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Lexique des termes littéraires 

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Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

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HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
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POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

HYPERBOLE : Figure de style consistant à exagérer l'expression de sa pensée. Dans la littérature, l'hyperbole est utilisée pour créer un style emphatique, c'est à dire grandiose (on dira "grandiloquent" si on estime cette solennité outrancière). L'hyperbole abonde dans les oeuvres de tonalité épique et chaque fois que l'auteur veut grossir les faits, grandir un personnage, provoquer chez le lecteur un effet d'admiration, d'enthousiasme ou de crainte.

     Il y a chez Rimbaud une emphase de la colère, une emphase de la révolte. On y trouve aussi une assimilation de la quête poétique à une aventure, sœur jumelle de celle des livres de l'enfance. Dominique Combe (op. cit.) parle d'une "épopée de la voyance". Ces caractéristiques expliquent la présence d'une tonalité héroïque dans certains textes, lorsque le poète évoque ses départs, ses marches vers l'inconnu géographique et métaphysique ... et leurs échecs tout aussi tonitruants. Là est sans doute la principale racine de son goût pour l'hyperbole, ou de ce qu'André Guyaux appelle son "superlativisme", sa "rhétorique de l'excès" (op.cit. p.202).
     Par exemple, il affectionne les nombres disproportionnés : "... rêver au blanc million des Maries" (Les Premières Communions) ; "Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur?" (Le Bateau ivre); "Ô million de Christs aux yeux sombres et doux" ("Morts de Quatre-vingt-douze...") ; "Viens, les Vins vont aux plages, / Et les flots par millions!" (Comédie de la soif); "Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes" (Paris se repeuple); "La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale" (Après le Déluge); "Voilà mille loups, mille graines sauvages [...] Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront" (Michel et Christine); etc., etc. On trouve le même procédé dans sa correspondance : "balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse" (lettre dite "du Voyant" du 15 mai 71); "une mère aussi inflexible que soixante-treize administrations à casquettes de plomb" (lettre à Demeny du 28 août 71); "Verlaine est arrivé ici l'autre jour un chapelet aux pinces ... Trois heures après, on avait renié son dieu et fait saigner les 98 plaies de N.S." (lettre à Delahaye du 5 mars 1875).
    Le goût de Rimbaud pour les pluriels insolites (pluriel de noms abstraits par exemple : les "immobilités bleues", les "rouges tourmentes", les "grises indolences",  les "pubescences d'or", les "enfances",...) est une des manifestations de son style emphatique. Paule Lapeyre, commentant cette particularité, écrit notamment : "[...] il faut citer un usage du pluriel typiquement rimbaldien, c'est le pluriel des noms de lieu : les Asies, les Sions, les Florides, les Guyanes, les Norvèges, les Oises extravagantes, cent Solognes, les Sodomes et les Solymes, les Etnas, les Orients... autant de 'formules' et de 'lieux' 'trouvés' par le poète qui se vante de 'posséder tous les paysages possibles'. Ici, le pluriel insolite dilue l'espace ainsi dilaté dans une précision illusoire" (op.cit. p.357).
     Dominique Combe a souligné dans son analyse du Bateau ivre le recours insistant de l'auteur au superlatif : "Multipliant les formules du haut degré ("plus sourd que les cerveaux d'enfants", "plus léger qu'un bouchon", plus douce qu'aux enfants", etc.), accumulant les adjectifs ("marais énormes", "serpents géants", "ineffables vents", "confiture exquise", etc.) le "Poème" se situe ouvertement dans le registre hyperbolique du style sublime caractéristique de l'épopée" (op. cit. p.43-44).
