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Alinéa
ALLÉGORIE ALLITÉRATION ANALOGIE ANAPHORE ASSONANCE ASYNDÈTE CÉSURE CHANSON CHUTE Clausule Comparaison Déictiques Démonstratifs ELLIPSE Facule discursive JEU DE MOTS HYPALLAGE HYPERBOLE HYPOTYPOSE INCIDENTE Métaphore MÉTONYMIE PARAGRAPHE PARALLÉLISME Parataxe PARODIE Pastiche POÈME EN PROSE Pointe Polysyndète PRÉPOSITION RIME RIME CONSONANTIQUE RYTHME (PROSE) SONNET STYLE ORAL SYNECDOQUE SYNESTHÉSIE TIRET VERS VERS LIBRE Verset ZEUGMA |
Rimbaud exploite assez souvent l'effet brillant de l'oxymore. Il suffit de feuilleter les Illuminations pour en faire rapidement une abondante moisson : "générosités vulgaires", "s'extasier dans la destruction", "un bonheur indicible, insupportable même" (Conte) ; "luxe dégoûtant", "violent paradis", "tendresses bestiales" (Parade); "fanfare atroce", "chevalet féerique", "honnêtetés tyranniques" (Matinée d'ivresse) ; "joli crime" (Ville) ; "rugissent mélodieusement", "l'écroulement des apothéoses" (Villes I) ; "gentilshommes sauvages" (Villes II) ; "féerie scientifique", "tortures qui rient" (Angoisse) ; "splendeurs invisibles", "délices insensibles" (Solde) ; "molles éruptions" (Promontoire) ; "futaies mouvantes" (Soir historique) ; "raison merveilleuse", "affection égoïste" (Génie). Certaines des trouvailles oxymoriques
de Rimbaud ont paru assez percutantes pour être utilisées comme
titres par des auteurs contemporains : Une Ardente Patience (cf.
Adieu, dans la Saison en enfer) est le titre
d'un roman et d'un film du chilien Antonio Skarmetá ; L'Horreur
économique (cf. Soir historique) est le titre d'un
essai de Viviane Forester ; La Philosophie féroce
(cf. Démocratie) a été choisi par Michel Onfray comme
titre d'un de ses ouvrages, etc. "Un condensé d'expression effarant, fait pour exaspérer le lecteur ami de la logique" Toujours à la recherche de l'insolite, Rimbaud ne pouvait ignorer ces ressources classiques de la rhétorique : l'oxymore, mais aussi les figures voisines de l'antithèse, du paradoxe, de la dissociation (selon Dupriez), de l'adunaton... La critique rimbaldienne s'est cependant souvent étonnée, voire effarouchée de l'audace de Rimbaud dans l'exploitation stylistique de l'oxymore. Henry de Bouillane de Lacoste, par exemple, décrit en 1949 ce fréquent "procédé" qui ...
