Visitez le 
Lexique des termes littéraires 

du site Lettres.org

Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

RYTHME (PROSE) : Le rythme est l’inscription du discours dans le temps. Il résulte de la durée relative des segments que découpent dans l’énoncé la syntaxe, la ponctuation, et en dernier ressort le sens. L’étude du rythme prend en compte la longueur et la coupe des phrases, la cadence produite par la distribution des segments à l’intérieur de la phrase (période), l’effet produit par le nombre et l’emplacement des accents d’intensité. En poésie, l’étude du rythme est rendue plus complexe par le jeu des règles de versification. En prose, c’est la phrase seule qui sert de base au rythme, l’organisation en groupes rythmiques coïncidant étroitement avec l’organisation syntaxique. A priori, toute prose a un rythme. Mais la notion de rythme, même en prose, suppose la perception de régularités (retour de certains nombres, structures binaires, ternaires, …) et d’irrégularités calculées (jeu du pair et de l’impair, symétries et dissymétries, longueurs croissantes et décroissantes, …). Certaines proses en paraissent si dépourvues qu’on peut les dire rythmiquement amorphes. Mais on peut établir comme un principe, en citant Mallarmé, qu’il y a rythme dès qu’il y a "effort de style" (Réponse à une enquête sur l'évolution littéraire, Pléiade, 1945, p.867).

      La plupart des commentateurs qui cherchent à définir ce qu’il y a de personnel et de particulièrement remarquable dans le style de Rimbaud signalent (en tant que qualités ou en tant que défauts) des caractéristiques qui ont presque toujours quelque chose à voir avec le rythme (voir dans l'introduction de ce glossaire : « Le style de Rimbaud », les formules utilisées par Paul Verlaine, Paul Valéry, Jacques Rivière, Albert Thibaudet, Suzanne Bernard, Michel Murat). Il en ressort l'idée d'un rythme bien marqué, rapide, heurté, énergique.
     La littérature critique concernant l’œuvre de Rimbaud tente de repérer les moyens stylistiques précis qui concourent à cette impression générale. En voici quelques-uns :  

  • La tendance à remplacer la syntaxe logique (phrase verbo-nominale, phrase complexe) par la syntaxe nominale (phrases nominales, énumérations, appositions, nominalisation du procès verbal, constructions participiales, jeu de l’impératif)  Michel Murat a particulièrement étudié ce phénomène linguistique dans le chapitre de son Art de Rimbaud intitulé « Le jeu de la phrase » (op. cit. p. 383-400). Déjà, Suzanne Bernard avait signalé cette caractéristique et en avait analysé une conséquence rythmique : « La multiplication des accents, par élimination de toutes les parties neutres de la phrase, les mots significatifs subsistant seuls : il y a ainsi cinq accents sur la courte phrase : « O les calvaires et les moulins du désert, les îles et les meules » (Enfance II) ; il y en a six dans la phrase : « Et , les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant » (Barbare). » (op. cit. p. 207).

  • La concision  De nombreux commentateurs (Jacques Rivière, Suzanne Bernard, Danièle Bandelier, Pierre Brunel, André Guyaux, Yoshikazu Nakaji) ont mis en évidence la recherche rimbaldienne de la brièveté en comparant les brouillons d’Une saison en enfer (du moins les lambeaux qui nous en sont parvenus) avec le texte définitif imprimé à Bruxelles. Jacques Rivière, notamment, dans son Rimbaud de 1930 (op. cit. p.203 sqq), note que le texte définitif est toujours plus court que l’ébauche correspondante, que Rimbaud a régulièrement supprimé les éléments superfétatoires qui pouvaient rendre le discours trop lourd ou trop lent à son gré. Rimbaud allège son texte des idées secondaires pour le centrer autour d’une unique métaphore (1° alinéa du brouillon de Mauvais sang) ; ou il réorganise un premier jet chaotique de plusieurs lignes pour le résumer en une seule maxime bien frappée (« l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement », dans Alchimie du verbe) ; ou il supprime des phrases entières au risque parfois d’affaiblir la lisibilité du texte (cf. l’alinéa : « Plutôt ; éviter la main brutale de la justice. de la mort … » dans le brouillon de Mauvais Sang ou encore la fin du brouillon d’Alchimie du Verbe, à partir de « cela s’est passé peu à peu … »). Jacques Rivière décrit l’incidence de ce resserrement du texte sur ses qualités rythmiques : « Dans le texte définitif il n’y a pas seulement moins de mots que dans l’ébauche ; il y a aussi une allure nouvelle de ces mots, une rigueur, qui jusque-là n’était pas sensible, de leur groupement […], une mesure entreprend de se faire sentir, une démarche brève s’empare des phrases sans direction : une vivacité immédiate, une sorte de nécessité […] » (op. cit. p. 205-206).

