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Alinéa
ALLÉGORIE ALLITÉRATION ANALOGIE ANAPHORE ASSONANCE ASYNDÈTE CÉSURE CHANSON CHUTE Clausule Comparaison Déictiques Démonstratifs ELLIPSE Facule discursive JEU DE MOTS HYPALLAGE HYPERBOLE HYPOTYPOSE INCIDENTE Métaphore MÉTONYMIE PARAGRAPHE PARALLÉLISME Parataxe PARODIE Pastiche POÈME EN PROSE Pointe Polysyndète PRÉPOSITION RIME RIME CONSONANTIQUE RYTHME (PROSE) SONNET STYLE ORAL SYNECDOQUE SYNESTHÉSIE TIRET VERS VERS LIBRE Verset ZEUGMA |
"LE POÈTE DE
L'ELLIPSE ET DU BOND" Rimbaud est "le poète de l'ellipse et du bond", dit Saint-John Perse, dans une lettre de 1913 à Jacques Rivière. "Chacune de ses phrases, écrit de son côté Jacques Rivière, est à côté des autres. Elle ne conduit pas vers elles. On ne passe pas de l'une à l'autre. Il y a des hiatus partout." (op. cit. p.132). La critique a depuis longtemps observé le caractère elliptique du style de Rimbaud. En 1949, Henry de Bouillane de Lacoste constatait l'omniprésence, dans Une saison en enfer, de ce procédé d'écriture ...
Mais, contrairement à ce qu'en ont dit parfois les tenants de l'illisibilité de l'œuvre de Rimbaud (du moins, d'une partie de son œuvre), ce style haché n'est chez Rimbaud ni spontané, ni dépourvu de logique.
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Sans ce "mais" soulignant les contradictions du personnage, c'est la phrase elle-même qui paraît absurde et contradictoire. Restituer la cohérence du discours n'est pas toujours facile. Observons ces deux autres extraits de Mauvais Sang où le locuteur, évoquant ses "ancêtres gaulois", se montre rempli du regret que sa "race" barbare ait été si soumise, si imparfaitement civilisée et christianisée. On peut peut-être rétablir ainsi les éléments sous-entendus (j'indique entre crochets les mots qui seraient nécessaires à un enchaînement logique) :
* "— Mais plus alors" : dans cette expression, "plus" peut être la deuxième partie d'une formule négative ou un adverbe d'intensité […] Sommes-nous du côté du more ou du nevermore ? À titre personnel, il opte pour le "more" (une idée de "dépassement"). Moi aussi (je renvoie le lecteur à la page de ce site consacrée au poème). Mais cette opinion est ultra minoritaire. Massivement, les commentateurs français et les traducteurs étrangers du poème interprètent ce mot "plus" comme une négation, ce qui, selon mon jugement, est une erreur. Le mot "plus" est certes mystérieux. Rimbaud a recherché un effet de chute, percutante (avec ses trois mots brefs, ses trois accents rapprochés), et volontairement hermétique. L'instrument de l'énigme, c'est l'ellipse : il manque quelque chose, au moins un mot, pour que la phrase soit claire. Ce mot manquant, selon nous, c'est "pour". L'étude de la structure générale du texte fait ressortir la présence récurrente de ce mot "pour", désignant le but ou le bénéficiaire recherché par chaque pratique dévotionnelle énumérée. Or, le syntagme final "— Mais plus alors." occupe dans la structure de cette phrase unique que constituent les § 6-7-8 du poème la même fonction que toutes les autres formules de clôture des alinéas précédents qui contiennent le mot "pour". Rétablir ce mot dans la phrase finale en supposant que Rimbaud en a fait intentionnellement l'économie pour nous intriguer paraît donc parfaitement légitime. Il faut comprendre : "À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques. — Mais [POUR] plus alors." Ce que nous dit Rimbaud, c'est qu'il est disposé à placer ses espoirs MÊME dans des voyages métaphysiques MAIS ALORS ... ce serait POUR obtenir PLUS, pour tirer davantage, non pas d’un intercesseur particulier (comme dans les premiers alinéas du texte) mais