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Lexique des termes littéraires 

du site Lettres.org

Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

POÈME EN PROSE : Morceau de prose présentant les principales caractéristiques de la poésie, caractéristiques qui le séparent des autres genres littéraires en prose : la brièveté, l’autonomie (souvent sanctionnée par la présence d’un titre), la densité du travail de la forme (agencement des mots, choix des figures, jeux du rythme et des sonorités), une vocation d’abord lyrique (transmission d’un état poétique, dont l’auteur est supposé avoir fait l’expérience personnelle) avant d’être éventuellement narrative, descriptive ou argumentative.  

Voir une autre définition dans le Répertoire des procédés littéraires.

     Rimbaud n’a pas inventé le poème en prose mais il est certainement de ceux qui ont le plus contribué, au XIXe siècle, à fonder une « modernité poétique » qui, au siècle suivant, devait accepter l’idée d’une poésie en prose, à dignité égale avec le vers régulier.
 
     Dans L’Art de Rimbaud, Michel Murat propose un panorama des formes de poèmes en prose attestées vers 1870, au moment où Rimbaud se lance à la recherche de formes poétiques nouvelles. Il distingue le « poème-bloc », morceau de prose constitué d’un seul paragraphe, de dimension inférieure à une page, dont l’exemple pourrait être Le Port, de Baudelaire (Petits poèmes en prose, 1869) ; le «poème alinéaire », découpé en paragraphes, comme Un hémisphère dans une chevelure, de Baudelaire ; la « ballade en prose », découpée en couplets à la manière d’Aloysius Bertrand (par exemple Un rêve, dans Gaspard de la nuit) ; la transcription en prose de poème versifié ou de chanson à la manière de Gérard de Nerval dans Les Chansons du Valois ou de Catulle Mendès dans Lieds populaires de l’Allemagne du Nord. Il signale chez Rimbaud des éléments de continuité par rapport à cette tradition naissante et des apports personnels de l’auteur des Illuminations. Sur 39 pièces que contient le recueil, 16 sont formées d’un bloc, 21 sont des poèmes alinéaires, 2 sont des poèmes en vers libres. Sur les 21 poèmes alinéaires, 10 présentent des paragraphes courts, la plupart structurés par des parallélismes, et constituent (selon Michel Murat) une étape décisive vers le poème en vers libres, innovation propre à l’auteur des Illuminations (Michel Murat, op. cit. page 299 et suivantes).
 
     Les commentateurs soulignent également, comme Dominique Combe, "la formidable concentration du matériel verbal accomplie par Rimbaud" pour échapper à ce que peut avoir encore de rhétorique la prose grammaticalement bien charpentée des Petits poèmes en prose de Baudelaire (voir nos rubriques consacrées à la parataxe, à l'ellipse, au tiret, au rythme de la prose, etc.). Il s'agit au fond, écrit D. Combe, "de poétiser la prose en aérant, en allégeant sa matière". "Comme les parenthèses et les points de suspension, comme l'asyndète et la parataxe, les [tirets, véritables] signes rythmiques de ponctuation ont pour principal effet d'empêcher le déroulement et l'expansion de la phrase en période, qui apparenterait le poème en prose à la prose poétique
à la manière de Chateaubriand ou, pour rester dans le domaine du poème en prose, de Maurice de Guérin". "Par là, écrit encore D. Combe, le style de Rimbaud défait cette valeur essentielle du continu et du développement qui, selon Barthes, régit la rhétorique classique."

     L'Illumination intitulée Barbare nous fournira un exemple significatif du type de poème en prose mis au point par Rimbaud.  Michel Murat, qui a minutieusement étudié la structure formelle de ce poème (op. cit. p.241-248, 264-265, 360-365), le classe dans cette dizaine de pièces des Illuminations qu'il décrit comme des poèmes alinéaires constitués de paragraphes courts. L’abandon de la disposition normale du paragraphe de prose vise à mettre en valeur les effets de récurrence syntaxique rythmant poétiquement le texte. Formellement, la technique repose sur les trois caractéristiques suivantes :

     a) Une disposition en alinéas.
 
