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Alinéa
ALLÉGORIE ALLITÉRATION ANALOGIE ANAPHORE ASSONANCE ASYNDÈTE CÉSURE CHANSON CHUTE Clausule Comparaison Déictiques Démonstratifs ELLIPSE Facule discursive JEU DE MOTS HYPALLAGE HYPERBOLE HYPOTYPOSE INCIDENTE Métaphore MÉTONYMIE PARAGRAPHE PARALLÉLISME Parataxe PARODIE Pastiche POÈME EN PROSE Pointe Polysyndète PRÉPOSITION RIME RIME CONSONANTIQUE RYTHME (PROSE) SONNET STYLE ORAL SYNECDOQUE SYNESTHÉSIE TIRET VERS VERS LIBRE Verset ZEUGMA |
HYPALLAGE : "On paraît attribuer à certains mots d'une phrase ce qui appartient à d'autres mots de cette phrase, sans qu'il soit possible de se méprendre au sens." (Littré)
HYPALLAGES RIMBALDIENNES
HYPALLAGE, ELLIPSE, DENSITÉ POÉTIQUE
Paul Claes commente ainsi cette phrase dans son essai La Clef des Illuminations (p.281) : "Les 'sèves ornamentales' rappellent l'alliance de mots 'plantes ornementales'. Par hypallage, 'ornamentales " se rapporte au mot sous-entendu ; comprenons donc : 'sèves de plantes ornementales'. Alors que le terme 'sève' inclut le sens de 'vitalité juvénile', l'épithète 'ornamentales' (décoratives ; notez l'orthographe latinisante ou anglicisante) prend l'acception plus générale de 'belles' (renforçant l'allusion à la belle Hélène). Un autre exemple d'hypallage est 'ombres vierges' pour 'ombres de la forêt vierge' (l'élément végétal est induit par 'sèves')" Cet usage de l'hypallage paraît donc ressortir essentiellement de l'art de l'ellipse, un art que Rimbaud a coutume de cultiver notamment pour les effets d'étrangeté qu'il contribue à produire. De même, des tournures hypallagiques comme
agglutinent en peu de mots deux qualifications différentes dans la description d'un personnage. Dupriez fait remarquer que ce type d'hypallage est "l'inverse de l'hendiadyn" (Gradus, article "Hendiadyn").
S'il s'agit là, comme le pensent certains commentateurs, de l'image romantique traditionnelle du vent qui s'engouffre dans le manteau du berger, nous avons encore à faire à une hypallage offrant un raccourci saisissant.
Ce sont évidemment les "breloques à chiffres" qui pendent au notaire et pas l'inverse. On a là une hypallage caractéristique, de celles qui ont pour fonction d'échanger les propriétés naturelles des éléments concernés et d'en inverser la hiérarchie, ici de traiter l'homme comme un objet. Par chance, il nous est parvenu, pour ce poème, un premier état, antérieur de quelques mois, qui montre une variante fort significative :
L'hypallage du vers 8
n'y figure pas. Elle a été introduite par la suite pour amplifier la
portée satirique de la description. Par l'intermédiaire de l'hypallage,
le notaire devient lui-même un accessoire de ses objets, un accessoire
de ses accessoires. On ne peut plus explicitement exprimer la dépendance
de l'individu à l'égard des signes extérieurs de richesse qui lui
servent de façade sociale.
On ne peut guère dire
de "souliers" qu'ils sont "blessés". Ce sont plutôt les pieds du
bohémien qui sont "blessés" par la marche. Éventuellement, son "cœur",
transpercé d'amour par la Muse : "On a romantisé le poème, écrit Steve
Murphy, sans assez mesurer la manière dont il joue la partition
romantique du 'cœur blessé' tout en lui assignant une auréole doucement
parodique. Par l'hypallage terminale du poème, "mes souliers blessés, un
pied près de mon cœur", Rimbaud métonymise humoristiquement le
dispositif (prototypiquement métaphorisque) des identifications
sentimentales et égocentriques liées au sacre du poète romantique.
