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Le sonnet | Les blasons | Versification
| Soleil et Chair
Un
des 22 poèmes du recueil de Douai
On connaît l'histoire.
Pendant les grandes vacances de l'année 1870, le lycéen Arthur Rimbaud, qui
vient de rafler les plus hautes distinctions à la distribution des prix du
"Collège Municipal" de Charleville (Ardennes), décide d'abandonner
le foyer familial. 29 Août : départ pour Paris. Incarcération pour
vagabondage à la prison de Mazas. 6 Septembre : lettre désespérée à son
ancien professeur de rhétorique, Georges Izambard (22 ans) qui le fait libérer
et l'accueille dans sa maison familiale de Douai.
Le 26 (ou le 27) Septembre, à la veille de regagner Charleville sur les
instances de "la Mother" (c'est ainsi que le jeune homme appelle fréquemment
Mme Rimbaud), Arthur se rend chez un ami de son
professeur, le poète et éditeur Paul Demeny, auteur d'un recueil de poésies
intitulé Les Glaneuses (que Rimbaud n'appréciait pas beaucoup : voir sa
lettre du 25 août à Izambard ). L'auteur des "Glaneuses" est absent.
A.R. dépose à son domicile une liasse de feuilles de papier sur lesquelles il
a soigneusement recopié divers poèmes. Pour tout commentaire, un message hâtivement
griffonné au dos de "Soleil et Chair"
: "Je viens pour vous dire adieu, je ne vous trouve pas chez
vous…" Avec quelles intentions Rimbaud confie-t-il ces textes à Paul
Demeny? Le billet ne le dit pas. Sans doute dans l'espoir d'une édition.
Ces poèmes ne furent jamais publiés (de façon générale, aucune oeuvre de
Rimbaud ne trouva éditeur du vivant de son auteur). Mais ils sont considérés
aujourd'hui comme les premières manifestations d'un étincelant génie poétique.
Vénus Anadyomène est un des 22 textes du Recueil de Douai. L'un des
deux manuscrits autographes que nous en possédons (celui qui était en
possession de Georges Izambard) porte la date du 27 juillet 1870. C'est une
copie légèrement ultérieure, très légèrement corrigée (celle de Douai) qui sert de référence aux
éditeurs de Rimbaud.
Un
poème parodique
Rimbaud utilise dans ce poème le cadre traditionnel du "sonnet" pour se livrer à une féroce parodie d'un
thème mythologique.
Sur le genre
du sonnet, voir les rubriques : Le Sonnet et Versification.
La parodie consiste dans
l’imitation satirique d’un texte ou d’une image, qui les détourne de
leurs intentions initiales afin de produire un effet comique.
Tel est bien le principe suivi par Rimbaud dans ce poème. Comme
l’indique le titre, il prend pour thème la naissance d’Aphrodite
(Vénus Anadyomène signifie « Vénus née des flots »), récit
universellement connu par ses expressions littéraires et picturales.
Voir
les rubriques : Images, Mythologie
Mais, en opposition avec ce modèle, il se donne pour objectif de
produire une image dégradante du corps féminin. Une sorte de
"contre-blason". Pour ce faire, il baptise du nom de Vénus un
personnage qui ressemblerait plutôt à l'une de ces prostituées évoquées par
le poète Albert Glatigny dans Les
Antres malsains (1870). Rimbaud a manifestement emprunté à ce texte
divers détails utilisés dans la description du corps flétri de sa
baigneuse.
Sur cette notion, voir la rubrique : Blasons.
Quelques mois avant d’écrire ce texte, Rimbaud
s’était adonné avec Soleil et Chair à l’exercice contraire :
un éloge classique d’Aphrodite, très proche de l’image d’Épinal ressassée
par les peintres pompiers du XIX° siècle et par les poètes
parnassiens. Théophile
Gautier, dés 1835, plaçait dans la bouche du héros de son roman Mademoiselle
de Maupin une opposition entre Vénus et la Vierge, entre la nudité sans
honte de la déesse antique et la pudeur, "invention moderne, fille du
mépris chrétien de la forme et de la matière". Leconte de Lisle, Théodore de Banville,
de leur côté, s'étaient fait une spécialité de la célébration de l'Éternel
Féminin à travers les déesses de l'Antiquité et les grandes héroïnes de la
littérature. Rimbaud, en brillant helléniste et latiniste qu'il était, se trouvait tout à fait à son aise dans cet exercice de
style mythologique.
Voir la rubrique : Soleil
et Chair.
Mais simultanément, la lucidité et l'impertinence de ses quinze ans lui firent
sans doute apercevoir ce que cette mode de l'Antique avait d'un peu
grandiloquent. Dans ce sens, Vénus Anadyomène peut être considéré comme un
exercice d'autodérision et d'autoparodie. Ou bien faut-il prendre ce poème davantage au sérieux,
y découvrir un accès de misogynie consécutif à quelque déboire amoureux
dans le genre de celui que raconte Rimbaud dans Les réparties de Nina ?
En tout cas, l’exercice est réussi, la
provocation fait mouche, ce lyrisme de la laideur peut choquer – c’est son
but - mais il ne laisse pas indifférent.
On trouve dans l'œuvre de Rimbaud un autre exemple de "célébration
critique" du culte de Vénus dans un quatrain sans titre de 1871.
Vous pouvez vous reporter à : L'étoile
a pleuré rose ...
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