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Plan du commentaire 1) L'ivresse comme métaphore
du 2) Le modèle de la séance
de haschisch
et sa transgression 3) Le discours de la
"méthode" 4) Une évocation
ironique du "voyant" ? |
Matinée d'ivresse
Ô mon Bien
! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point !
chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps
merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les
rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans
toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons
rendu à l'ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de
ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine
faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse,
cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a
promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de
déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions
notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et
cela finit, —
ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, —
cela finit par une débandade de parfums. |
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La mention "op. cit." renvoie à la bibliographie proposée en fin de page.
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COMMENTAIRE
Pour saluer le Voyant
"Je
sais aujourd'hui saluer la beauté"
"Matinée d'ivresse" n'est donc pas le fruit d'une création en état d'ivresse, ni la transcription d'une vision due au haschisch. Nous montrerons la logique parfaitement maîtrisée d'un discours qui ne doit sa relative obscurité qu'à l'utilisation d'un mode d'expression allégorique (comme presque toujours chez Rimbaud) et son allure décousue qu'à des effets de construction (habituels, eux aussi, sous la plume de cet auteur). Par contre, il serait paradoxal de nier la présence, au centre de ce texte, du thème des "paradis artificiels" et du modèle narratif de la séance de haschich hérités de Gautier et de Baudelaire. Ce sont là, au contraire, les outils littéraires, l'alphabet symbolique pourrions-nous dire, qu'utilise Rimbaud pour construire son discours, non sans s'écarter significativement de ses modèles, et c'est peut-être dans cet écart qu'il faudra chercher le projet principal du poème.
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1) L'ivresse comme métaphore du "dégagement rêvé" a) Le poète révélé à lui-même Dans Le Bateau ivre déjà, l'ivresse était le symbole de la liberté. L'état d'euphorie dû à l'ivresse figurait l'allégresse de celui qui voit s'ouvrir devant lui des horizons inconnus, s'arrache à la monotonie des "fleuves impassibles", perçoit le monde comme un kaléidoscope de scènes à découvrir, d'expériences à vivre, éprouve l'impression de s'affranchir dans l'apesanteur de ses aliénations : Plus léger qu'un bouchon, j'ai dansé sur les flots, ... C'est aussi l'idée contenue dans la fameuse formule du "dégagement rêvé" par laquelle Rimbaud définit le "corps" de son Génie :
Comme l'ivresse du bateau, celle dont il est question dans "Matinée d'ivresse" est synonyme de découverte et de libération. Elle révèle le poète à lui même, elle lui révèle ce que sont (ou seront) ses valeurs : "Ô mon Bien ! Ô mon Beau !". On notera les italiques utilisées pour l'adjectif possessif. S'il faut en croire l'énonciateur, l'ivresse lui a apporté la révélation de sa conception personnelle de l'art (le Beau) et de la vie (le Bien), c'est-à-dire la connaissance de l'autre qu'il a en lui (selon la formule des lettres du voyant : "Je est un autre"). On n'en saura pas beaucoup plus, ici, sur ce que sont le Bien et le Beau de celui qui dit "je" dans le poème, mais on constate qu'il les définit surtout négativement, par opposition aux valeurs communes. C'est que la poésie, comme Rimbaud l'a jadis expliqué dans ces fameuses lettres de 1871, exige de celui qui veut inventer du nouveau qu'il rompe avec la tradition, non seulement dans le domaine esthétique mais aussi sur le plan moral et politique. Là est évidemment l'essentiel du message. b) La Promesse profane de l'ivresse L'illumination reçue dans l'ivresse revêt pour le poète un caractère prophétique que résume bien la notion de "promesse" :
Pour évoquer la "promesse"
en question, Rimbaud emploie de façon
parodique le langage de la ferveur religieuse ("fervemment") et les
mots qu'utilise la théologie pour évoquer la
Promesse messianique du salut et de la vie éternelle.
L'Adoration,
ici, n'est pas celle de Dieu mais celle du
"Génie", qui représente l'Homme (le génie humain).
Quant à la nature de la Promesse, telle qu'elle est rapportée entre
guillemets, elle ne laisse aucun doute sur la signification réelle du
texte : derrière les apparences d'un discours religieux, c'est une
profession de foi rationaliste et révolutionnaire qu'il faut entendre. La
promesse dont il s'agit ici, c'est l'éradication des
"superstitions" (c'est-à-dire avant tout, pour Rimbaud, du
christianisme), la libération des sens ("les "anciens
corps" sont rejetés au profit du "nouveau corps amoureux"
de Being Beauteous"), la fin du mariage et du culte bourgeois
de la famille ("ces ménages"), la rupture avec le passé
("et ces âges"). c) Au delà du Bien et du
Mal
"Déporter
les honnêtetés tyranniques", c'est se débarrasser de la tyrannie
de la morale conventionnelle, celle des "gens honnêtes".