  • Le refus de la « cadence majeure » Suzanne Bernard (op. cit. p.207) signale une particularité rythmique de la phrase rimbaldienne : "bien loin de rechercher la cadence majeure si fréquente dans la prose française, et grâce à laquelle le rythme va en s'élargissant, la phrase rimbaldienne s'organise par masses non pas croissantes mais décroissantes, et souvent se termine par des membres extrêmement brefs [...]". Elle cite en exemples Métropolitain et cette phrase de Nocturne vulgaire : "Dans un défaut du haut de la glace de droite tournoient les blêmes figures lunaires, feuilles, seins". Toute la force de la phrase, commente-t-elle se trouve reportée sur les mots brefs de la fin, sur lesquels nous sommes obligés de faire porter plusieurs accents successifs. Ce rythme contrarie nos habitudes de lecteurs accoutumés au balancement incantatoire de la "période" oratoire. La période, du grec "periodos", chemin autour, circuit, désigne en stylistique une longue phrase complexe et cadencée semblant s'arrondir, avant de se refermer sur elle-même. La période présente une montée (première partie ou protase) puis une descente (deuxième partie ou apodose). Ce mouvement circonflexe est souvent produit par le jeu de cadences majeures (segments de phrases de plus en plus longs) puis mineures (de plus en plus courts). Selon Suzanne Bernard, Rimbaud détraque cette rhétorique multiséculaire pour donner l'impression d'un discours plus ferme, plus tendu.

  • Le découpage de la phrase de prose en segments rythmiques stables (non assimilables à des vers « blancs ») Michel Murat (op. cit. p.421 et suivantes) décèle dans la prose rimbaldienne des "modules rythmiques", c'est à dire le retour de certaines longueurs constituant des unités rythmiques propres à la prose, sans aucun rapport avec le principe de périodicité rythmique propre au vers. "Prenons l'exemple de la triade de Départ : "Assez vu. [...] Assez eu [...]. Assez connu". Elle présente une configuration 3-3-4 ou plus précisément : 2-1/2-1/2-2 faite de rapports d'équivalence et de variation." Il signale la présence de rythmes perceptibles dans Veillées I, "construit sur une répartition simple et équilibrée de modules de 7 (§1), de 8 (§2-4) et de 6 (clausule)", dans Barbare ou encore dans Génie, dont il procure une analyse détaillée. Il ne refuse pas toutefois de reconnaître un statut au vers blanc, notamment à l'alexandrin et au décasyllabe, dont la structure binaire est nécessairement reconnue par l'oreille, et consciemment utilisée par le poète pour produire son effet traditionnel d'"emphase noble". Par exemple, cet alexandrin d'Antique : "Ton cœur bat dans ce ventre où dort le double sexe"; ou ce décasyllabe d'Enfance IV, coupé 4/6 : "Que les oiseaux et les sources sont loin!". 

  •   La recherche d’une synthèse entre écriture et oralité — Dans son article Un prodigieux linguiste (op. cit. p.11 et suivantes), André Guyaux insiste sur la part d'oralité présente dans l'écriture de la Saison en enfer : "L'auteur stylise un texte qui garde le jaillissement de la parole [...] Ce style oral donne l'impression, à la lecture, d'un texte toujours vivant, presque trop naturel [...] L'originalité, l'unité profonde d'Une saison en enfer est là, dans cette oralité stylisée, recréée. Plusieurs registres y sont à l'œuvre. "Familiers" et "soutenus", ils se relaient pour organiser ce style oral". Se reporter dans ce glossaire à la rubrique : "style oral".

 

________________________________

Bibliographie

Jacques Rivière, Rimbaud, Kra, 1930.
Suzanne Bernard, Le poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours, Nizet, 1959.
André Guyaux, Duplicités de Rimbaud, Champion, 1991.
Michel Murat, L’art de Rimbaud, Corti, 2002.