MANUSCRITS FORAIN DES POÈMES DE MAI 1872
Ces poèmes ont été confiés par Rimbaud à son ami Louis Forain en
juillet 1872 au moment du départ pour la Belgique, en même
temps que tout un groupe d'autres textes (dossier Verlaine de 71-début
72). Partant pour son service militaire
en avril 1874, Forain confia l'archive à son ami Bertrand Millanvoye
(comédien et homme de lettres) qui la céda en 1911 au politicien et
collectionneur Louis Barthou. L'ordre dans lequel les quatre poèmes sont classés ici
correspond à celui de la liste Barthou dressée par Berrichon en 1912
(SM-IV, p.560). Rien ne prouve que ces poèmes aient constitué
pour Rimbaud un ensemble. Cependant, ils attestent une convergence
thématique qui a fait parler à leur propos de "cycle de la soif".
Ils ont tous, écrit Murphy, "un rapport évident avec des substances
liquides, tantôt des boissons désirées ou utopiques, tantôt des
boissons déceptives ou dégoûtantes" (SM-I p.780).
Dans les éditions anciennes, ces textes datés mai 1872 étaient rangés dans
ce qu'on appelait les "derniers vers". Les éditeurs utilisaient jadis
les titres Derniers Vers ou Vers nouveaux et Chansons, qui
ne sont pas de Rimbaud, pour désigner ces poèmes de 1872 (et 1873 ?).
Cette tradition, jugée non scientifique, s'est ensuite perdue. La
récente Pléiade d'André Guyaux, qui se veut d'abord chronologique, les place en tête des vers de 1872-début 1873, tout
de suite après Les Mains de Jeanne-Marie daté "février 1872" et
en contiguïté avec les quatre poèmes du "cycle de la patience" datés mai
et juin 1872 (manuscrits Richepin).
Ces textes des manuscrits Forain et Richepin de 1872 possèdent des versions alternatives
qu'on trouvera ici sous la mention
pièces en vers du "dossier de 1886". Ce sont pour la plupart des versions sans titres, sans
majuscules en début de vers, et plus ou moins déponctuées. Non datées.
Du fait qu'elles aient appartenu au groupe des pièces rimbaldiennes
confiées à la revue La Vogue en 1886, on déduit qu'elles ont du
être rédigées après le départ des deux poètes pour l'Angleterre en
juillet 72 et sont restées en possession de Verlaine après la crise de
Bruxelles.
"Les manuscrits remis à Forain et Richepin, écrit Steve
Murphy, semblent bien
précéder ceux du dossier de 1886, ce qu'on peut inférer des
circonstances de leur transmission étant conforté par l'analyse
graphologique de ces documents" (SM-IV, 92).
Les poèmes des manuscrits Forain
ont été révélés par diverses éditions de Berrichon, dans les
années 1910-1920, bien après, par conséquent, leurs versions
alternatives des archives Verlaine, parues en 1886, sous le titre Les
Illuminations, dans la revue La
Vogue (sauf "À quatre heures du matin, l'été..." qui
dut attendre 1912 pour être publié par Berrichon).
Facsimilés consultables dans la
numérisation du volume Arthur Rimbaud
Poésie de la série Manuscrits des maîtres,
notice de Berrichon, Albert Messein, 1919.
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Comédie de la Soif
Bonne Pensée du matin
La Rivière de Cassis
Larme
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Autographe donné par Rimbaud à
Louis Forain. BNF.
Il existe
trois versions autographes de "Comédie de la Soif" :
- La première (ci-contre), datée de mai 1872, est celle de
Forain.
- La seconde porte le titre Enfer de la Soif.
Probablement postérieur à la version Forain conservée par la
BNF, ce manuscrit est dispersé entre une collection particulière
inconnue et la Fondation Bodmer (Cologny, près de Genève). SM-IV
en publie pour la première fois le fac-similé complet
(p.366-368).
Quelques variantes de cette version :
1. v.15 (+ ponctuation : v.7, 10, 11, 19, 20, 21).
2. Sous-titre. v.15 + ponctuation et majuscules : v.2, 3, 4,
5, 7.
3. Sous-titre. v.3 + ponctuation et majuscules : v.1, 4, 5,
8, 10, 11.
4. Sous-titre. v.3 + ponctuation : v.5, 6, 7, 10, 11, 15.
5. Pas de sous-titre. v.6 + ponctuation : v.1, 2, 3, 4, 5,
6, 8.