L'ivresse où Rimbaud a puisé cette révolte contre les idées dominantes de la société et de l'art ne doit évidemment rien au vin ni au haschich, c'est bien plutôt sa soif de liberté (la "liberté libre" comme il dit dans sa lettre de 1870 à Théodore de Banville), du nouveau et de l'inconnu, toutes choses qui se confondent pour lui avec la poésie. Car elle a le pouvoir de "changer la vie" et de régénérer le vieil Homme, d'inventer "de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues" ("Adieu"). Il en attend une meilleure connaissance de soi (de son "Bien" et de son "Beau"), un moyen d'accomplir les potentialités qu'il recèle en lui ("L'élégance, la science, la violence !"), de s'affranchir des obstacles que la société et la morale opposent à ses aspirations ("les honnêtetés tyranniques"). C'est au fond le programme général de son aventure poétique, avec les choix existentiels qu'elle commande, tels qu'ils étaient énoncés dans la lettre à Demeny de mai 1871, que Rimbaud résume ici sous la métaphore de l'ivresse.
2) Le modèle de la séance de haschisch et sa transgression Mais, comme l'écrit Antoine Adam : "L'impression complexe qui se dégage de ce poème vient de la confusion que Rimbaud entretient volontairement entre l'aspect matériel et physiologique de l'épisode, et son aspect d'aventure spirituelle" (Pléiade, p.988). De fait, Rimbaud ne se cantonne pas au versant abstrait de l'allégorie, il développe aussi ce qu'on pourrait appeler son pôle réaliste, c'est-à-dire : l'évocation concrète (quoique lacunaire et très condensée) d'une scène d'ivresse. Pour ce faire, il a peut-être puisé dans une expérience personnelle (en ce qui concerne l'alcool, elle est incontestable), mais il semble avoir surtout pris modèle sur un type de récit répertorié dans la littérature de son temps : la séance de haschisch. Il a pu en trouver des exemples chez Théophile Gautier (Le Club des Hachichins, 1846) ou Baudelaire (Les Paradis artificiels, 1860). On observe dans le poème leur schéma narratif traditionnel (évocation de l'extase puis de sa retombée) et de nombreux détails descriptifs qui rappellent de près ces textes d'auteurs célèbres que Rimbaud avait toute chance d'avoir lus. a) L'extase
On notera que Gautier attribue à ses
hallucinés une aisance de mouvement au delà du naturel ("un milieu
qui n'offrait pas de résistance"), comme Rimbaud ("où je ne
trébuche point"). Il évoque la béatitude
paradisiaque par des sensations olfactives ("monde aromal"),
comme Rimbaud ("débandade de parfums"). b) La fin de l'extase La fin de l'expérience, ou ce point culminant qui précède immédiatement la retombée de l'ivresse, qui l'implique et qui l'annonce, sont évoqués à trois reprises par des phrases présentant des structures syntaxiques parallèles : "cela + verbe commencer + sous/par..." / "cela + verbe finir + par...".
On a là un véritable effet de refrain, ce qui montre l'importance accordée par Rimbaud à cette étape du récit : le moment de l'interruption. Il attire ainsi l'attention du lecteur sur une particularité du texte. Ce dénouement déceptif par lequel Rimbaud a coutume de clore ses épiphanies (comme l'a bien montré Alain Badiou dans son article "La méthode Rimbaud : l'interruption", Conditions, Seuil, 1992), ce poème-ci le refuse lorsqu'il affirme :
Mais
n'anticipons pas. Nous reviendrons plus loin sur cette idée essentielle. Quel sens Rimbaud a-t-il voulu que nous donnions à ce motif des "rires des enfants", qu'il reprend au deuxième alinéa du poème : "Rires des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille" ? Ici encore, la lecture exploitant les modèles littéraires est celle qui me paraît la plus convaincante. Baudelaire, dans Les Paradis artificiels, parle d'une "première phase de gaieté enfantine". Gautier, dans Le Club des Hachichins, décrit l'ivresse cannabique comme une énorme crise d'hilarité. Dans ce dernier récit, le narrateur novice qui fait figure de tête de turc de la soirée voit s'assembler en cercle autour de lui, déformées par les effets de la drogue, les faces grotesques de ses compagnons :
Ce "rire frénétique, irrésistible, implacable" entraîne le narrateur dans ce qu'il appelle une "fantasia". Enfin, lorsque l'effet de la drogue se dissipe et que les participants recouvrent la sensation du temps qui, pendant l'extase, leur était apparu comme suspendu, le récit s'achève ainsi :
