Rimbaud...
"l'ange de
Charleville"
Paul
Claudel
"le voyant"
A.
Rolland de
Renéville
"le voyou"
Benjamin Fondane
"un
passant considérable" qui s'est "opéré vivant
de la poésie"
Stéphane Mallarmé
"l'homme
aux
semelles
de vent"
Paul
Verlaine
"le poète,
cela suffit,
cela est infini"
René Char
|





























 















|
Pour aimer la poésie d'Arthur Rimbaud, au début, pas besoin de tout
comprendre. Nulle part dans la littérature ne s'est exprimé avec autant
de force que chez cet auteur le refus du monde tel qu'il est, le désir d'échapper,
le désir... ! Nulle part la rage et le courage d'être libre,
dans la pratique de la vie comme dans l'usage des mots. Intellectuellement
et littérairement armé par la fréquentation précoce des livres,
arc-bouté contre une mère trop impérieuse, enflammé par les idées révolutionnaires
de la Commune, Rimbaud est le Poète par excellence au sens où, plus que
tout autre, il a voulu la poésie capable de changer la vie. Tant qu'il en
a eu la force, il a couru derrière l'idée d'une "poésie
objective", qui lui permettrait de comprendre le monde et d'agir sur
le réel, de réveiller les volcans, de "relever" les Déluges,
de "réinventer l'amour", d'accomplir "la magique étude du
bonheur". Il a voulu "trouver une langue" faisant appel à
tous les sens, ouverte à tous les jeux. Il s'est ingénié à retourner
et détourner les vieilles maximes pour les jeter à la tête du Vieux
Monde. On aime Rimbaud parce qu'on a une fois senti cela et qu'on y a
vu passer les plus éclatants des astres : la Révolte et l'Utopie. On
aime Rimbaud parce qu'on y a reconnu quelque chose comme l'essence de la
jeunesse. On aime Rimbaud parce qu'on y a reconnu quelque chose de soi.
"Ça
ne veut pas rien dire!"
C'est après que la difficulté commence,
quand on a mordu au fruit et qu'on veut l'avaler tout entier. Face aux
textes de Rimbaud postérieurs au Recueil de Douai, le lecteur
est souvent décontenancé. On peut croire parfois que ça ne veut rien
dire.
En Rimbaud semble se matérialiser (comme chez Mallarmé à la même époque)
le rêve "moderne" d'une création langagière à l'état pur,
exempte de toute fonction utilitaire ou référentielle, libérée même
du souci de signifier et d'être comprise, tel que le formule par exemple
Novalis, à la fin du XVIIIe
siècle :
"Des
récits décousus, incohérents, avec pourtant des associations, tels
des rêves. Des poèmes parfaitement harmonieux tout simplement, et
beaux de parfaites paroles, mais aussi sans cohérence ni sens aucun,
avec au maximum deux ou trois strophes intelligibles
— qui
doivent être comme de purs fragments des choses les plus diverses. La
poésie, la vraie, peut tout au plus avoir en gros un sens allégorique
et produire, comme la musique, etc., un effet indirect."
Quand on lit ces lignes du
grand poète romantique allemand, dans la section de ses
"fragments" intitulée "Littérature future"[1],
on croit voir décrite par anticipation cette étrangeté qui nous rend
incompréhensibles tant de poèmes de Rimbaud.
Leur obscurité ne nous empêche pas de les apprécier. On a enregistré l'éclat d'une image insolite, l'énergie d'un phrasé
... On lit, on relit. Un jour, on se rend compte qu'on les connaît par cœur :
ils vous sont devenus familiers sans que vous ayez vraiment percé leur
mystère. Finalement on se les raconte comme ci ou comme ça. Parce qu'on
est ainsi fait qu'on veut donner du sens. Plus tard, on les envisagera
parfois tout à fait autrement. On découvrira l'exégèse de tel ou tel
spécialiste, et on changera d'avis. Plus d'une fois, on rougira de s'être
contenté d'une lecture superficielle ; plus souvent encore, d'avoir
inutilement compliqué le sens d'un texte (car l'hermétisme rimbaldien
est généralement plus facétieux ou ludique que ne l'imaginent des
lecteurs trop sérieux)... Bref, rien n'est plus périlleux que de prétendre
commenter certains poèmes des années 71-72 ou proses des Illuminations,
comme on va essayer de le faire ici.
