(...)
Le dernier vers du Sonnet doit contenir un trait -
exquis, ou surprenant, ou excitant l'admiration par sa justesse et par
sa force.
Lamartine disait qu'il doit suffire de lire le dernier vers d'un Sonnet
; car, ajoutait-il, un Sonnet n'existe pas si la pensée n'en est pas
violemment et ingénieusement résumée dans le dernier vers.
Le poète des Harmonies partait d'une prémisse très juste, mais
il en tirait une conclusion absolument fausse.
OUI, le dernier vers du Sonnet doit contenir la pensée
du Sonnet tout entière. - NON, il n'est pas vrai qu'à cause de cela il
soit superflu de lire les treize premiers vers du Sonnet. Car dans toute
oeuvre d'art, ce qui intéresse, c'est l'adresse de l'ouvrier, et il est
on ne peut plus intéressant de voir :
Comment il a développé d'abord la pensée qu'il
devait résumer ensuite,
Et comment il a amené ce trait extraordinaire du
quatorzième vers - qui cesserait d'être extraordinaire s'il avait
poussé comme un champignon.
Enfin, un Sonnet doit ressembler à une comédie bien
faite, en ceci que chaque mot des quatrains doit faire deviner - dans
une certaine mesure - le trait final, et que cependant ce trait final
doit surprendre le lecteur - non par la pensée qu'il exprime et que le
lecteur a devinée -, mais par la beauté, la hardiesse et le bonheur de
l'expression. C'est ainsi qu'au théâtre un beau dénouement emporte le
succès, non parce que le spectateur ne l'a pas prévu - il faut qu'il
l'ait prévu -, mais parce que le poète a revêtu ce dénouement d'une
forme plus étrange et plus saisissante que ce qu'on pouvait imaginer
d'avance.
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Ronsard,
Amours de Marie, 1556.
Comme on
voit sur la branche, au mois de mai, la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'aube, de ses pleurs, au point du jour l'arrose;
La Grâce dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d'odeur;
Mais, battue ou de pluie ou d'excessive ardeur,
Languissante, elle meurt, feuille à feuille déclose;
Ainsi, en ta
première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.
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Joachim
du Bellay, Les Regrets, 1558.
Las (1), où
est maintenant ce mépris de Fortune(2) ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l'immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
Où sont ces
doux plaisirs, qu'au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu'en liberté
Dessus le vert tapis d'un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la Lune ?
Maintenant
la Fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur qui soulait(3) être maître de soi
Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient(4).
De la postérité
je n'ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges(5), s'enfuient.
________
(1) hélas. (2) personnification du destin.
(3)
avait l'habitude de. (4) me tourmentent.
(5) étrangères.
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Joachim
du Bellay, Les Regrets, 1558.
Marcher d'un
grave pas, et d'un grave sourcil,
Et d'un grave souris (1) à chacun faire fête,
Balancer (2) tous ses mots, répondre de la tête,
Avec un Messer non, ou bien un Messer si :
Entremêler souvent un petit E cosi, (3)
Et d'un Son Servitor (4) contrefaire l'honnête,
Et comme si l'on eût sa part en la conquête (5),
Discourir sur Florence, et sur Naples aussi :
Seigneuriser chacun d'un baisement de main,
Et suivant la façon du courtisan Romain,
Cacher sa pauvreté d'une brave apparence :
Voilà de cette cour (6) la plus grande vertu,
Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vêtu,
Sans barbe (7)
et sans argent on s'en retourne en France.
_______
(1) sourire. (2) peser. (3) C’est ainsi
(approbateur)
(4) Je suis votre serviteur.
(5) de l’Italie par les
rois de France.
(6) il s’agit de la cour romaine, celle du pape .
(7) il a contracté une maladie, la pelade.
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