des risques ou efforts consentis dans cette ultime forme de dévotion. Sous-entendu, le jeu doit en valoir la chandelle : sa ferveur, s'il consent à l'offrir, devra lui rapporter "plus". Le gain devra être plus substantiel que celui obtenu dans ses précédentes pratiques dévotionnelles. Il veut être sûr d'avance que son ou ses voyages vers l'Inconnu lui permettront, selon la formule de Conte, de "voir la vérité, l'heure du désir et de la satisfaction essentiels." * Il y a parfois chez Rimbaud des ellipses si "vertigineuses" que l'on peut assister à des interprétations fort divergentes chez les commentateurs. Exemple, dans Barbare :
On constate un premier rapport logique non marqué, mais facile à rétablir, entre la proposition relative en incise et le reste de la phrase. C'est un rapport d'opposition :
Mais quel est le rapport logique entre ce début de phrase et la vision du "pavillon en viande saignante", dans la proposition suivante (qui débute avec l'interjection de surprise "Oh !" et s'achève sur l'exclamation "Douceurs !") ? Pour beaucoup de commentateurs, il semble qu'il n'y en ait aucun, qu'il n'y ait là qu'une juxtaposition gratuite d'éléments disparates. Je crois au contraire que cette deuxième partie de phrase développe l'idée contenue dans la proposition en incise, avec une valeur logique de cause. On pourrait paraphraser ainsi :
Pour un commentaire plus complet de ce passage, voir la page de ce site consacrée à Barbare. * Olivier Bivort fait remarquer à juste titre que l'impression de discontinuité provoquée par le texte rimbaldien n'est pas le seul fruit de la parataxe, c'est-à-dire d'une absence de particules logiques et de chevilles syntaxiques (adverbes, coordonnants et subordonnants) mais qu'il s'y ajoute par moments la présence d'une syntaxe délibérément déviante :
C'est dire qu'il convient de ranger l'ellipse et la parataxe au sein d'un ensemble plus vaste de pratiques linguistiques (les phrases nominales, les ruptures, les disjonctions, le ton familier...) utilisées par Rimbaud pour désorganiser la phrase régulière et se doter d'une syntaxe originale et souple "pliée aux mouvements de sa pensée, fondamentalement expressive" (ibid. p.32). * Il est curieux de constater, tant le texte de Rimbaud sidère ses commentateurs, que certains d'entre eux voient même de la parataxe là où il n'y en a pas, allant jusqu'à dénier toute signification à des connecteurs dûment présents dans le texte. Ainsi, Atle Kittang, auteur d'une remarquable thèse sur Rimbaud, Discours et Jeu (1975), écrit au début de son commentaire de Génie, à propos du syntagme : "puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été", que la conjonction "puisque" n'aurait là aucune valeur logique. Ce serait "un pur lien non-signifiant". Sa seule valeur résiderait "dans l'évaporation de son sens ou de sa fonction habituelle", afin de désorienter le lecteur (op. cit. p.222). Or, tout au contraire, "puisque" présente à cet endroit son sens le plus plein de connecteur logique dans le cadre d'un raisonnement causal. Rimbaud entend démontrer que son "Génie" est déjà présent parmi nous, que son "affection" n'est pas seulement une promesse pour "l'avenir" mais nous est déjà prodiguée dans le "présent". Ce sont les raisons (les causes) de cette conviction que la conjonction a pour fonction d'articuler et ce sont bien ces raisons que développent les propositions suivantes. Pour un commentaire plus complet de ce passage, voir la page de ce site consacrée à Génie. ________________________________ Bibliographie
Henry
de Bouillane de Lacoste, Rimbaud et le problème des Illuminations,
Mercure de France, 1949.
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