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Rimbaud, le poète (accueil)
> Bibliographie commentée / Essais
ESSAIS :
Divers essais peuvent illustrer les différentes époques et les
différentes méthodes de la critique rimbaldienne. Je propose
ci-dessous quelques titres, en revendiquant un total parti pris de subjectivité
(ne serait-ce que parce que je n'ai pas tout lu). Je cite ce
qui m'a plu, en justifiant laconiquement mon choix :
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Jacques Rivière, Rimbaud, Kra, 1930 (réédité et
accompagné de plusieurs autres textes sous le
titre Rimbaud : Dossier 1905-1925, NRF, 1977).
"On peut le dire presque sans métaphore : Rimbaud c'est l'être exempt
du péché originel".
"Quel est l'objet que nous montre Rimbaud ? Non pas un autre monde
mais celui-ci en tant que l'autre le désorganise [...] Les
Illuminations surprennent notre monde en train de céder à
l'autre." Une expérience mystique donc : le "mystique à l'état sauvage", façon
Claudel. Doctrine délirante, mais exposée de façon brillante et passionnée.
En outre, il sera beaucoup pardonné à l'auteur pour avoir écrit en décembre
1923, à son ami E.-R. Curtius : "[...] je vous dirai entre nous que je suis arrivé
à douter de l'interprétation des Illuminations que j'avais
d'abord échafaudée : leur caractère mystique a cessé de me frapper."
(NRF, nov. 1931, n°828).
Étiemble et Yassu Gauclère, Rimbaud,
Gallimard, 1936, révisé en 1950, 1966 (rééd., coll. «NRF
Essais», 1991).
Un Rimbaud qui aurait été moins
mystique que communard, et surtout poète, avant de "se convertir à la science, théorique et surtout
appliquée". L'éloge de "l'ingénieur" et de
"l'explorateur" sur quoi s'achève le livre est ce qu'Étiemble dira regretter
quelque peu lorsqu'il rééditera son essai "vingt ans après". Ce
livre reste attachant par la sympathie profonde qu'on y ressent pour l'homme
Rimbaud aussi bien que pour l'approche souvent
féconde de l'œuvre : "le premier essai de thématique objective
et raisonnée" (A.Guyaux, "Aspects de la
réception des Illuminations", RHLF, 1987).
Étiemble, Le Mythe de Rimbaud, Gallimard, Bibliothèque
des idées.
Vol.1, Genèse du mythe 1869-1949 (1954). Vol.2, Structure
du mythe (1952).
Soutenue à la Sorbonne en 1952, la
thèse d'Étiemble dénonçait les contresens de lecture et les
tentatives d'appropriation idéologique dont l'œuvre de Rimbaud,
depuis son origine, avait été l'objet. Notamment l'idée d'un Rimbaud
catholique, ou mystique, ou christique... Cette vaste entreprise d'hygiène
des lettres a contribué à ce que la critique
rimbaldienne, dans la seconde moitié du vingtième siècle, remette
quelque peu les pieds sur terre et se centre davantage sur
l'étude des textes. Dommage que le second tome, au moins, de cet ouvrage
n'ait pas été réédité depuis longtemps et ne soit plus accessible,
car les mêmes sottises (ou à peu près) continuent de courir et on aurait bien besoin d'un nouvel Étiemble pour "ramasser le fouet de la
satire".
Jean-Pierre Richard, Rimbaud ou la
poésie du devenir, dans Poésie et profondeur, Seuil, 1955
(rééd., coll. «Points Essais», 1976).
Représentant par
excellence de la "critique thématique", J-P. R.
analyse l'imaginaire rimbaldien, les "schèmes
sensibles" qui se répètent et donnent forme à sa
création : "les pages les plus pénétrantes qui aient
jamais été consacrées à Rimbaud" (Pierre Brunel, Rimbaud,
Livre de poche - Références, 2002, p.170).
Yves Bonnefoy, Rimbaud par lui-même, Seuil, 1961.
Repris en 2009 dans
Notre besoin de Rimbaud, Le Seuil, collection "La librairie
du XXe siècle", en même temps que cinq ou six articles,
interviews et préfaces de l'auteur.