On voit que la séance, chez Gautier comme chez Rimbaud, se termine dans la même joie enfantine par où elle avait commencé. Il est donc fort vraisemblable que les "enfants" sont, chez Rimbaud comme chez Gautier, les convives de la fête, qui s'amusent comme des enfants. Et si le poète emploie la préposition "sous" ("sous les rires des enfants"), c'est sans doute pour indiquer qu'il est lui-même, comme le narrateur du récit de Gautier, la cible des moqueries de la joyeuse assemblée. Comme l'a suggéré très justement Antoine Fongaro (op. cit. p.161), le passage rappelle celui du Cœur supplicié où le locuteur, au cours de ce qui ressemble beaucoup à une soirée d'orgie, se retrouve :
On a parfois dit que
Le Cœur
supplicié (autrement intitulé "Le Cœur du pitre") était un peu "l'Albatros" de Rimbaud,
c'est à dire une fable sur l'incompréhension dont le poète est la
victime de la part d'un public vulgaire et cruel. Nous retrouvons
dans "Matinée d'ivresse" les mêmes ingrédients : si la
"petite veille d'ivresse" n'est ici, comme nous l'avons
suggéré, qu'une métaphore pour évoquer l'ivresse sacrée du
poète, attelé à la réalisation de "l"oeuvre
inouïe", recevant l'illumination de "(son) Bien" et
de "(son) Beau", on peut en déduire que "les rires
des enfants" sont pour Rimbaud l'équivalent des tortures
infligées à l'albatros par les matelots de Baudelaire et des
supplices imposés au poète par les pioupious ithyphalliques du Cœur
supplicié. La seconde occurrence du motif dans le
deuxième alinéa, où il est aussi question de "l'horreur des
figures et des objets d'ici", confirmera je crois cette
interprétation. Le thème du jeune débauché en position de
victime parmi ses compagnons de débauche se retrouve d'ailleurs,
d'une manière un peu différente (plus abstraite et
décontextualisée), dans une autre
"illumination" : Parade. Parmi
les pitres tragiques qui "paradent"
dans ce poème, "il y a, nous dit Rimbaud, quelques jeunes, —
comment regarderaient-ils Chérubin ? —
pourvus de voix effrayantes et de quelques ressources dangereuses.
On les envoie prendre du dos en ville, affublés d'un luxe dégoûtant".
Prendre du dos signifie apparemment : offrir son dos
au même supplice que celui enduré par le narrateur du Cœur
supplicié de la part des "pioupious" qui ont
"dépravé" son "cœur". Il y a là, semble-t-il, un fil conducteur
reliant ces textes entre eux, et faisant discrètement signe vers ce que nous
croyons savoir du vécu du
poète.
Voilà qui tend à confirmer une certaine ressemblance entre les scènes décrites par ces textes : souvenirs d'une initiation au cours de laquelle l'impétrant dut d'abord passer par l'épreuve du ridicule (du "grotesque") ou d'une forme de dépravation, ou encore, pour reprendre les mots de "Matinée d'ivresse" : de la "rustrerie" et du "dégoût".
La référence aux "dégoûts" initiaux de
l'expérience, lors de la reprise du "refrain", peut s'interpréter selon
les
deux pôles de l'allégorie filée par le texte (celui de la nuit d'ivresse,
celui de l'aventure
existentielle et poétique). André Guyaux rappelle que Baudelaire,
dans le Poème du Haschisch, "évoque une certaine
répulsion à la vue et au premier contact de la matière même, herbe
cuite et recuite, verdâtre" (op. cit. p.75). Pierre Brunel,
quant à lui, et ce n'est pas contradictoire, pense que ces
"dégoûts" sont ceux que Rimbaud laisse percer à plusieurs
reprises dans ses lettres du Voyant à l'égard des conditions pratiques
de l'encrapulement et de "l'immense dérèglement raisonné
de
tous les sens" : "Cette venue du "très pur amour",
écrit Pierre Brunel, ne va pas sans "quelques dégoûts"
préalables (on pense à ce qu'a pu être ce moment de dégoût en 1871,
au moment de l'éclosion du Voyant : il était fortement exprimé dans
"Le Cœur supplicié")." (op.cit. p.235). Lors de la troisième occurrence du "refrain", le mot "rustrerie" (vulgarité) est sans doute un simple équivalent du mot "dégoûts" qui apparaissait dans la précédente. Les "anges de flamme et de glace" sont susceptibles d'être expliqués par référence aux deux pôles complémentaires de l'allégorie du poème. Pour le premier de ces deux aspects (celui de la nuit d'ivresse), on pourra alléguer les sueurs froides qui accompagnent l'impression de fatigue dans la dernière étape de la fièvre cannabique. Ou encore, comme Guyaux, citer Baudelaire :