L'association matérielle nous ramène vers le bas (corporel) pour
insinuer cette distance critique dont Rimbaud ne se départ jamais."
(S.M., "L'amant des étoiles : Ma Bohème", Stratégies
de Rimbaud, Champion, 2004, p.131).
Paule Lapeyre, qui consacre quelques pages à la figure de l'hypallage dans son Vertige de Rimbaud (À la Baconnière - Payot, 1981, op.cit. p.412-415) analyse entre autres cet exemple significatif. La "peste carbonique", explique-t-elle, semble être une périphrase métaphorique désignant la fumée de charbon ou le smog pollué de la capitale anglaise, de manière à en souligner le caractère insalubre. Mais l'insolite de cette phrase ne se limite pas à cette métaphore un peu obscure, croisée de calembour (peste carbonique / peste bubonique). C'est plus encore le mot "percé" qui fait obstacle à son intelligibilité. Il y a là, en fait une hypallage : le cheval n'est pas "percé" par le smog comme il semblerait ; tout au contraire, c'est lui qui perce le brouillard charbonneux en détalant sur le turf. Peut-être Rimbaud a-t-il été intéressé par ce participe passé passif improprement appliqué au "cheval" pour son possible effet expressif : il suggère que la bête est meurtrie par les conditions handicapantes dans lesquelles on l'oblige à courir.
Autre exemple analysé
par l'auteur précédente. Ici aussi, l'on peut trouver une
certaine valeur expressive, satirique, au procédé de l'hypallage : la personnification induite par
le transfert sémantique dû à la figure de style (le couple d'ouvriers poursuivi
par la ville) renforce l'idée de personnages tentant vainement de
fuir la ville monstrueuse et tentaculaire.
Ce vers est souvent signalé comme particulièrement insolite. C'est qu'il semble offrir une comparaison cocasse entre "l'ombre" et "un mufle de vache" (on n'est pas loin de la "rencontre fortuite [...] d'une machine à coudre et d'un parapluie" inventée par Lautréamont pour le plus grand bonheur des Surréalistes). En réalité, l'idée sous-jacente est beaucoup plus simple. C'est l'hypallage qui crée la confusion. Car ce n'est pas "l'ombre", l'obscurité de la nuit (l'adverbe "nuitamment" est employé dans la suite du texte) qui "bave" mais les "bois" (les branches, les feuillages des arbres rendus humides par la rosée nocturne ou le brouillard). Les branches qui s'égouttent sont comparées à une bave. On trouve quelque chose d'assez semblable dans Mes petites amoureuses :
Pour restituer la phrase logique, il faut permuter le sujet avec le complément circonstanciel (et, si l'on veut la "traduire" tout à fait rationnellement, rétablir l'idée de la nuit et des arbres derrière les métonymes : "ombre" et "bois"). Cela pourrait donner : "quand les arbres des bois bavent, la nuit, comme un mufle de vache ...". L'utilisation comme comparant de la bave d'un mufle de vache est certes, en elle-même, inattendue et frappante par sa connotation triviale (non sans rapport avec le thème général du texte). Mais la phrase ainsi remise d'aplomb devient tout à fait compréhensible et presque plate. Inversement, la formulation du texte fait surgir l'image synesthésique de l'ombre baveuse évoquant de façon synthétique l'humidité diffuse dans l'atmosphère nocturne. C'est en combinant la comparaison avec l'hypallage que Rimbaud a pu apporter à l'idée de départ cet aspect mystérieux, poétique et burlesque, qui nous séduit. On lit souvent l'expression "métaphores synesthésiques" pour commenter des alliances de mots comme :