Voir cette version : Enfer de la soif >
Pièces de vers du "dossier de 1886"
- La troisième est la version sans
titre ayant servi à la publication des Illuminations dans
La Vogue, en 1886. Elle appartient à la collection Pierre
Berès. Elle est probablement postérieure aux deux
précédentes.
Principales variantes de cette version
:
Les subdivisions numérotées ont disparu.
[1]. v.3 : De la terre (De la lune) ; v.15 : ou le lait (et le
lait) ;
[2]. v.15 : sans gueule (sans gueules) ;
[3]. v.6 : absinthe (Absinthe).
[4]. v.3 : bonne ville (vieille Ville) ; v.7 : si jamais
j'ai (si j'ai jamais) ; v.9 : les pays (le Pays).
Voir cette version : "Nous sommes tes grands Parents..." >
Pièces de vers du "dossier de 1886"
Ce
manuscrit a changé de mains lors de la vente du 20.06.06. Le
fac-similé est consultable en format pdf sur :
http://www.bibliorare.com/
cat-vent_beres20-6-06-2-8.pdf
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Comédie de la Soif
1. Les Parents
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Nous sommes tes Grands-Parents,
Les
Grands !
Couverts des froides sueurs
De la lune et des verdures.
Nos vins secs avaient du cœur !
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l'homme ? boire. |
Moi
— Mourir aux
fleuves barbares. |
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Nous sommes tes Grands-Parents
Des champs.
L'eau est au fond des osiers :
Vois le courant du fossé
Autour du Château mouillé.
Descendons en nos celliers ;
Après, le cidre et le lait. |
Moi
— Aller où
boivent les vaches. |
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Nous sommes tes Grands-Parents ;
Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires
Le Thé, le Café, si rares,
Frémissent dans les bouilloires.
— Vois les
images, les fleurs.
Nous rentrons du cimetière. |
Moi
— Ah ! tarir
toutes les urnes ! |
2. L'Esprit
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Éternelles Ondines,
Divisez l'eau fine.
Vénus, sœur de l'azur,
Émeus le flot pur.
Juifs errants de Norwège,
Dites-moi la neige.
Anciens exilés chers,
Dites-moi la mer. |
Moi — |
Non, plus ces boissons pures, |
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Ces fleurs d'eau pour verres ;
Légendes ni figures
Ne me désaltèrent ;
Chansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle
Hydre intime sans gueules
Qui mine et désole. |
3. Les Amis
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Viens, les Vins vont aux plages,
Et les flots par millions !
Vois le Bitter sauvage
Rouler du haut des monts !
Gagnons, pèlerins sages,
L'Absinthe aux verts piliers... |
Moi — |
Plus ces paysages. |
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Qu'est l'ivresse, Amis ?
J'aime autant, mieux, même,
Pourrir dans l'étang,
Sous l'affreuse crème,
Près des bois flottants.
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4. Le pauvre songe
Peut-être un Soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient !
Si mon mal se résigne,
Si j'ai jamais quelque or
Choisirai-je le Nord
Ou le Pays des Vignes ?...
— Ah songer est indigne
Puisque c'est pure perte !
Et si je redeviens
Le voyageur ancien
Jamais l'auberge verte
Ne peut bien m'être ouverte.
5.
Conclusion
Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier, qui court et qui voit la nuit,
Les bêtes des eaux, la bête asservie,
Les derniers papillons !... ont soif aussi.
Mais fondre où fond ce nuage sans guide,
— Oh ! favorisé de ce
qui est frais !
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts ?
Mai 1872.
Sommaire |
Autographe donné
par Rimbaud à Forain.
Musée des Lettres et Manuscrits.
Il existe trois versions de
Bonne pensée du matin :
- La première (ci-contre),
datée de mai 1872, est celle que détenait Louis Forain.
Ce manuscrit a changé de mains lors de la vente Berès du
20.06.06. Le fac-similé est consultable en format pdf sur : http://www.bibliorare.com/cat-vent_beres20-6-06-2-8.pdf
- La seconde est une
version sans titre, où —
entre autres variantes intéressantes — Rimbaud a
allégé la ponctuation et supprimé les majuscules en début de
vers.
La date est inconnue, mais cette présentation quelque peu
subversive suggère une date postérieure à Bonne Pensée
du matin.