     L'hyperbole peut servir aussi à l'expression paroxystique de la souffrance. Analysant Nuit de l'enfer (op. cit.) Danièle Bandelier montre comment Rimbaud y "théâtralise la souffrance". Elle y note "le cri artistiquement organisé par les ellipses, les prétéritions, l'hyperbole, la redondance, les associations étranges; [...] la recherche constante du superlatif, du comble, du renchérissement ("affreusement sotte", "J'ai soif, si soif", "mille fois plus riche"). [...] On est toujours au plus haut degré ("Je meurs", "j'étouffe", "je brûle", "je tombe au néant", horreur de l'horreur"), dans la multiplicité ("Trois fois béni", "millions de créatures", "hallucinations innombrables", "mille fois plus riche", "mille fois maudit"), dans la nullité ("néant", "jamais personne", "néant", "personne", "Plus aucun son") ou dans la totalité ("tous les mystères", "tous les talents", "tous", "venez", "toutes les grimaces imaginables")" (op. cit. p.69).
     L'hyperbole peut passer à bon droit pour un des traits les plus caractéristiques du style rimbaldien. Elle le doit à sa force expressive, à son pouvoir de dramatisation,
qui justifient sans doute aux yeux du poète l'usage (certains diraient "l'abus") d'une figure que son sens de la dérision, son auto-ironie auraient pu lui rendre suspecte. De fait, on se demande parfois si l'emploi intensif de l'hyperbole n'est pas précisément pour Rimbaud l'instrument tout à fait conscient de l'autodérision. Il semble bien en être ainsi dans Vies (Les Illuminations). Il s'agit dans ce poème, comme son titre le suggère et comme il est aisé de le vérifier, de trois récits rétrospectifs de la vie du poète, chacun d'entre eux reposant sur une opposition entre passé et présent. Mais, comme souvent chez Rimbaud, les événements tout à fait réels servant de pilotis à l'affabulation arrivent au lecteur transmués par le travail littéraire et, dans Vies, l'instrument principal de cette transmutation, c'est la figure rhétorique de l'hyperbole. "Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé". "Dans une magnifique demeure cernée par l'Orient entier j'ai accompli mon immense œuvre" déclare Rimbaud, toutes déclarations qui, venant d'un jeune poète de dix-neuf ou vingt ans, et qui n'a presque rien publié, serait tout de même assez comique si ce n'était pas, bien plutôt, humoristique. C'est dans cette "magnifique demeure cernée par l'Orient entier" (sur une île, peut-être) qu'il a passé son "illustre retraite". "Exilé ici, j'ai eu une scène où jouer les chefs-d'œuvre dramatiques de toutes les littératures" : se comparerait-il à Victor Hugo" ? "Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine" : se comparerait-il à Balzac ?  Et, en conclusion : "Je suis réellement d'outre-tombe " : se compare-t-il à Chateaubriand ? Oui, en mieux, car il est "vraiment" d'outre-tombe, lui, contrairement à l'auteur des Mémoires qui a mené à bien son œuvre monumentale alors qu'il était encore en pleine activité et bien vivant ! L'affaire, je crois, est entendue : Rimbaud ironise sur son propre compte. Antoine Fongaro qui a procuré en 2014 une lecture intégrale de Vies où il relève et analyse tous ces hyperbolismes (et même davantage) met surtout en relief la fonction satirique de la figure : "Au total, il semble assez évident que le triptyque Vies est une satire et une caricature du genre des Mémoires et des autobiographies" (p.156). Mais c'est aussi son propre orgueil, son propre "moi" hypertrophié, qui constitue la cible du poète, et le résultat, me semble-t-il, est assez amusant. Cela ne doit pas nous dissimuler, malgré tout, l'envers sérieux, voire tragique, de cette ironie puisque Rimbaud dit ici, une fois de plus, son scepticisme désespéré et sa résignation à cesser toute activité littéraire : "Mon devoir m'est remis. Il ne faut même plus songer à cela [...] et pas de commissions."
       

 

Une hyperbole rimbaldienne typique : tout, toute, tous, toutes, partout, toujours ...

      Jean-Pierre Richard parle de la "la passion rimbaldienne de la totalité" (op. cit. p.234), qu'il décèle dans l'utilisation massive de "tout, toute, tous, toutes, partout, toujours ...". 
    