Pourtant, dans tous ces exemples, comme dans celui des Douaniers commenté précédemment, la trouvaille synesthésique semble moins fondée, au départ, sur la perception d'une analogie que sur un transfert de caractérisation d'un mot à l'autre dans la phrase (c'est-à-dire sur une hypallage). Dans Métropolitain, les "parfums" ne sont pas "pourpres" parce que le poète aurait perçu dans leurs caractéristiques olfactives une "correspondance" avec la couleur rouge mais tout simplement, parce que ce sont "les parfums [...] du soleil des pôles", qui est lui-même "pourpre". Si le brouillard est vert dans Larme, c'est que le locuteur est "accroupi dans quelque bruyère / Entourée de tendres bois de noisetiers", c'est-à-dire au sein d'une nature verte. Dans Being Beauteous ce ne sont évidemment pas "les couleurs" qui "dansent" mais "la Vision" dont il est question dans la même phrase, terme désignant l'"Être de Beauté de haute taille" évoqué au début du texte : "Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier." Les mots utiles pour mettre en évidence le mécanisme hypallagique ne sont pas toujours présents dans le contexte immédiat mais ils sont sous-entendus : si les fleurs bourdonnent, c'est qu'elles sont communément entourées d'insectes, si elles mugissent, c'est que les bovins sont présents à leur côté "sur les versants" dont parle le texte. Si l'azur sonne, c'est parce qu'il est traversé du son des cloches. Il est vrai que dans la plupart des cas ces formules attribuant par hypallage à diverses sensations des propriétés caractéristiques d'un sens différent (olfactif/visuel, visuel /auditif, visuel/tactile) produisent un effet analogique : le brouillard peut sembler vert au protagoniste de Larme, comme les couleurs de l'Être de Beauté paraissent danser en même temps que lui. Une relation de ressemblance confinant à l'identité se dégage de certaines de ces tournures, ce qui est le propre de la métaphore. Rimbaud se charge d'ailleurs de nous en persuader en évoquant parfois le caractère "magique" de la réalité suscitée par l'image : "des fleurs magiques bourdonnaient" (Enfance). En réalité, comme on l'a vu, il y a là-dedans moins de magie que de bonne et saine rhétorique.
Bruno Claisse a éclairé de façon définitive le syntagme discordant "rouler sur l'aboi des dogues" dans son article "De la source de soie (Nocturne Vulgaire) à la soie des mers (Barbare) : le mot de la fin ?" (Parade Sauvage n° 16, pages 101-125, mai 2000). Le verbe "rouler" "se rapporte couramment aux naufragés ("Vous roulez à travers de sombres étendues", Oceano nox ; "j'ai dansé sur les flots / Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes", Le Bateau ivre)" (op.cit. p.115). Dans le contexte de Nocturne vulgaire, dont le dénouement constitue la parodie "opéradique" des topos de l'orgie "rollaque" (les "boissons répandues" constituant la version rimbaldienne des "nappes rougies", des "flacons renversés", "cassés", "à terre", etc., d'un Musset) et du naufrage (allégorie du désastre du littérateur), le sens à donner à ce verbe ne fait aucun doute. Après "rouler", on attendrait donc une référence maritime et c'est bien ce qu'on rencontre avec "l'aboi des dogues" mais sous l'espèce d'une notation auditive. Bruno Claisse, en effet, a aussi montré, à travers un exemple emprunté à Michelet, "que les dogues aboyants sont une métaphore littéraire des vagues, elles-mêmes figures possibles, ainsi d'ailleurs que les dogues, des persécutions subies par les poètes :
Nous avons donc affaire ici encore à une hypallage synesthésique : ce n'est pas en réalité "sur l'aboi des dogues" que le poète maudit sera envoyé "rouler" mais sur "les eaux clapotantes" qui aboient comme "un million, un milliard de dogues acharnés". En quelques mots, grâce notamment à l'hypallage, Rimbaud résume et parodie tout un matériau métaphorique issu du romantisme.