Pour le second aspect (celui de l'aventure existentielle et poétique), on diagnostiquera une formulation voisine de celles que l'on peut trouver dans la Saison, consistant pour Rimbaud a pasticher la rhétorique chrétienne afin de décrire son aventure poétique sur le mode ambigu d'une montée au ciel (auprès des "anges") qui a fini par ressembler à une descente aux enfers ("flammes" et "glaces") : "Le monde nouveau, tel qu'il a été promis, commente Pierre Brunel, prend à la fois des couleurs de paradis et des couleurs d'enfer" (op. cit. p.259). Quant à la variation qui affecte les temps verbaux, elle laisse le lecteur perplexe. On trouve successivement les combinaisons : passé simple + futur (phrase 1), passé simple + passé simple, probablement (phrase 2), imparfait + présent, solution imposée par le présentatif "voici que" (phrase 3). On pourrait penser que cette variation des temps verbaux correspond à la progression temporelle d'un récit mais ce n'est si simple. Il semble que le poète évoque d'abord la scène d'ivresse en situant l'énonciation pendant le déroulement de l'épisode en question, il en rappelle le début (au passé), il en prévoit la fin (au futur). Rien de plus logique. Puis, comme nous le verrons, le moment de l'énonciation semble se déplacer au lendemain de la scène d'ivresse ("Ô maintenant, nous si dignes ...,etc.") et il est donc logique que le second refrain évoque au passé le début et la fin de l'extase. Mais pourquoi Rimbaud revient-il au présent dans la troisième occurrence du refrain, si ce n'est, précisément, pour un simple effet de refrain sans égard au déroulement logique du temps dans le poème ? Tout cela est un peu complexe, avouons-le, mais le lecteur s'y retrouvera mieux peut-être lorsque nous aurons éclairci l'épineuse question des indications temporelles fournies par le texte. c) Une ivresse qui ne retombe pas Chaque critique, ou presque, commente différemment le mot "matinée" et les indices temporels disparates qui balisent le texte : "petite matinée", "veille", "petite veille", "maintenant", "hier", temps de conjugaison des différents verbes... L'option que je défendrai ici consiste à comprendre le mot "matinée" comme une désignation volontairement insolite, déviante, du matin qui suit l'ivresse. En effet, le choix du terme "matinée" paraît inattendu par rapport au traitement conventionnel de ce genre de scènes. Après l'évocation de la "nuit" d'ivresse ou de l'ivresse d'un "soir", le matin qui suit est plutôt décrit, en général, comme un "réveil" dégrisé et maussade, un lendemain de fête (voir, par exemple le petit poème en prose de Baudelaire : Enivrez-vous, 1867). Tout le sens de ce titre ("Matinée d'ivresse") me paraît résider dans cet infime mais significatif écart par rapport à la norme linguistique. Dans son article "Matinée d'ivresse au miroir des Paradis artificiels" (op. cit.), André Guyaux a étudié le rapport de Rimbaud à l'ouvrage de Baudelaire et remarquablement dégagé l'originalité du poème par rapport à ce probable intertexte :
Cette opposition entre Rimbaud et Baudelaire renvoie à une différence de posture idéologique entre les deux auteurs, mais elle s'explique aussi par une différence de statut entre les deux textes : Rimbaud ne prétend pas écrire, comme Baudelaire, un essai informatif, voire didactique, sur l'usage du haschisch, son texte est un poème, dans lequel la référence à l'ivresse remplit une fonction essentiellement symbolique, et où il est parlé en définitive de tout autre chose que des stupéfiants. Résumons. Le dispositif temporel installé par le poème, selon cette interprétation, permet de repérer deux moments distincts : - Le premier, désigné par le mot "veille" : "petite veille d'ivresse, sainte !", célèbre et sanctifie la brève ("petite") mais précieuse ("sainte") expérience d'illumination octroyée par l'ivresse ("Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! [...] Hourra pour l'œuvre inouïe [...]") et la présente à plusieurs reprises comme un moment révolu (cela finit / voici que cela finit). Il ne s'agit pas de la veille-de-l'ivresse (pourquoi serait-elle "sainte" dans ce cas ?) mais de la soirée dédiée à l'ivresse qui a précédé ce "maintenant" où Rimbaud situe l'écriture du poème, tout entier consacré au "souvenir de cette veille". - Ce second moment du texte, introduit par l'adverbe "maintenant" ("Ô maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés [...]") paraît coïncider plus spécifiquement avec le sens du titre : c'est la "matinée d'ivresse". Il ne s'agit pas du moment même de l'enivrement, contrairement à ce que croient souvent les commentateurs du texte. Il s'agit de la "matinée" qui suit l'ivresse, mais qui peut encore être désignée comme une "matinée d'ivresse (et non simplement comme un lendemain) parce que le "souvenir", la "promesse", les acquis de l'expérience y restent intacts, au lieu de ce qui se passe dans les récits moralisateurs traditionnels. La survie