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Lexique des termes littéraires 

du site Lettres.org

Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

ASYNDÈTE / POLYSYNDÈTE : L'asyndète consiste à supprimer intentionnellement dans une phrase les conjonctions qui y seraient nécessaires pour préciser le lien logique entre les mots ou les groupes de mots. La polysyndète consiste au contraire à multiplier ces liens plus qu'il ne serait nécessaire. Dans son Gradus, Bernard Dupriez rapporte ce jugement du rhétoricien latin du 1° siècle après J.C., Quintilien : "Polysyndète et asyndète sont complémentaires. Ces deux figures ne sont autres choses qu'un amas de mots ou de phrases qu'on entasse; avec cette seule différence que quelquefois on y ajoute des liaisons ou des particules conjonctives, et quelquefois on les retranche". Les stylisticiens sont généralement d'accord pour considérer que les deux figures ont en commun de provoquer dans la phrase un apparent désordre destiné à détacher chaque élément afin de lui donner un relief individuel.

     Rimbaud pratique beaucoup ces deux figures. Chez lui, en effet, "la phrase étant destinée à suggérer une vision, et non à exprimer une pensée, les articulations logiques en seront supprimées sans dommage [...] Il les remplace par une juxtaposition d'images; la phrase devient une simple énumération [...] On peut même dire que le pouvoir évocateur du mot est d'autant plus fort que les liens logiques de la phrase sont plus relâchés [...]" (Étiemble et Yassu Gauclère, op. cit. p. 220-221).  
     

     Observons-en trois exemples, tirés des Illuminations et d'Une saison en enfer.

     Exemple 1 : Soit cette parenthèse, à l'intérieur de la première phrase d' Angoisse, qui constitue dans le poème un verset détaché :

" ( Ô palmes! diamant! Amour, force! plus haut que toutes joies et gloires! de toutes façons, partout, Démon, dieu, Jeunesse de cet être-ci; moi! ) "

    Si nous observons le découpage syntaxique interne de ce membre de phrase entre parenthèses, nous constatons qu'il s'agit d'une juxtaposition de six groupes nominaux séparés par des tirets, la plupart d'entre eux binaires, le tout étant introduit par une interjection à valeur d'apostrophe lyrique ("Ô") : syntaxe nominale énumérative pourrions-nous dire. La nature particulière de cette proposition fait que ne sont marqués clairement (par une conjonction ou tout autre lien grammatical ou lexical) ni son articulation logique avec le contexte, ni l'articulation logique entre les groupes qui la constituent, ni le rapport logique entre les deux mots qui forment chaque groupe binaire. Seule, l'enquête minutieuse sur le sens des éléments juxtaposés peut nous permettre de rétablir une continuité dans le discours.
    Analysant ce passage
André Guyaux constate que les mots vont par couples et analyse le mécanisme de l'asyndète : "L'enchaînement asyndétique des termes dans chaque couple et des couples eux-mêmes, unis et séparés par les tirets, − cinq tirets puisqu'il y a six groupes, − n'est pas nécessairement dépourvu de rapports logiques. [...] Amour et force se complètent, forment un sous-ensemble contrasté.  [...] Le rapport antinomique et analogique de démon et dieu, le rapport d'identité entre cet être-ci et moi, apparaissent en dépit de la juxtaposition des termes. Le point-virgule, entre cet être-ci et moi, tend vers une désunion contraire à leur évidente identité, le déictique ci désignant ce qui le suit." "Entre les couples de mots, des liens de subordination implicites se dessinent, par exemple entre le concret diamant et l'abstrait amour." (op. cit., p.182-197).
     Voir dans ce site (page consacrée à Angoisse), une analyse de l'effet esthétique de cette parenthèse lyrique et de son sens. 

     Exemple 2 : À plusieurs reprises, Rimbaud use de la polysyndète dans le Prologue de la Saison en enfer :

     "Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. Et je l'ai trouvée amère. Et je l'ai injuriée." 

     Un peu plus loin dans le même texte, on a la séquence :

     " Et j'ai joué de bons tours à la folie. / Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot."

     La polysyndète s'allie ici à d'autres éléments stylistiques (anaphore, parallélismes syntaxiques, brièveté des phrases et fréquence des alinéas) pour produire une impression d'accumulation. Plus précisément dans ce poème  étant donné le sens des verbes (ou des phrases) concernés d'une accumulation de violences.
     Voir dans ce site (page consacrée au Prologue de la Saison) l'analyse de ce texte.

     Exemple 3 : Il s'agit d'un verset extrait de : Départ (Illuminations).

"Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours."

     Ici encore, on peut observer l'effet cumulatif de la polysyndète ("le soir, et au soleil, et toujours"); il renforce l'idée de lassitude qui constitue le thème principal de ce court poème.
     Voir dans ce site l'étude de Départ.

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Bibliographie

Étiemble et Yassu Gauclère, Rimbaud, NRF, 1936.
André Guyaux,
Illuminations, texte établi et commenté par A. G., À la Baconnière, 1985.