HYPALLAGE ET ILLUSION DES SENS
Paule Lapeyre cite un certain nombre d'hypallages qui exploitent poétiquement "une sensation erronée d'ordre kinesthésique" en transférant à des éléments fixes du décor le mouvement dans lequel le locuteur lui-même est emporté. Ainsi, dans Le Bateau ivre "est-ce le bateau, se demande-t-elle, qui file et longe la terre, ou la terre qui rompt ses amarres et défile devant le bateau immobile ?" (p.413). L'hypothèse est assez séduisante. Elle est confirmée par ce verset d'Enfance où "l'enfant" reste seul sur la jetée, semblant suivre d'un regard mélancolique le bateau qui emporte vers "la haute mer" celui ou ceux qui l'abandonnent : "Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer." De même, dans Mouvement, Rimbaud transfère à plusieurs reprises la sensation de mouvement que lui font éprouver le bateau ou le train à des éléments qui n'ont pas naturellement la faculté de se mouvoir.
Ce n'est pas la "rampe" qui est rapide mais le train, dans son pouvoir de la gravir sans effort. Avec la formule "route hydraulique motrice", la faculté motrice du bateau est transférée improprement au sillage ou au chemin que celui-ci emprunte à la surface de l'eau. L'hypallage a d'abord l'intérêt de permettre un raccourci, un resserrement de la formule, d'éviter une explication. En outre, elle s'accompagne dans ce dernier exemple (comme dans l'expression "peste carbonique" citée ci-dessus) d'un calembour (la route / la roue hydraulique motrice). La formulation agglutine deux figures de style différentes : le calembour et l'hypallage. Je ne suis pas également convaincu par tous les exemples que la commentatrice nous propose dans ce texte. Une "digue" ne "roule" pas. Mais pour trancher s'il s'agit ici d'une véritable hypallage, il faudrait pouvoir interpréter l'image, ce que Paule Lapeyre, malheureusement ne fait pas. Plus contestable encore me paraît l'interprétation qu'elle suggère pour "bord fuyard" : je ne crois pas que l'expression "bord fuyard" désigne ici un élément fixe du décor, elle semble bien faire référence au bateau lui-même qui fuit vers le large : "bord" mis pour "bateau" est une synecdoque, non une hypallage.
RIMBAUD OU "L'HYPALLAGE GÉNÉRALISÉ" (MICHEL DEGUY) Michel Deguy, dans son article "Dévotion" (Le millénaire Rimbaud, Belin, 1993) a risqué le paradoxe selon lequel "tout est hypallage" chez Rimbaud et, après lui, dans la modernité poétique. Le poète moderne désapprend à "décrire" le monde selon la représentation convenue et s'efforce simplement à le "dire" comme il se présente à lui dans le mouvement de la marche (cf. Aube) ou du rêve : "Dans le texte de Rimbaud, il y a ce qui est tramé par la marche. Le "rêve" est objectif, c'est la levée phénoménologique éveillée de son pas [...]" (op.cit. p.45) Or, "touchant la figure : l'hypallage correspond à la marche. Il y a dans le texte une sorte d'hypallage généralisé, qui tient à l'ambulation. 'Les prés remontent', 'la cathédrale descend', 'la jetée est partie', 'l'éclairage revient à l'arbre de bâtisse', 'les os s'élargissent', la mer est 'allée avec'... Tout bouge, donc" (47). Dans cette façon de dire le monde, "l'hypallage n'est plus un emploi local d'un procédé local rubriqué aux taxinomies rhétoriques. Bien plutôt c'est la généralisation de la figure qui est une caractéristique de l'écrituration moderne. Sortant de son emploi localisé à telle fin, le trope se libère de son statut d'écart à la norme [...] Dans le jeu poétique général de la Dis-jonction ou figuration, une figure est élevée à la puissance de la généralisation (celle qu'exprime une affirmation comme 'tout est hypallage'), et est prise dans son équivalence générale avec les autres figures" (47).
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