En adressant l'un de ses poèmes à son ancien professeur Georges Izambard
(Le Cœur supplicié, dans sa lettre du 13 mai 1871 dite "lettre du
voyant"), Rimbaud le met en garde : "Ça ne veut pas
rien dire" ! Quelles que soient les raisons pour lesquelles le
sens est caché —
et il y en a de toutes sortes : quête du nouveau, goût
de l'énigme, souci de masquer l'allusion personnelle, de travestir
quelque peu les aspects les plus subversifs, moralement ou politiquement,
du discours latent du poème, etc. —, nous sommes donc mis en demeure de courir
le risque de l'interprétation. Mais les mots ont plusieurs sens, les
symboles sont rarement univoques. À sa mère qui lui demandait un jour ce
qu'il fallait comprendre dans Une
saison en enfer (c'est sa sœur Isabelle qui rapporte la chose dans
son article Rimbaud
mystique), Rimbaud aurait répondu : "J'ai voulu dire ce que ça
dit, littéralement et dans tous les sens !" Nous voilà
simultanément avertis qu'il y a une vérité à trouver, mais que cette vérité
peut être complexe, ambiguë, multiple.
"Trouvez
Hortense !"
Interpréter un poème de Rimbaud nécessite en général un véritable décodage
visant à déceler les allusions à l'expérience vécue, à préciser la
ou les signification(s) des mots rares utilisés, à redéployer les
"textes" antérieurs (symboles universels, poncifs
contemporains, références littéraires, auto-citations) dont le texte
rimbaldien est en partie la réécriture, sans parler du travail de
graphologue et de philologue qu'impose dans certains cas le déchiffrage
des manuscrits. Entreprise aventureuse, comme le montre la diversité des
interprétations proposées parfois pour un même texte, mais aujourd'hui
facilitée par l'accumulation des documents et des preuves versés au
dossier, des années durant, par une émérite critique rimbaldienne.
Le lecteur de Rimbaud a, je crois, quelque dette à reconnaître à l'égard
de ces chercheurs qui ont, ces
dernières décennies, sensiblement accru par leurs travaux la lisibilité
(relative) des textes du poète. Le travail sur les manuscrits (Guyaux,
Murphy...), sur le contexte historique et littéraire (Brunel, Claisse,
Fongaro, Murphy, Reboul ...), l'analyse littéraire minutieuse
(Henry, Meyer, Schaeffer ...), le renouveau des travaux sur la forme
(Murat...) — pardon
à ceux que j'oublie
— ont
permis d'éclairer des textes, ou des passages de textes, jusqu'ici impénétrables
ou mal compris.
Malheureux rimbaldiens, pourtant, qui croisent toujours sur leur route
quelque insolent poète pour leur déclarer, comme jadis René Char à Étiemble
: "Ce labeur de ramassage n'ajoute pas deux gouttes de pluie à l'ondée,
deux pelures d'orange de plus au rayon de soleil qui gouverne nos
lectures."[2].
Je trouve, quant à moi, un certain mérite à ceux qui persévèrent
dans l'effort d'interprétation sans se laisser intimider par ces gardiens du
Temple, aux noms souvent prestigieux, qui semblent veiller sur les mystères
de l'œuvre, comme si la poésie de Rimbaud avait quelque chose à perdre
à être comprise ! André Breton prophétisant dans Flagrant Délit,
à l'encontre du laborieux glossateur : "Tu ne connaîtras jamais
bien Arthur Rimbaud" ; René Char affirmant de façon péremptoire,
dans Recherche de la base et du
sommet : "Son poème, s'il fascine et provoque le commentateur,
le brise aussitôt, quel qu'il soit." ; Hans Freibach (ou
d'autres, d'humeur voisine) proclamant, avec une intransigeance
qui
se voudrait héritière de celle du poète : "Non ! je ne
lirai pas Arthur Rimbaud!"[3].
Au prétexte que la Poésie, ça ne s'explique pas : ça s'écrit, ça
se sent, et surtout ça se vit ... !
Mais la première fidélité à Rimbaud n'est-elle pas au contraire
d'accepter le jeu qu'il propose à ses lecteurs : "Trouvez Hortense
!" (A.R., H) ?
Qui ne cherche pas ne joue pas franc jeu !
"Je
ne m'occupe plus de ça !"
Pendant ses années d'apprentissage, Rimbaud a conduit sa vie et son
oeuvre comme une fable sur la difficulté de vivre à la hauteur de ses rêves.