miraculeuse du "poison" (ou de sa quintessence) au delà du délai normalement imparti à son influence est en effet clairement indiquée dans la phrase : "Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie." Cette phrase révèle ce qui est sans doute l'idée principale du texte. Il y est affirmé que lorsque la "fanfare" tournera, c'est-à-dire lorsque l'effet euphorisant de la drogue cessera et que "nous serons rendu à l'ancienne inharmonie", c'est-à-dire revenu à l'état normal, les ferments de l'ivresse resteront actifs "dans toutes nos veines". La critique a depuis longtemps fait remarquer que le pronom de première personne du pluriel est, dans "Matinée d'ivresse", régulièrement associé à des adjectifs ou des participes au singulier : "nous serons rendu", "nous si digne", "tu nous a gratifié". C'est donc du poète, et de lui seul qu'il s'agit. Et, une fois de plus, nous constatons que l'idée exprimée n'aurait guère de sens s'il s'agissait seulement pour Rimbaud de décrire une expérience du haschisch ou autre hallucinogène. Cette révélation dont l'éblouissement sera ineffaçable dans la conscience du locuteur, c'est celle de la Promesse que nous avons analysée dans la première partie de ce commentaire, celle, pour le poète, de son "Bien" et de son "Beau", celle de "l'œuvre inouïe" qu'il a entrevue. C'est donc l'aventure poétique tout entière du poète qui s'inaugure dans l'ivresse du lendemain, si bien que ce réveil ébloui peut aussi être considéré comme un "matin" au sens symbolique traditionnel de naissance ou de renaissance qu'on donne souvent à ce mot dans la littérature. La "matinée d'ivresse", et ce n'est pas contradictoire avec le sens de "lendemain d'ivresse" que nous avons précédemment donné à notre titre, est aussi l'entrée triomphale dans une vie placée sous le signe de l'ivresse, c'est à dire de la poésie :
Ainsi s'éclaire, je crois, le but poursuivi par Rimbaud avec ce pastiche des séances de haschich romantiques, but qui réside dans la transgression du modèle moralisateur qui est le leur et l'affirmation un peu provocatrice de ce que l'auteur des Illuminations appelle sa "méthode". "Comme un jeune philosophe s'efforce de dépasser Kant, écrit Albert Thibaudet, il semble que l'effort de Rimbaud consiste à dépasser Baudelaire." ("La Révolution des cinq". La Revue de Paris, 15 août 1934).
3) Le discours de la méthode Le caractère anticonformiste de la méthode rimbaldienne se manifeste par la multiplication de formules paradoxales : le locuteur proclame qu'il a "foi" ... dans le "poison", qu'il vénère l'ivresse ... pour le "masque" dont elle l'a gratifié, qu'il trouve "sacrée" ... l' "horreur des figures et des objets d'ici", qu'il se considère "digne" ... de ces "tortures" et qu'enfin il appelle de ses vœux l'avènement du "temps des Assassins". C'est dans ces maximes singulières qu'il convient d'aller dénicher la pensée du texte. Nous verrons qu'à l'instar de celui du philosophe, le discours de la méthode version Rimbaud ménage une certaine place pour le doute. a) Foi en la poésie "Nous avons foi au poison", déclare le texte. Le mot "poison" revient plusieurs fois dans l'œuvre de Rimbaud, notamment dans sa lettre à Demeny de mai 1871. Dans cette lettre-manifeste, le recours aux "poisons" est déjà cité comme l'élément essentiel d'une méthode, celle du "long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens", grâce à quoi "le Poète se fait voyant" :
La proximité de ce texte avec le nôtre, ne serait-ce qu'au niveau du vocabulaire ("torture", "foi", "poisons", "folie"/démence, "criminel"/Assassins, "Savant"/science, "force"/violence, ...), doit nous encourager à pousser la confrontation. Quel sens a donc le mot "poisons" dans la lettre de 1871 ? Le Poète, dit Rimbaud
:
Nous avons déjà vu que Baudelaire emploie le mot "poison" pour désigner les "paradis artificiels" et que, dans nombre de ses textes, il présente l'usage des alcools et des drogues comme un moyen favorisant la création poétique. Peut-être même Rimbaud a-t-il lu ce passage précis d'un essai de Baudelaire (Edgar Poe, sa vie, ses oeuvres,1856) :
C'est vraisemblablement chez Baudelaire que Rimbaud a trouvé ce modèle du poète maudit qu'il se propose de suivre avec application dans les "lettres du voyant". Son "long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens" a beaucoup à voir avec la "méthode énergique et mortelle" mentionnée dans l'extrait ci-dessus, et cette dernière avec la méthode de l'ivresse célébrée par notre poème : "Petite veille d'ivresse [...] Nous t'affirmons, méthode !"
