Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE
ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE
CHANSON
CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs
ELLIPSE
Facule discursive
JEU DE MOTS
HYPALLAGE
HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE
Métaphore
MÉTONYMIE
OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE
Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION
RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset
ZEUGMA |
CHUTE :
En littérature, le mot désigne l’effet
de surprise ménagé par l'auteur à la fin d’un texte, qui éclaire son
sens, peut conduire à le réinterpréter. La tonalité recherchée peut être pathétique, lyrique, humoristique ou ironique (dans ce cas on parle
aussi de « pointe » : pointe de l’épigramme, sonnet à pointe)...
Cette conclusion inattendue est en général préparée pour permettre
au lecteur vigilant de deviner peu à peu la signification du texte (poème,
conte, nouvelle …).
On constate
l’intérêt de Rimbaud pour cet ingénieux artifice de composition dés ses
premiers poèmes. Le Dormeur du val commence avec l'évocation d'un
paysage printanier, ruisselant de lumière et de vie, et s'achève avec
les "deux trous rouges au côté droit". Celui qui lit le sonnet pour la
première fois ne peut manquer d’éprouver, face à ce dernier vers, un vif
étonnement. En effet, les indications rassurantes ont été répétées avec
une telle insistance, depuis le titre jusqu’à l’adjectif « tranquille »,
au début du vers 14, que le lecteur le plus attentif néglige presque
nécessairement les signaux alarmants pouvant suggérer la mort ("bouche
ouverte", "pâle", "glaïeuls", "enfant malade", ...). Ce
suspense contribue à l'attrait du poème.
Dans certains cas, l'effet de surprise repose seulement sur la
soudaineté et/ou la puissance suggestive exceptionnelle de la conclusion
du texte. Ainsi,
dans cet autre sonnet à pointe qu’est Vénus Anadyomène, Rimbaud,
désireux de montrer
ce que
notre société a fait de l’éternelle idole (la Femme), prend pour thème
le mythe antique de la
naissance
d’Aphrodite (Vénus née des flots) en substituant à ce
modèle une description
dégradante
du corps féminin qui culmine dans le détail particulièrement cru du
dernier vers : « Belle hideusement d'un ulcère à l'anus ».
On a là une sorte de clausule,
c’est-à-dire un dernier membre de phrase, particulièrement travaillé,
parfois mis en relief par quelque artifice de versification ou de
typographie comme dans ces exemples des Assis : « — Et leur
membre s'agace à des barbes d'épis »
et de Sensation : « Par la Nature, — heureux comme avec une
femme ».
Mais il arrive que cette chute, plutôt que de confirmer un
sens déjà clair, contredise par une conclusion déceptive le
sens prévisible et la
tonalité dominante du texte. On pourrait citer, pour rester
dans la thématique rimbaldienne de la Femme, la première section d’Enfance
dans les Illuminations ou cette épigramme sui
generis qu’est le fameux quatrain « L'étoile a pleuré rose au
cœur de tes oreilles … ».
Ainsi, dans ce dernier texte, on croit bien reconnaître une célébration
du corps féminin, un blason,
et même, pour être plus précis, une Vénus
naissant des flots. Mais Rimbaud ménage
une chute sinistre qui renverse le sens logiquement attendu : «
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain ». Il
transforme ainsi un apparent madrigal en une épigramme féroce, dénonçant
les souffrances imposées à l'Homme par la Femme. Plusieurs formules de clôture des
Illuminations recherchent un comparable effet de retournement, par interruption de l’envolée
lyrique, de la vision, du rêve (voir Ponts, Aube, Nocturne
vulgaire…).
Une autre variante est la chute en forme de
sentence, la « moralité » comme celles qu’on trouve
dans les fables ou les contes.
La signification de l’ « illumination »
intitulée Conte, par exemple, se dévoile à la fois par le caractère
paradoxal et déceptif de la péripétie finale (parachevant la liste des échecs
successifs du Prince) et dans l'aphorisme
qui prolonge ce dénouement et en redouble le sens : « La musique savante
manque à notre désir ». On notera qu’ici, l’effet de surprise ne réside
pas seulement dans le pouvoir d’élucidation de la maxime mais
aussi dans l’étrangeté de cette formule décalée qui emprunte son
vocabulaire à un domaine sémantique tout à fait étranger au poème. Quelque
chose du même ordre se produit dans les phrases conclusives de
Matinée d’ivresse (« Voici le temps des Assassins »)
ou de Guerre (« C’est aussi simple qu’une phrase musicale »).
La technique
de la chute est une des ressources de cette poétique de l’énigme
qui est l'un des constituants majeurs de l’art
de Rimbaud et qui n’est pas loin de représenter, si l’on en croit Mallarmé,
l'essence même de la poésie :
Nommer
un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poëme
qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le
rêve […]. Il doit toujours y avoir énigme en poésie, et c’est le but
de la littérature, − il n’y en a pas d’autres − d’évoquer des
objets.
Stéphane Mallarmé, Sur
l’évolution littéraire,
Réponse à l’enquête de Jules Huret, L’Écho de Paris,
1891.
C’est
pourquoi la poésie de Rimbaud, comme celle de Mallarmé, cultive un
certain mystère, pour ne pas dire : une « obscurité ». Elle lance un
défi au consommateur routinier de la chose littéraire. Un défi qui
s’avoue d’ailleurs comme tel, à la chute de certains de ses textes :
« J’ai seul la clé de cette parade sauvage » ; « Trouvez Hortense » … |