Jusqu'à ce que, vers l'âge de vingt ans, il se décide à jouer pour de
bon la scène de sa mort littéraire, selon le scénario que ses textes
avaient depuis longtemps préfiguré : Le Bateau ivre, l'Adieu
d'Une
Saison en enfer, le Départ des Illuminations, ... La lettre du Voyant,
déjà ... :
"Qu'il
crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables
: viendront
d'autres horribles travailleurs [...] "
Arthur Rimbaud, on le sait, cessa d'écrire de la poésie vers 1875 pour
aller gagner sa vie dans le commerce, en Afrique. On s'est beaucoup
interrogé sur les raisons du "silence de Rimbaud". Il y en a
sans doute plusieurs, qui se sont mutuellement renforcées.
La première
est la conviction, héritée de Baudelaire et ressassée tout au long de
son œuvre, que l'Art est par nature mensonge, qu'il n'y a de poésie que
de l'Impossible et que toute quête poétique
digne de ce nom est vouée d'avance à une insatisfaction fatale.
Une autre, à laquelle on ne songe pas assez, est que
Rimbaud était un poète pauvre, absolument désargenté. Une fois consommée
la rupture avec Verlaine, constatée (à l'automne 73) l'hostilité du
milieu littéraire parisien, le jeune
auteur pouvait légitimement se demander s'il y avait un avenir pour lui
dans la République des Lettres. N'ayons garde d'oublier que nul éditeur,
nulle revue ou presque ne s'est intéressée aux écrits de Rimbaud avant
1886. Il n'est, par exemple, venu à l'idée de personne (j'entends :
parmi ceux qui en avaient les moyens) de publier Le Bateau ivre
qui, pourtant, avait fait quelque bruit dans le public des poètes, à
l'automne 1871 ! Mais il est vrai que l'on vivait, en ces années qui
suivirent l'écrasement de la Commune, une bien sombre "nuit
d'hiver" (Génie)... Bref, la poésie ne nourrissant pas son
homme, il fallait bien d'une manière ou d'une autre (dit plaisamment
Julien Gracq dans La littérature à l'estomac) "changer de
job".
Enfin, la poésie n'était pas pour Rimbaud une occupation qui puisse
s'ajouter à une autre, un de ces suppléments d'âme à l'aide desquels
les hommes cherchent à compenser une vie "monotone et imméritée"
(Jules Laforgue). Il ne voyait pas la littérature, à la manière de
Stendhal, comme "un miroir que l'on promène le long du chemin" ;
il ne la concevait pas comme un reflet de la vie mais comme une arme pour
la changer, une mesure de salut public et privé ! Et, probablement, à défaut
d'une révolution sociale dont l'espoir s'était éloigné avec l'échec
de la Commune, était-elle devenue peu à peu pour lui une vie de
substitution, un refuge. Il s'y était engagé tout entier : la poésie
était l'échappatoire à "nos horreurs économiques" (A.R., Soir historique),
l'"occasion unique de dégager nos sens" (A.R., Solde)...
Aussi, lorsque Rimbaud eut fait l'amère expérience de l'inefficacité de
cet instrument, sous le triple rapport de la révolte sociale, de la vie
affective et de la subsistance matérielle, il était à craindre qu'il
apportât à la liquidation de l'entreprise la même farouche détermination
qu'il avait mise à s'y lancer. Il en fut bien ainsi : "Je ne
m'occupe plus de ça !" (déclaration de Rimbaud à Delahaye
en 1879, au témoignage de ce dernier).
"La
vie est la farce à mener par tous. Assez ! Voici la punition."
("Mauvais sang")
Au cours de cette mauvaise farce que fut sa vie (qu'est toute vie, si l'on
en croit le célèbre aphorisme de "Mauvais sang"), c'est assurément
dans le personnage du Poète que Rimbaud a trouvé son meilleur rôle.
Malgré l'intérêt, doublé de compassion, qu'il est légitime de porter
à la vie entière d'Arthur Rimbaud dans l'unité de son destin, on
parvient mal à ressentir pour le fantassin de la pénétration coloniale
dans la Corne de l'Afrique, en quête d'ivoire, de cuirs et de
respectabilité, la même sympathie que celle qu'on éprouve à l'égard
de l'adolescent réfractaire et du poète.