Variantes de cette version : v.3, 5, 9, 13, 15.
Voir cette version : "À quatre heures du matin..." >
Pièces de vers du "dossier de 1886"
- La troisième version est celle d'Alchimie du
verbe
Commentaire
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Bonne Pensée du matin
À quatre heures du matin, l'été, Le sommeil d'amour dure encore. Sous les bosquets, l'aube évapore L'odeur du soir fêté.
Mais là-bas dans l'immense chantier Vers le soleil des Hespérides, En bras de chemise, les charpentiers Déjà s'agitent.
Dans leur désert de mousse, tranquilles, Ils préparent les lambris précieux Où la richesse de la ville Rira sous de faux
cieux.
Ah ! pour ces Ouvriers charmants Sujets d'un roi de Babylone, Vénus ! laisse un peu les Amants Dont l'âme est
en couronne.
Ô Reine des Bergers ! Porte aux travailleurs l'eau-de-vie, Pour que leurs forces soient en paix En attendant le bain dans la mer, à midi.
Mai 1872
Sommaire |
Autographe
donné par Rimbaud à Louis Forain. BNF.
Il existe deux versions de La Rivière de Cassis :
- le manuscrit, daté de mai 1872, qui fut
d'abord détenu par Forain (ci-contre).
- une version sans titre, qui a servi à
l'édition des Illuminations
dans La Vogue en 1886.
Variantes de cette version : v.2, 6, 8
(Attention : LF, 476, signale deux variantes erronées aux vers
10 et 15). Entre
autres variantes intéressantes, on remarque que Rimbaud a
allégé la ponctuation et supprimé les majuscules en début de
vers.
La date est inconnue, mais cette
présentation quelque peu subversive suggère une date postérieure
à Larme.
Voir cette version : "La rivière de cassis roule..." >
Pièces de vers du "dossier de 1886"
Ce manuscrit a changé de mains lors de la vente
Berès du 20.06.06. Le fac-similé est consultable en format pdf
sur :
http://www.bibliorare.com/cat-vent_
beres20-6-06-2-8.pdf
Commentaire
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La Rivière de Cassis
La Rivière de Cassis roule ignorée En des vaux
étranges : La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie Et bonne
voix d'anges : Avec les grands mouvements des sapinaies Quand
plusieurs vents plongent.
Tout roule avec des mystères révoltants De
campagnes d'anciens temps ; De donjons visités, de parcs importants : C'est en
ces bords qu'on entend Les passions mortes des chevaliers errants : Mais que
salubre est le vent.
Que le piéton regarde à ces claires-voies : Il ira plus
courageux. Soldats des forêts que le Seigneur envoie, Chers
corbeaux délicieux ! Faites fuir d'ici le paysan matois Qui trinque
d'un moignon vieux.
Mai 1872.
Sommaire
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Autographe donné par
Rimbaud à Louis Forain. Collection Berès.
Il existe trois
versions de Larme :
- le manuscrit, daté de mai 1872, qui fut d'abord détenu par
Forain (ci-contre).
Ce manuscrit a changé de mains lors de la
vente Berès du 20.06.06. Le fac-similé est consultable en format
pdf sur : http://www.bibliorare.com/cat-ventberes20-6-06-2-8.pdf
- une
version sans titre, qui a servi à l'édition des Illuminations
dans La vogue en
1886.
Variantes de cette version : v.2, 7, 8, 9, 14. Entre autres variantes intéressantes,
on remarque que Rimbaud a
allégé la ponctuation et supprimé les majuscules en début de
vers.
La date est inconnue, mais cette présentation quelque peu
subversive suggère une date postérieure à Larme.
Voir cette version : "Loin des oiseaux..." >
Pièces de vers du "dossier de 1886"
- la version d'Alchimie
du verbe
Commentaire
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Larme
Loin des oiseaux, des
troupeaux, des villageoises, Je buvais, accroupi dans quelque bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Par un brouillard d'après-midi tiède et vert.
Que pouvais-je boire dans
cette jeune Oise, Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert. Que tirais-je à la gourde de colocase ? Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer.
Tel, j'eusse été mauvaise
enseigne d'auberge. Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir. Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches, Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.
L'eau des bois se perdait
sur des sables vierges, Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares... Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages, Dire que je n'ai pas eu souci de boire !
Mai 1872.
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