Interprétée à la lumière des lettres de 1871,
"Matinée d'ivresse" montre donc essentiellement un jeune homme qui, pour se faire
poète, place son espoir dans l'expérimentation de toutes formes de
passions et de drogues, décevantes et trompeuses certes selon Baudelaire,
nous l'avons dit, mais qu'il veut croire
fécondes et dont il affirme fortement, contre un certain moralisme
implicitement reproché à son
aîné, la "méthode". Le "poison" n'est ici au fond
qu'un instrument de la poésie, à la limite même : qu'un autre nom de la
poésie. La "foi au poison", c'est la foi
dans la poésie ! b) Dignité de la révolte Le mot Assassins,
dans la clausule du poème, est interprété souvent comme un à-peu-près
pour « haschischins », consommateurs de haschich, par référence
probable à la secte persane des Hachichins dont parle Théophile Gautier
dans Le Club des Hachichins (mais aussi Nerval, Michelet et Baudelaire, voir
à ce propos les notes de Suzanne Bernard dans son édition critique
des Classiques Garnier et de Jean-Luc Steinmetz dans son
édition Garnier-Flammarion). Au XIe siècle, ces
fanatiques commettaient des assassinats au péril de leur vie, avec l'espoir
d'accéder s'ils mouraient au Paradis de délices que la drogue leur avait
permis d'entrevoir. Par ailleurs, Rimbaud savait sûrement
que le mot "assassin" passait à son
époque pour être une corruption du mot arabe hachichiya, dérivé
de hachich (mais cette étymologie est aujourd'hui controversée :
pour une mise au point étymologique, voir cette
adresse). La critique a aussi relevé dans un recueil d'articles de Paul
de Saint-Victor, Barbares et Bandits (1871), au
chapitre "L'Orgie rouge", une comparaison significative entre les
Communards qui "tombaient
ivres-morts sous les balles et sous les obus"
(op. cit. p.248) et les affidés
du Vieux de la Montagne, nom donné par les Croisés au chef de la secte des Hachichins. On
trouvera une longue citation de ce passage dans ma
note
concernant les mots "fanfare" et "assassins" dans "Barbare".
Dans l'extrait précédent comme dans "Matinée d'ivresse" on aura remarqué, en outre, le thème du sacrifice. Si le Poète selon Rimbaud vient au monde pour y porter une certaine violence, s'il est un destructeur, il est tout aussi vrai que, pour être poète, il faut (comme les fanatiques persans de la fable, ou comme une sorte de moderne messie) se tenir prêt au sacrifice de sa vie : "Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours". Par là s'expliquent aussi les allusions dont nous avons déjà rendu compte à la "rustrerie", aux "dégoûts" et aux "tortures" dont la plus redoutable est l'espérance elle-même parce qu'elle impose de relancer sans cesse ("tous les jours") la lutte pour l'accomplissement de la Promesse, sans pour autant détenir la certitude de pouvoir y parvenir. En ayant même, à vrai dire, la quasi-certitude d'échouer. Car la Promesse est une "démence" ! Mais de cette lutte désespérée, l'Homme tire finalement sa dignité :
Le choix du verbe "rassembler" est étrange (surtout devant un complément singulier : "rassemblons... cette promesse"). Peut-être ce but qui, sans arrêt, échappe est-il ressenti par Rimbaud comme un phénomène de dispersion, sur le modèle de la "débandade de parfums" qui met fin à l'extase, une dépossession de ce qu'on croyait tenir, une déperdition fatale qu'il faudrait parvenir à conjurer en retenant près de soi, en "rassemblant" en soi, le bonheur entrevu, la promesse dont on il était porteur. Ce projet de révolte d'où le sujet prométhéen tire toute sa tragique dignité sanctifie aussi à ses yeux la vie, qu'il a cru haïr. Tel est peut-être le sens de l'énigmatique énumération contenue par la phrase :
Les moqueries du vulgaire (les "enfants" du premier alinéa), l'effacement, la servilité des "esclaves" (ceux à qui le locuteur de "Matin" lance : "Esclaves, ne maudissons pas la vie !" ?), la pudibonderie des "vierges" (celles dont la "camaraderie" est "interdite" au locuteur de "Mauvais sang" ?), de façon générale les "figures" et les "objets d'ici", c'est-à-dire ceux que l'on retrouve autour de soi quand on est "rendu à l'ancienne inharmonie", lors de la "matinée" qui suit l'ivresse, tout cela est sauvé par la perspective d'émancipation que le "poison" a permis au poète d'entrevoir, par l'espoir qu'elle lui fait miroiter de parvenir à "changer la vie" (Délires I). La "méthode" évoquée dans "Matinée d'ivresse" consiste donc, pour celui qui veut devenir poète, se connaître et accéder à la plénitude du grand songe (je reprends les termes des lettres du voyant), à s'encrapuler, c'est-à-dire à explorer, dans tous les domaines (littéraire, moral, politique, ...), les voies interdites et périlleuses que la société réprouve, jusqu'à devenir "le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant !". Cette philosophie de la vie libre, le sujet qui l'adopte sait qu'elle le condamne à la souffrance et, sans doute, à l'échec. Elle risque bien de n'être qu'une chimère, une "démence", dit le poème. Elle suppose de la part de celui qui s'y jette résolution héroïque et sens du sacrifice. C'est dans ce sens qu'elle est comparable à cette "méthode énergique et mortelle" (Baudelaire) que le drogué croit avoir trouvée avec sa drogue. Mais souffrance et échec sont le destin de l'homme, et c'est en leur faisant face qu'il montre sa dignité.