Il est, pourtant, diverses sortes de dévots qui font du "silence de
Rimbaud" le couronnement paradoxal de son œuvre :
Il y a ceux qu'Aragon appelle les "héraldistes du silence"[4],
pour qui, s'agissant d'un poète, le silence prolonge la parole poétique
et la dépasse. La poésie n'est-elle pas par essence, pour le langage,
expérience de la limite, confrontation avec l'ineffable ? Je
partage assez, là dessus, "l'humeur" dont Julien Gracq fait état
dans un article de 1954 :
"Il
y a des jours —
quand on vient de relire les Illuminations ou la Saison —
où on prend de l'humeur contre ces singuliers adorateurs de Rimbaud
qui ne cherchent rien tant qu'à nous persuader que de son passage
à travers la poésie, il ne reste sérieusement à considérer que
le trou."[5]
Il y a aussi ceux qui veulent voir dans cette rupture du jeune homme avec
la littérature une forme supérieure de courage ou de lucidité désenchantée,
une abnégation de soi exigeant une vertu surhumaine. Albert Camus leur a
répondu en rappelant, dans L'Homme révolté[6], que
"le génie seul suppose une vertu, non le renoncement au génie".
Certains ont cru y déceler une façon, pour Rimbaud, de vivre sa poésie
après l'avoir écrite, une continuation de "l'œuvre-vie"
commencée en 1870 sur les routes des Ardennes. Alain Borer (auteur de l'édition
dite du
centenaire, en 1991, chez Arléa) est allé jusqu'à se
scandaliser que les commentateurs de Rimbaud croient pouvoir se dispenser
du voyage au Harar sur les brisées de leur poète[7]
car :
"[...]
pour lire ses poèmes jusqu'à se passer des gloses, il faut les
incorporer, suivre le conseil qu'il [Rimbaud] donne à Delahaye de lire et
marcher"[8].
Qu'Alain
Borer se rassure ! Aujourd'hui, les fans de Rimbaud semblent s'intéresser
davantage à ses tribulations qu'à ses Illuminations. Cinéastes
et photographes, dessinateurs de BD et "touristes littéraires"
arpentent les rives de la Mer Rouge sur les pas de l'Homme aux semelles de vent.
Les adeptes de ce que Louis Aragon appelait les "parties de
Zanzibar"[9]
se multiplient. À l'étal des libraires, on célèbre désormais
"Rimbaud l'Africain" plus souvent que "Rimbaud le Poète"...
René Char lui-même n'a-t-il pas salué dans un poème la défaite
d'Arthur devant "la Vampire qui nous rend gentils" ? (Illuminations, Angoisse).
"On
ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain
[...] Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Nous sommes quelques-uns
à croire sans preuve le bonheur possible avec toi."[10]
|
Mon interprétation du fameux poème de Char est fort simplificatrice
(et même un peu malhonnête), j'en conviens. Mais le texte autorise cette
lecture et cela suffit pour qu'on ne l'aime pas ! On ne se félicitera
pas ici que l'auteur d'Une saison en enfer, celui qui disait
"Jamais je ne travaillerai" ("Délires I"), ait été
finalement conduit à abandonner l'écriture pour embrasser une de ces
carrières prosaïques auxquelles, cinq ans durant, entre 1870 et 1874, il
avait tant rêvé d'échapper ! Peut-être pensa-t-il d'abord
trouver aux pays du soleil et des aventures un terrain propice pour « trafiquer
dans l’inconnu » (lettre aux siens datée
de Harar, 4 mai 1881), avoir
de l'or, tromper la mort. Mais il suffit de lire la fade et mélancolique
correspondance africaine de Rimbaud pour mesurer tout ce qu'il trouva en réalité
d'ennui dans cette existence, malgré l'attrait du voyage et « l'héroïsme
de la découverte » (A.R., Mouvement).
Mieux
vaut, décidément, "considérer Rimbaud dans la seule perspective de
la poésie", comme nous y invite ce même René Char dans
Recherche
de la base et du sommet[11] :
"Rimbaud
le poète, cela suffit, cela est infini."[12].
"Pour
comprendre Rimbaud, lisons Rimbaud !" (Yves Bonnefoy).
C'est à Rimbaud, le poète, qu'est dédié ce site.
Ce travail ne sera pas inutile s'il peut aider quelques amoureux de l'œuvre
de Rimbaud —
comme il m'aura aidé moi-même — à mieux comprendre
l'univers qui fut le sien au moment où, malgré souffrances et
remords (voir Une saison
en enfer), et en dépit d'un incoercible sentiment de culpabilité
(voir Honte), il croyait encore trouver sa liberté et son
bonheur dans et par la poésie.