    Le texte est composé de dix courts alinéas. On constate que les 1er, 3e, 4e et 7e alinéas ne correspondent pas avec un signe de ponctuation fort : la phrase enjambe d’un alinéa sur l’autre exactement comme dans une poème versifié. Par ailleurs, tous les alinéas commencent par une majuscule, même lorsque la phrase grammaticale a été interrompue par l’enjambement. Cela n’empêche pas la phrase grammaticale de conserver un rôle structurant au niveau du sens.

     b) Une construction par reprises et parallélismes syntaxiques.
 
    Les phénomènes de reprise (répétition du même mot ou groupe de mots) et de parallélisme (répétition d’une même structure syntaxique et rythmique) sont nombreux dans le poème : 

  • §2, §4, §10 : La phrase commençant par « Le pavillon de viande saignante » est une sorte de refrain.

  • le mot « douceurs » revient quatre fois sous forme d’apostrophes exclamatives : §5, §6, §9, §9.

  • de même le mot « monde » : § 6 et 8.

  • les § 3 et 7 présentent deux cas évidents de parallélisme syntaxique : 
    - le syntagme introduit par « loin de » (« loin des anciens assassins » (§3) ; « loin des vieilles retraites et des vieilles flammes » (§7)) ;
    - la proposition relative (« qui nous attaquent encore ... »
    (§3) ; « qu’on entend, qu’on sent » (§7)).

  • il y aurait encore beaucoup d’autres effets de parallélisme à signaler à l’intérieur des alinéas (notamment dans les alinéas longs : le §6 et le §9).

On constate néanmoins que ces répétitions s’accompagnent presque toujours de légères variations (par l’ajout d’une interjection — « oh ! », « ô ! » —, le changement de la ponctuation, l’emplacement du terme concerné — en position initiale, au milieu ou à la fin de l’alinéa —, etc.). L’étude du poème montre qu’il n’y a pas là seulement un souci de diversité mais la recherche de subtils effets de sens.

     c) Une syntaxe intégralement nominale.  

    Les seuls verbes qu’on trouve dans « Barbare » sont ceux de la parenthèse répétée : « (elles n’existent pas) » et des propositions relatives présentes dans le 7e alinéa : « qu’on entend, qu’on sent ». Tout le reste est rédigé en phrases nominales, et se présente généralement soit sous forme d’appositions (« Les brasiers [...], les feux [...] » ; « La musique, virement [...]) ; soit sous forme énumérative : coordonnée, juxtaposée par asyndète (« les formes, les sueurs, les chevelures ») ou par polysyndète (« Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays, » ; « Et les larmes blanches [...], et la voix féminine [...]). Cette syntaxe nominale contribue fortement au rythme incantatoire, psalmodique, du texte.

      À ces remarques il faudrait ajouter le soin minutieux apporté à la ponctuation (tirets, parenthèses, ...), les assonances et allitérations, les effets de rythme obtenus par ce que certains ont considéré comme de véritables "segments métriques", toutes choses démontrant l'importance du travail du signifiant dans le poème. Une telle précision dans les dispositifs formels ne s'obtient pas sans qu'on ait cédé quelque peu, selon la célèbre formule de Mallarmé, "l'initiative aux mots". Barbare représente bien le type de poème en prose inventé par Rimbaud qui, contrairement à Baudelaire dans le Spleen de Paris, recherche une écriture puissamment lyrique conservant, tout en les adaptant, beaucoup des effets phonétiques et rythmiques de la poésie versifiée.

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Bibliographie

   Pour une courte synthèse sur Rimbaud et le poème en prose, on pourra se reporter à l'ouvrage de Dominique Combe : Poésies. Une saison en enfer. Illuminations, Foliothèque, 2004. Lire notamment la partie Formes et genres du poème en prose, p. 107-118, et ses trois sous-parties : Brièveté et densité / Discontinuité et "sauts d'harmonie inouïs" / Autonomie et clôture.
   Mais l'ouvrage de référence est désormais celui de Michel Murat : L’art de Rimbaud, Corti, 2002.
  
La thèse de Suzanne Bernard : Le poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours, Nizet, 1959, consacre soixante excellentes pages à Rimbaud

S
ite C.A.F.É. :
- sur le poème en prose :
www.serveur.cafe.edu/genres/n-poepro.html
- sur les procédés du poème en prose : www.serveur.cafe.edu/genres/p-poepro.html