4) Une évocation ironique du voyant ? N'y a-t-il pas cependant quelque brusquerie dans la façon dont le locuteur de "Matinée d'ivresse" assène ses paradoxes ? Et ces outrances ne seraient-elles pas intentionnelles, destinées à susciter chez le lecteur une moquerie ou, tout au moins, une distance à l'égard de l'énonciateur mis en scène par le poème ? Antoine Fongaro se montre tenté par une interprétation de ce type : "le ton général du texte suffit déjà à jeter le doute dans l'esprit du lecteur [...] On sent la parodie" (op. cit. p.167). La date supposée du poème (1873-1874, plus ou moins contemporaine, donc, de la crise évoquée dans la Saison en enfer) pourrait être un argument en faveur de cette lecture. Cela n'empêche pas le même critique, dans le même article, deux pages plus loin, d'écrire que Matinée d'ivresse "marque, avec Génie, le point extrême de la foi de Rimbaud dans la réussite de son entreprise surhumaine" (p.169). C'est que le texte est fort ambigu ! D'une part, celui qui dit "je" dans "Matinée d'ivresse" semble prendre sa "méthode" tout à fait au sérieux. Revendiquer une "foi au poison", c'est-à-dire, finalement, au mensonge et à l'illusion, est certes assez paradoxal ! Mais la poésie n'est-elle pas par essence quête de l'absolu, visée de l'impossible ? Sauf que, d'autre part, le lecteur familier le sait bien, Rimbaud, dans la dernière partie de son œuvre, ne cesse de pourfendre l'illusion, de vouer aux gémonies les marchands de rêve, ceux qu'il appelle les "amis de la mort" ("Adieu"). Jugé à cette aune, le sens du texte se retourne : affirmation péremptoire des pouvoirs de la "méthode" ou constat de son caractère chimérique ? optimisme ou scepticisme ? célébration ou dérision ? Il peut en effet y avoir ici, de la part de Rimbaud, une certaine distance de soi à soi, distance qui se révèlerait dans le caractère extrêmement brutal des paradoxes proférés et le choix de termes potentiellement péjoratifs ("démence", "tortures", "poison", "masque"), susceptibles de dissimuler une auto-critique. L'énonciateur du texte, enfin, est-il nécessairement l'auteur lui-même ? Ce pourrait être seulement l'un de ses avatars, l'une de ses figures favorites (le "Voyant"), quelqu'un qu'il n'est plus véritablement au moment où il écrit Les Illuminations : un fantôme de lui surgi du passé.
Chez
Baudelaire, comme nous l'avons vu, l'image des paradis artificiels voit
toujours peser sur elle la menace d'une condamnation morale et un soupçon
de tromperie. Dans la pièce intitulée "Le Poison" (Les
Fleurs du Mal, XLIX), Baudelaire désigne par ce mot
successivement le Vin, l'Opium et l'Amour trompeur. Dans la conclusion de
son article Du vin et du hachisch (1851),
il finit par rejeter le "bienheureux poison" en l'accusant de
n'être qu'un "moyen artificiel pour arriver à la béatitude
poétique". Le choix d'un terme aussi péjoratif que "poison"
s'explique d'abord chez Baudelaire par référence aux "tortures"
physiques et morales endurées par le consommateur dépendant, mais aussi,
et peut être surtout, par le caractère illusoire des bonheurs que ces
excitants procurent.