Petite vérific
ation informatique : demander à l’ordinateur de rechercher ces mots dans Une saison en enfer (c'est facile : tous les navigateurs ou traitements de textes possèdent une commande "Rechercher".)
     Résultat : on s'apercevra que le narrateur de la Saison a connu, souffert, possédé ou désiré :
"tous les cœurs; tous les vins; tous tes appétits; tous les péchés capitaux; tous les vices; tous les métiers; tous les élans et les désastres; tous les mystères; tous les talents; tous les yeux; tous les hommes agissant; tous les paysages possibles; tous les enchantements; tous les sens; tous les êtres; tous (les sophismes de la folie); tous les temps; tous mes dédains; tous (les damnés); tous les développements cruels qu'a connus l'esprit; toutes les fêtes; tous les triomphes; tous les drames; tous les souvenirs immondes; tous les influx de vigueur et de tendresse réelle; toutes les richesses; toutes les grimaces imaginables; les arriérés de toutes sortes; toute l'espérance humaine; toute joie; toute morale; tout mensonge; etc…" (la liste est loin d’être complète).
     De cette liste de mots détachés de leur contexte, obtenue de façon mécanique et aléatoire, ressort pourtant une idée directrice : la démesure du bonheur ou du malheur, de la possession ou de la dépossession. Si l’on en doutait, l’analyse du contexte immédiat montrerait que dans les trois quarts des cas, la présence de l’adjectif ou du pronom « tout » est effectivement destinée à exprimer le vertige du désir ou de l’échec.  
     Suzanne Bernard exploite le même type d'exemples pour étayer sa thèse d'un Rimbaud démiurge, proposant dans ses Illuminations la vision synthétique d'un monde recréé. Elle écrit : "Rimbaud ne s'efforce pas tant de "s'évader" hors du réel que de saisir le réel dans sa multiplicité, de donner à tous les possibles leur actualisation poétique. La fréquence dans son oeuvre d'un mot comme tout est à cet égard révélatrice : "J'ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres" (Vies III), "toutes les légendes évoluent" (Villes), "On a reproduit ... toutes les merveilles classiques de l'architecture" (Villes), "des êtres de tous les caractères parmi toutes les apparences" (Veillées II), "tous les homicides et toutes les batailles" (Mystique), "toutes les possibilités harmoniques et architecturales" (Jeunesse IV)." (op. cit. p.188).
       David Ducoffre signale le même trait d'écriture dans Guerre, Veillées II, Vies ... et il conclut : "Nous passons ainsi des idées de totalité et de générosité à divers registres de l'exaspération hyperbolique et de l'absolu d'orgueil" (op. cit. p.214).

 

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Bibliographie

  • Jacques Plessen, Promenade et Poésie, Mouton, 1967, p.136-161 (long développement consacré à la figure de l'hyperbole dans le chapitre "Une rhétorique existentielle").

  • Paule Lapeyre, Le Vertige de Rimbaud, À la Baconnière-Payot, 1981.

  • André Guyaux, Poétique du fragment, Éditions À la Baconnière, 1985.

  • Danièle Bandelier, "L'expression de la souffrance dans Nuit de l'enfer", Dix études sur "Une saison en enfer", À la Baconnière, 1994, p. 67-82.

  • Suzanne Bernard, Le Poème en prose de Baudelaire à nos jours, Nizet, 1959.

  • Dominique Combe, Rimbaud, Foliothèque n°118, 2004.

  • David Ducoffre, Les poèmes de bilan, "Vies", "Guerre", et Une saison en enfer, Parade sauvage n°20, décembre 2004.

  • Jean-Pierre Richard, "Rimbaud ou la poésie du devenir", Poésie et Profondeur, Seuil, 1955.

  • Antoine Fongaro, "Lecture de Vies de Rimbaud", Firenze : Rivista di Letterature moderne e comparate, avril-juin 2014.