Le "principe oxymorique" et l'école de l'illisibilité La critique d'inspiration structuraliste des années 60-80 a fait du "principe oxymorique" (Kittang, op.cit. p.216) le dispositif central de l'hermétisme rimbaldien. Dans son essai intitulé Discours et Jeu (1975), Atle Kittang construit le concept d'"écriture de dispersion" pour rendre compte des attaques portées par Rimbaud contre l'unité du discours. L'hermétisme rimbaldien repose, selon lui, essentiellement, sur une pratique d'éparpillement sémantique par juxtaposition d'éléments incompatibles, un système de dislocation de l'énoncé visant s'affranchir des mécanismes qui en assurent l'isotopie : cohésion métaphorique, lexicale et thématique, unicité du sens, clarté des enchaînements syntaxiques, homogénéité de ton. C'est ce qu'il appelle, un peu abusivement, une écriture "oxymorique", par opposition avec celle de Baudelaire, par exemple, qui serait essentiellement "analogique". L' "écriture de dispersion" et "oxymorique" de Rimbaud, "au lieu d'orienter le déchiffrement du lecteur par un jeu analogique, le désoriente par sa dislocation systématique de l'identique, de la ressemblance, de la coïncidence" (p.210). En cela, elle opère une rupture avec "l'écriture de condensation" des Romantiques et de Baudelaire qui, par principe, fait converger tous les procédés du texte vers un effet unique. De cette innovation découle son "illisibilité spécifique" (p.211). À propos du début de Mémoire, par exemple :
La description est inattaquable mais Kittang est-il en droit de conclure que l'effet recherché est "le retrait du signifié et le nivellement de l'ordre du sens" ? Ne voit-il pas que l'unité sémantique mise en péril, en effet, par la multiplication insolite des référents mobilisés, se restaure à un autre niveau de sens dès qu'on a compris que ce qu'il appelle "l'image dynamique d'une lutte entre le Soleil et la blancheur féminine", c'est-à-dire le conflit entre hommes et femmes, est bien souvent la cause, pour Rimbaud, des "larmes d'enfance", et que c'est là, justement, le sujet traité par le poème ? Peut-on, dans ces conditions, parler de retrait du signifié et d'illisibilité ? Au contraire, l'apparent disparate des images n'est-il pas chez Rimbaud le moyen d'un surcroît de signification, d'une accession à l'abstraction et au symbole ? De même, que Les Mains de Jeanne-Marie n'ait pas l'unité de structure et la cohérence métaphorique de son contre-modèle romantique, l'Étude de mains de Gautier, rien là que de très évident. Mais n'est-il pas excessif, une fois de plus, de parler à ce propos de "principe oxymorique" (ce qui semble surtout signifier pour Kittang contradictoire, disparate), de "débordement perpétuel du texte par rapport à son armature lisible", de "passage continu de l'illisible au lisible" ? Un examen de la question montrerait dans le texte de Rimbaud une "armature" moins "décentrée" que ce que l'auteur se plaît à dire. Kittang écrit par exemple :
À quoi Steve Murphy réplique, non sans humour :
Des mains hâlées peuvent pâlir "sur le bronze des mitrailleuses", même sous le soleil, s'il s'agit à travers cette pâleur, pour le poète, d'évoquer l'effet d'un effort violent ou la menace sur ces mains d'une mort qui "veut [les] déhâler". Enfin, lorsque Rimbaud déclare : "C'est le sang noir des belladones / Qui dans leur paume éclate et dort", il ne veut évidemment pas dire que ces deux états physiologiques sont concomitants. En 1987, dans un célèbre article, Tzvetan Todorov reprend à son compte la thèse de Kittang en la radicalisant. Il décèle chez Rimbaud — à tort selon nous — une remise en cause de la fonction référentielle du langage :
En réalité, dans leur contexte, la plupart de ces figures de rhétorique revêtent une signification satisfaisante. Il peut parfaitement y avoir une certaine forme d'harmonie dans un concert de rugissements (Villes I). Les frissons d'extase de Matinée d'ivresse peuvent s'accompagner de sensations simultanées de chaud et de froid (ne parle-t-on pas communément de sueurs froides ?). Dans le cas de "silence houleux" (Angoisse), Todorov oublie seulement d'informer son lecteur que Rimbaud vient d'évoquer précédemment "le silence des eaux". Le "silence houleux" n'est donc rien d'autre qu'une "houle silencieuse", ce qui — on l'admettra — se comprend fort aisément. Dans le contexte du poème, il s'agit d'évoquer en une formule concentrée l'angoisse générée par les mouvements de la houle et par le silence oppressant de cette symbolique traversée (la vie, plus spécifiquement la vie d'artiste, le destin douloureux de celui qui s'est "reconnu poète"...). Ici comme ailleurs, la fonction de la figure d'opposition est d'exprimer de façon suggestive une certaine nuance de sens, et non — comme le croit Todorov — d'oblitérer toute possibilité de sens. __________________________________ Bibliographie Henry
de Bouillane de Lacoste, Rimbaud et le problème des Illuminations,
Mercure de France, 1949. |