La "foi au poison" affichée par l'auteur de "Matinée d'ivresse" revêt par conséquent des tonalités différentes selon qu'on tente de l'éclairer par la lettre dite du voyant (comme nous l'avons fait précédemment) ou par Une saison en enfer. Si on cherche à retrouver dans "Matinée d'ivresse" le scepticisme généralisé qui caractérise Une saison en enfer, faudra-t-il comprendre que le poète proclame hautement sa foi dans l'illusion ? Mais quoi de plus absurde que de placer sa confiance dans le mensonge ! Une telle maxime ne pourrait être qu'un paradoxe sidérant, à la limite de la contradiction interne, frisant la caricature, et, s'il est intentionnel, un trait d'auto-parodie. Un autre indice inquiétant, malgré le ton catégorique sur lequel le locuteur professe sa "foi au poison", vient étayer ce soupçon. Qu'entend Rimbaud par "masque" dans la phrase : "Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié." ? Que veut-il insinuer en apportant cette restriction ("quand ce ne serait que...") à la sanctification de "l'ivresse" ? Sans doute que "l'ivresse" (c'est-à-dire, rappelons-le, cette forme d'émancipation que le sujet a trouvé ou cru trouver dans la poésie, dans la révolte, le "dégagement rêvé") n'a peut-être été qu'un rôle, une comédie qu'il s'est jouée à lui-même, une imposture. On se rapprocherait par là de certaines formulations de la Saison ("Il a peut-être des secrets pour changer la vie ? Non, il ne fait qu'en chercher, me répliquais-je." Délires I) ou de textes effectivement auto-parodiques comme Parade, qui paraissent comparer les prêtres, les révoltés, les poètes et, parmi eux, l'auteur lui-même à des saltimbanques, des marchands de rêve, des fainéants qui vivent "en (s')amusant" et en "querellant les apparences du monde" (L'Éclair). C'est ainsi qu'Albert Py, par exemple, semble interpréter le texte quand il écrit : "le poète n'oublie pas qu'il a porté, comme un sorcier, le masque de l'extase" (Illuminations, Droz-Minard, 1967). Autant dire : une fausse extase, une parodie d'illumination, dont le poète jouerait la comédie devant les hommes, comme le mystique, pour les tromper. Ce
que nous avons analysé précédemment comme une "foi dans la
poésie", cette promesse de libération puisée au fond de
"l'ivresse", pourrait donc n'être en définitive, pour l'auteur du poème, qu'une
factice foi dans l'illusion. b) Gloire des anciens âges ? Certes, le poète sait, dans un recoin de son âme, que la promesse du "poison" est illusoire, mais il sait aussi que c'est cette illusion qui fait vivre, qu'il en a été ainsi à toutes les époques, dans tous les "âges" : Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Cela
vaut aussi bien pour ses différents âges à lui que pour ceux de
l'humanité. Car ce dont il est question ici, je crois, appartient aussi
bien aux stades antérieurs de la vie de Rimbaud qu'au passé de
l'humanité. Il s'agit du christianisme, des religions. C'est l'idée que l'homme a besoin de se fixer des
buts surhumains et que ce sont ces idéaux, aussi chimériques soient-ils,
ces fois et croyances, qui le "glorifient", qui lui permettent
de s'élever. Rimbaud ne peut plus, certes, croire en
Dieu. Comme on le voit bien dans Génie, par exemple, il ne
croit plus guère qu'en l'homme, en sa capacité de révolte et de
création. Mais il lui arrive de craindre d'avoir substitué une utopie à
une autre, d'avoir simplement remplacé la
métaphysique par la Poésie et par la Révolte, qui ne sont qu'une
nouvelle façon, plus moderne, de "quereller les apparences du
monde". Ainsi, une fois de plus, nous nous retrouvons confrontés à la déroutante ambiguïté de l'écriture rimbaldienne. Est-ce bien le Rimbaud de 1873-1874 qui est peint dans ce texte ? Ce poète convaincu de la réussite de son entreprise surhumaine, confiant dans sa "méthode" et zélateur inconditionnel du "poison", ressemble davantage, par bien des aspects, à l'auteur des lettres du voyant qu'à celui d'Une saison en enfer et des Illuminations. N’est-il pas possible qu’il y ait là une sorte de regard rétrospectif de Rimbaud sur celui qu’il a été quelques années auparavant, avec, donc, comme l'a suggéré Antoine Fongaro, une certaine dose d’auto-ironie ? Un tel regard critique rétrospectif n’est-il pas constant dans les Illuminations ? Celui qui dit "je" dans "Matinée d'ivresse" ne serait alors, comme cet autre "assassin", le Prince de Conte, qu'un avatar de l’auteur témoignant de son passé. *** En célébrant
ce lendemain d'ivresse que l'on peint plutôt, d'habitude, comme un
réveil triste et dégrisé, Rimbaud proclame avoir trouvé le secret d'une
extase qui jamais ne
retombe, la formule de l'illumination
continue, grâce à un merveilleux "poison" capable de "rester dans nos veines
même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne
inharmonie". Avril 2008 |
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BIBLIOGRAPHIE
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