Un maître-livre : une sorte de biographie intérieure de Rimbaud à
travers son œuvre, fruit d'une fraternité littéraire entre deux
poètes. Le meilleur choix, peut-être, de première lecture, pour
l'amateur désireux d'une approche globale biographique et
littéraire. Certaines des hypothèses sur lesquelles le
livre est bâti (le retour vers la religion dont témoigneraient les
poèmes de 72, l’usage de la drogue pour dégager les sens et
dynamiser l’imagination créatrice) restent cependant peu
convaincantes.
Atle Kittang, Discours et
jeu. Essai d'analyse des textes d'Arthur Rimbaud, Presses
universitaires de Grenoble - Universitetsforlaget, 1975.
Cet ouvrage d'un universitaire
norvégien est le plus séduisant (et le plus développé : 350 p.) des travaux
d'inspiration structuraliste consacrés à Rimbaud dans les années 60-80.
La méthode utilisée relève en bonne part de la critique thématique
façon J.-P. Richard. Mais, dans le champ du rimbaldisme, elle rejoint ce qu'on pourrait
appeler "l'école de l'illisibilité". Rimbaud, selon
Kittang,
refuse de se plier aux impératifs de la communication
et de l'expressivité pour échapper à la "clôture historico-idéologique"
du romantisme.
Il soumet une
thématique
largement marquée par cet héritage à des "jeux scripturaux" destinés à
désorienter le lecteur. Le "texte non-communicatif", tel qu'il
le pratique, se caractérise par une "écriture de dispersion", fondée
"sur un principe centrifuge et désagrégeant".
Pierre Brunel, Rimbaud, projets et réalisations,
Champion, 1983.
Un aperçu novateur sur l'itinéraire rimbaldien, vu comme une
succession de recueils ou projets poétiques plus ou moins aboutis.
L'indispensable mise au point sur la chronologie de l'œuvre (à
compléter avec les introductions et notices rédigées par Pierre
Brunel pour son édition Rimbaud à la Pochothèque). Lorsque
cet ouvrage parut en 1983, écrit Steve Murphy, "il s'agissait
d'un ouvrage décisif où les remarques précises mais aussi les
perspectives d'ensemble nouvelles proliféraient, le livre étant
devenu un véritable programme pour l'élaboration de nouvelles
stratégies éditoriales" (S.M., "Éditer Rimbaud", A.R. à l'aube d'un nouveau siècle,
Klincksieck, 2006, p.80).
Anne-Emmanuelle Berger,
Le Banquet de Rimbaud. Recherches sur l'oralité, Champ
Vallon, 1992.
Conjuguant l'approche psychanalytique
et l'étude littéraire, cet essai thématique contient de stimulantes
propositions d'interprétation pour des textes comme "Ce qu'on dit au
poète à propos de fleurs...", "Oraison du soir", "L'orgie
parisienne", "Le coeur supplicié" ... Selon l'auteure, l'expérience
lyrique est liée chez Rimbaud à la recherche d'une satisfaction
orale (faims, soifs...). Mais la Beauté est une amère putain, comme
le suggère d'emblée le narrateur d'Une saison en enfer, ce
qui induit dans l'œuvre de Rimbaud-Alcide Bava une véritable
"poétique du dégoût" et "l'expression d'un érotisme polymorphe
caractérisé par la prédominance de pulsions primaires orales et
anales", ou encore d'"une libido infantile ou perverse dont les
dérèglements empêchent le relèvement de l'idole" (p.86).
Michel Murat, L'Art
de Rimbaud, José Corti, 2002.
Ouvrage
remarquable, centré sur les questions de forme. Dans l’étude du
vers, l’art de Michel Murat consiste à replacer Rimbaud dans son
contexte historique et à définir très précisément ses audaces par
des comparaisons statistiques avec la pratique de ses aînés
immédiats (Hugo, Baudelaire, Verlaine). Selon lui, l’auteur des Illuminations
(contrairement à Baudelaire, par exemple) cherche à maintenir dans
ses poèmes en prose ce qui caractérise la langue des vers,
c’est-à-dire la construction de « régularités », en expérimentant
des formes poétiques nouvelles (la disposition en brefs alinéas, ou en vers libres)
et en s’appuyant sur les formes de la langue, mises en évidences par
toute une série de procédés (répétitions avec variations,
développements par membres parallèles...). Le travail
poétique « se fait directement dans la langue, sans la médiation du
vers et de la mémoire dont il est dépositaire » (p.465).

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