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Lexique des termes littéraires 

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 Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

ALLITÉRATION / ASSONANCE : Effets sonores fondés sur la répétition de consonnes (allitération) ou de sons vocaliques (assonances) identiques. On emploie pour les regrouper le terme d'homophonies. Ces jeux phonétiques cherchent parfois à inspirer au lecteur une relation entre le sens du texte et l'effet d'insistance inscrit dans sa matière sonore. On parle dans ce cas traditionnellement d'"harmonie imitative" (effet musical visant à l'imitation de ce qui est représenté)[1]

 

"UN JEU DE MIROIRS ANALOGUE À CELUI DES RIMES"

 

     Dès ses premiers poèmes, Rimbaud manie avec virtuosité le jeu des combinaisons sonores. Louis Aragon dit quelque part qu'il élève la technique des assonances et des allitérations à la hauteur d'un "jeu de miroirs analogue à celui des rimes" (Louis Aragon, Blanche ou l'oubli, 1967, Folio, p.79). 

     Observons par exemple l'effet voluptueux des allitérations en /s/ dans les dernières strophes des Chercheuses de poux :

[...]

Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

     Ces vers exploitent les allitérations en /s/ pour faire ressortir l'idée de silence, une impression de promiscuité et de douceur, la sensation physique du souffle des jeunes filles dans le cou de l'enfant. D'autres effets sonores se combinent avec le précédent; assonances en (/ã/) : "Il entend leurs cils noirs battant sous les silences"; reprises de la séquence /ir/ : désirs, désir, délirer, mourir, soupir; et de nombreuses harmoniques encore, qu'il serait trop long d'énumérer. 

     Mais le jeu avec les sonorités ne se contente pas de fournir une imitation expressive du sens. Il semble parfois engendrer l'idée elle-même, de sorte que la hiérarchie traditionnellement admise entre forme et signification s'en trouve renversée. Le texte progresse par associations de sonorités autant et plus que par enchaînements d'idées : 

"Maintenant tout le monde sait qui c'est, Rimbaud, on s'excite sur, comment donc ? Un homme de l'oubli. L'oubli fait homme. L'inventeur à vrai dire d'un système métagrammatique d'écriture lequel permet d'aboutir par un jeu de miroirs analogue à celui des rimes (mais étendu à la phrase) à une création imprévue due à des combinaisons phoniques, fournissant à l'écrivain les éléments même du récit" (Louis Aragon, ibid.).

     Comme exemple significatif, on pourra citer la prose des Illuminations intitulée Antique :

Antique

     Gracieux fils de Pan ! Autour de ton front couronné de fleurettes et de baies tes yeux, des boules précieuses, remuent. Tachées de lies brunes, tes joues se creusent. Tes crocs luisent. Ta poitrine ressemble à une cithare, des tintements circulent dans tes bras blonds. Ton cœur bat dans ce ventre où dort le double sexe. Promène-toi, la nuit, en mouvant doucement cette cuisse, cette seconde cuisse et cette jambe de gauche.

      Antoine Raybaud écrit à propos de ce poème : "Ce texte-ci semble annoncer, d'entrée, son objet : "Gracieux fils de Pan !" Mais il tourne, quittant le plan sémantique, pour jouer de sa trame sonore, issue des termes mêmes de l'annonce, et sur laquelle vont se composer les termes de la fable :

     Gracieux - tes yeux - précieuses - se creusent ;
     fils - luisent - nuit - cuisse - cuisse;
     Pan - ressemble - tintements - ventre - mouvant - doucement - jambe

     Trois suites phoniques font chaîne, après avoir fait leur entrée dans le texte en trois temps, dans l'ordre même de l'annonce, elles se déploient ou se composent, et même modulent (précieuses - creusent - luisent) : la thématique musicale (tintement ; cithare), avant toute légitimité de comparaison ou de référence, figure le travail même du texte qui la dit et qu'elle dit, et, de la sorte, ne se comprend que dans le travail de ce texte, qui la rend possible et la présente" (op. cit., p.13-14).

     À propos de cette même pièce, André Guyaux fait remarquer la valeur structurante de l'allitération en /t/ qui, reliant la deuxième personne du singulier ("tu", "te", "toi" ...) au mot "tintements", contribue à la métamorphose merveilleuse de l'objet du désir en une sorte de corps musical, vibrant au rythme du cœur ("Ton cœur bat dans ce ventre ou dort le double sexe") :

     "La deuxième personne martèle à coups de "t" l'espace de cette évocation-invocation, elle y résonne comme une allitération qui la dépasse :

     Autour de ton front [...] Tachées [...] tes joues [...] Tes crocs [...] Ta poitrine [...] des tintements [...] dans tes bras [...] Ton cœur [...] toi [...]

On dirait alors que d'autres mots que les possessifs signifient le même appel et que tout le texte fait écho à l'autorité du fantasme" (op. cit. 1985, p.203).

     Le lecteur aura noté chez les deux critiques une même méthode consistant à repérer dans le texte des mots-clés, générateurs d'un modèle (l'adjectif "gracieux", les pronoms de deuxième personne, le substantif "tintements"), pour observer ensuite la dissémination de ce modèle phonétique à travers certaines chaînes de mots.
 

   Comme l'a fort bien expliqué Henri Meschonnic à propos du poème Mémoire, l'allitération n'a plus nécessairement, chez Rimbaud, sa fonction imitative classique. Il s'agit véritablement d'une manière nouvelle dans la recherche des effets auditifs. Ces derniers proviennent essentiellement de « chaînes prosodiques », c'est-à-dire de sons se répétant en chaîne dans une partie de l'énoncé comme, par exemple, les /s/ dans la première strophe : sel-enfance-assaut-soleil-soie-lys-pucelle.