Je n'ai pas la prétention d'apporter
des interprétations nouvelles. Mon but est seulement, à travers l'Anthologie
commentée notamment, de faire profiter les internautes
—
amateurs de poésie, enseignants, étudiants ou lycéens —
des acquis de l'exégèse rimbaldienne dans l'analyse de quelques textes,
en vulgarisant les connaissances que j’ai pu acquérir par mes lectures
et en témoignant sur la façon dont je me raconte les textes quand je les
lis. Il ne faut pas chercher d'autre ambition aux commentaires
qu'on lira sur ce site.
Comme on l'aura compris, la référence à la
tradition critique (la révérence à l'égard de la parole savante) est
au centre de ma démarche. Au point que certaines de mes pages ressemblent
davantage à une mosaïque de citations qu'à une production véritablement
personnelle.
Je ne m'interdis pas pour autant toute approche
subjective dans l'interprétation des textes. Un principe
d'"objectivité", en ce domaine, eut été impraticable. Je
formule donc, à l'occasion, mes propres hypothèses de sens, au risque
d'ajouter quelques perles de mon cru au florilège (déjà riche) du délire
rimbaldien.
J'essaie, lorsque j'étudie un texte, de citer
les principales hypothèses d'interprétation avancées à son propos.
Mais il n'entre pas dans mes intentions de dresser la liste exhaustive des
gloses existantes, je ne cite que ce que j'estime éclairant, afin de
renseigner le lecteur sur l'état du débat critique... et pour
avouer mes sources.
Je m'accorde ainsi, à l'égard de la dite
tradition critique, une sorte de droit d'inventaire qui pourra apparaître
lui aussi très "subjectif". Le risque de partialité est
d'autant plus grand que je ne prétends pas avoir tout lu, loin de là. On
me pardonnera, j'espère, cette imp(r)udence.
Je tente, enfin, de me tenir à égale distance
de ces deux travers symétriques du rimbaldisme : la bigoterie (la
propagation naïve et superficielle du mythe), la rage démystificatrice
(qui, sous prétexte de lucidité ou de scientificité, dessèche
l'approche et détruit l'enthousiasme).
Oui, il y a quelque témérité à se lancer dans un tel projet ! Mais l'entreprise est séduisante
et, je l'espère, rendra service.
La
poésie passe parfois aujourd'hui pour une forme de littérature déroutante
ou désuète. Celle de Rimbaud, auteur réputé difficile, ne devrait pas
échapper à la règle. Pourtant, les jeunes gens se retrouvent
naturellement dans ce poète qui a composé toute son œuvre entre quinze
et dix-neuf ans, et dont les textes se nourrissent des péripéties de sa
vie tourmentée
d'adolescent en crise. Quelques éclaircissements ou hypothèses de
lecture suffisent parfois à leur ouvrir un chemin dans un poème
apparemment incompréhensible, à les encourager à lire, à lire
vraiment Rimbaud.
Le bon conseil est celui du poète Yves Bonnefoy dans son Rimbaud
de la collection Écrivains de toujours :
"Pour
comprendre Rimbaud, lisons Rimbaud !".
A.B. Septembre
2003.
_________________
[1]
Cité par Tzvetan Todorov, Théories
du symbole, Points, 1985, p.210.
[2]
Texte
de 1956, qui servira de préface aux Oeuvres de Rimbaud, Club
français du livre, 1957, puis sera intégré à Recherche de la
base et du sommet, Pléiade Char p.727-734.
[3]
Hans Freibach, "Non ! je ne lirai pas Arthur Rimbaud!", La Sape,
1991.
[4]
Louis
Aragon, "Chronique du Bel Canto",
Europe n°11, 1946.
[5]
Julien
Gracq, "Un centenaire intimidant", Arts,
20 octobre 1954.
[6]
Albert Camus, L'Homme révolté, Gallimard, 1951,
p.115.
[7]
Alain Borer, Rimbaud en Abyssinie, Seuil, 1984, p.35-36.
[8]
ibid. p.99.
[9]
Louis
Aragon, Traité du style, 1928.
[10]
René
Char, Fureur et Mystère, La Fontaine narrative, 1947. Pléiade
p.275.
[11]
Pléiade Char, p.730.
[12]
Pléiade Char, p.727.
|