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Lexique des termes littéraires 

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Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

PRÉPOSITIONS (USAGE INSOLITE DES) : L'usage inattendu des prépositions est une des particularités de la syntaxe rimbaldienne. En voici quelques exemples. Nous faisons suivre les phrases citées de la préposition qui y serait plus normalement attendue :

"entrer aux splendides villes" (Une saison en enfer, Adieu) = dans
"léger à mon orgueil" (Une saison en enfer, L'éclair) = pour
"se réveiller à l'étoile d'argent" (Une saison en enfer, Matin) = sous
"je tomberai au néant" (Une saison en enfer, Mauvais sang) = dans
"les enchantements assemblés sur mon cerveau" (Une saison en enfer, Délires II) = dans
"nous sommes engagés à la découverte" (Une saison en enfer, Adieu) = dans
"j'aurais bivaqué sous les nuits d'Allemagne" (Une saison en enfer, Mauvais sang) = pendant?
"ma trahison au monde" (Une saison en enfer, L'éclair) = du
" les gens qui meurent sur les saisons" (Une saison en enfer, Adieu) = avec
"le drapeau va au paysage immonde" (Illuminations, Démocratie) = vers
"élan insensé aux splendeurs invisibles" (Illuminations, Solde) = vers
"Rouler aux blessures ... (Illuminations, Angoisse) = vers
"...par l'air lassant et la mer" (Illuminations, Angoisse) = à travers
" par des anses d'amour morts (Illuminations, Fairy) = à travers
" la bruine des canaux par les champs" (Illuminations, [Fragments sans titres]) = à travers

    Certains commentateurs ont tendance à voir là des maladresses, ou un usage aléatoire, arbitraire, des prépositions.
     Danièle Bandelier y voit une recherche délibérée de l'insolite (de l'écart grammatical). Sur le plan grammatical, elle considère que Rimbaud ne fait que reprendre et accentuer une tendance spontanée des prépositions à perdre leur valeur sémantique originelle et à étendre leurs domaines d'emploi. Sur le plan stylistique, Danièle Bandelier estime que la préposition déviée n'est pas en elle-même porteuse d'un effet esthétique. Elle est un signal d'originalité, mettant en valeur des expressions superbes comme "se réveiller à l'étoile d'argent", "entrer aux splendides villes". Elle permet à Rimbaud de renouveler des locutions consacrées et de leur rendre leur fraîcheur en les faisant échapper à la banalité (op. cit. p.74 et 78-79).
     Dans son Art de Rimbaud (op. cit. p.380-382) Michel Murat réfute ce type d'analyse du phénomène : "Il me semble au contraire que l'usage de Rimbaud, précisément dans ce qu'il a de forcé, met en lumière le sémantisme fondamental de la préposition". Selon ce critique, l'usage fait par Rimbaud de la préposition "à" met en évidence son "sens étymologique (ad), dont la valeur spatiale de la préposition conserve la trace en français moderne : un sémantisme de destination, nettement distinct de celui de "vers" (direction), de "par" (traversée) et de "de" (provenance)". Il cite à l'appui de sa thèse un article (op. cit) où Olivier Bivort  montre que dans une phrase comme "le drapeau va au paysage immonde" (Démocratie), la préposition "précipite le procès engagé par le verbe". "Dans les constructions nominales elle ne se substitue pas complètement au verbe absent, mais établit un relais avec un substantif qui recueille le sémantisme du procès". Comme par exemple dans : "élan insensé et infini aux splendeurs invisibles" (Solde). Michel Murat souligne qu'il en est de même pour la préposition "par", généralement dotée chez Rimbaud de son sens étymologique de "traversée d'un espace". "En fin de compte, conclut-il, c'est encore à un processus de mise en évidence de la langue que nous avons affaire : la distorsion en accentue l'effet, comme dans la caricature". Autrement dit, Rimbaud ne crée pas une langue nouvelle, "il crée dans la langue, et non hors d'elle ou contre elle".
    Mais que dire d'un exemple comme celui-ci, tiré d'
Après le Déluge : "Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images" ? La "grande maison de vitres encore ruisselante" est-elle autre chose qu'une variation obtenue à partir de la formule plus attendue : "grande maison aux vitres encore ruisselantes" ? Variation infime en apparence, reposant sur la simple substitution d'une préposition à une autre plus logique, mais qui suffit à générer une métaphore : une "maison de vitres" qui ruisselle (c'est bien la maison qui ruisselle et non les vitres comme le montre l'absence de "s" à "ruisselante") n'est pas, ou n'est plus, un simple tableau empreint de poésie, c'est une métamorphose féerique de la réalité. Car une "maison de vitres", c'est comme "la fourmi de dix-huit mètres" de Robert Desnos (ou les "fleurs arctiques" de Barbare), "ça n'existe pas". 

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Bibliographie

Danièle Bandelier, Se dire et se taire, L'écriture d'Une saison en enfer, À la Baconnière, 1988.
Michel Murat, L'Art de Rimbaud, Corti, 2002, p.380-382.
Olivier Bivort, "Un point de sémantique fonctionnelle : usage et expressivité des prépositions complexes", Rimbaud, Strategie verbali e forme della visione, ETS/Slatkine, 1993, p. 25-38. 
[Malheureusement, je n'ai pas pu consulter cet article. A.B.]