L'eau claire ; comme le sel des larmes d'enfance,
l'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ;
la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ; [...]

   Meschonnic signale aussi l'embrassement syntagmatique /lssl/ dans la suite « l’assaut au soleil » (v. 2), l'inversion à la même position syllabique superposée « la soie-sous les » /ls-sl/, et « lys pur-pucelle ».
   De même, dans la suite du poème, on pourra relever la chaîne : « anges » (1,5) - « jaune-conjugale-jalouse » (II, 13-14-15) - « neigent  »  (III, 18) - « rouge-anges » (III, 21-22) - « jeunes-joie-germer » (IV, 25-26-28) - « Jouet-je-jaune » (V, 33-35) - « toujours » (V, 39).
   On ne saurait analyser ces phénomènes comme des allitérations à fonction imitative ou expressive, mais il y a bien là une forme d'organisation des valeurs sonores qui contribue à la constitution d'une langue poétique spécifique, propre à un texte et/ou à un auteur.
 

     Cette exploitation novatrice de la matière sonore de la langue ne signifie évidemment pas, comme l'a parfois cru la critique structuraliste des années 60-70, que le texte échappe à toute logique discursive ou narrative. Cette thèse insoutenable affleure, par exemple, dans le célèbre essai du critique littéraire allemand Hugo Friedrich Structure de la poésie moderne (1956) :

     "Le comble de l'audace est atteint lorsque la volonté d'effet sonore domine à tel point dans le vers que la phrase qu'impose cette recherche n'a plus aucun sens ou du moins ne présente qu'une signification absurde : "Un hydrolat lacrymal lave" ou "Mon triste cœur bave à la poupe". On pourrait ici à titre de comparaison parler de musique atonale. La dissonance, née de la contradiction entre l'absurdité du sens et la puissance absolue des sonorités, demeure désormais entière. Nous comprenons mieux encore ce problème avec le poème en prose "Métropolitain" où nous trouvons cette phrase : "... et les atroces fleurs qu'on appellerait cœurs et sœurs, Damas damnant de langueur" (une variante donne "longueur", mais ce détail a peu d'importance). Si l'on voulait traduire ce texte du français dans une autre langue, la traduction se révélerait nécessairement fausse, non parce qu'elle aboutirait à des absurdités (ce qui est déjà le cas dans le texte original), mais parce qu'elle passerait à côté de ce qui donne naissance à la phrase, c'est à dire l'élaboration d'un langage. La phrase est une succession abstraite d'assonances et d'allitérations".

     Malencontreusement pour l'auteur de cette analyse, les extraits qu'il cite à l'appui de sa thèse ne sont nullement dépourvus de sens précis, illogiques ou incompréhensibles, comme il l'affirme péremptoirement (voir les commentaires que nous proposons pour ces divers passages dans notre anthologie commentée). On mesure là les conséquences nocives d'une lecture doctrinaire (et finalement paresseuse) de l'œuvre de Rimbaud. Mais l'auteur souligne à juste titre les difficultés que la pratique rimbaldienne de l'assonance et de l'allitération impose à ses traducteurs. 

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[1] Voici les exemples choisis par un grand critique littéraire du début du XXe siècle, Albert Thibaudet, pour en illustrer le mécanisme : 

"L'assonance et l'allitération sont pratiquées de façon constante par certains poètes, à l'exclusion des autres. Becq de Fouquières, dans son Traité, appelle l'attention sur leur abondance extraordinaire chez Racine. Victor Hugo en joue avec une ampleur et une sûreté merveilleuses.

                 La terre fut jadis, alma Cérès,
Mère aux yeux bleus des blés, des prés et des forêts.

                                                        (À la Terre)

Elles sont, pour la prose, des esprits actifs et tout-puissants de beauté verbale, et plus fréquentes peut-être dans Chateaubriand que dans Racine. Flaubert qui disait qu'une assonance doit être évitée, dût-on y passer huit jours, en place une fort belle à la première ligne de Salammbô. "C'était à Megara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar." Les a redoublés des trois noms propres déploient un rideau de pourpre sombre au seuil du roman barbare. Victor Hugo, faisant gravir aux cuirassiers de Waterloo "comme un bélier de bronze qui ouvre une brèche, l'épouvantable pente de boue du Mont Saint-Jean" réalise par l'allitération des labiales, la perfection de ce qu'on appelait autrefois l'harmonie imitative."
                                          (La Poésie de Mallarmé, Tel Gallimard, 2006, p.226)

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Bibliographie

  • Hugo Friedrich, Structure de la poésie moderne, Le Livre de Poche - Références, 1956 (1999 pour la traduction française), p.129.

  • Henri Meschonnic, "Le travail du langage dans Mémoire de Rimbaud", Langages, n°31, 1973, p.103-111 (repris dans Critique du rythme, p.341-350,  Verdier, 1982).
    Consultable en ligne sur le site Persée :
    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726x_1973_num_8_31_2239

  • André Guyaux, "Poétique du glissement", Lectures de Rimbaud, Revue de l'Université de Bruxelles, 1982, p.185-213.

  • André Guyaux, Illuminations, texte établi et commenté par A.G., À la Baconnière, 1985.

  • Antoine Raybaud, Fabrique d'Illuminations, Seuil, 1989.