Visitez le 
Lexique des termes littéraires 

du site Lettres.org

Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

RIME : La rime peut être définie comme le retour d’un même groupe de sonorités à la fin du vers, au nombre desquelles figure obligatoirement la dernière voyelle du vers (autre que « e ») et les phonèmes qui, éventuellement, la suivent. Les règles (de densité phonique, d’organisation) en ont subi d’infinies variations selon les époques et les écoles. Sur le plan de la densité, la règle généralement retenue est qu’une rime, pour être suffisante, doit inclure deux phonèmes successifs communs. Lorsque la rime se réduit à la dernière voyelle du vers, on parle de « rime minimale » (ou encore de « rime pauvre », d' « assonance »). Sur le plan de l’organisation, la tradition préconise l’alternance des rimes masculines et féminines (celles qui se terminent sur un « e » muet). Les rimes s’ordonnent principalement en rimes « plates » ou « suivies » (aa, bb …), « croisées » (abab), et « embrassées » (abba).

   À l’époque de Rimbaud, la norme en matière de rimes peut être recherchée chez Théodore de Banville, et notamment dans son Petit Traité de poésie française (1872), théorisation tardive du goût XIXe (après 1830) pour la rime riche et originale. L'exigence est supérieure à la norme classique exposée dans la définition ci-dessus. Banville fait une quasi obligation de la présence d'une consonne d'appui devant le son vocalique qui constitue le noyau de la rime (soumis::amis) : "Sans consonne d'appui, pas de Rime, et, par conséquent, pas de poésie." (op.cit. p.56-57). Mais Banville, dit Michel Murat, ne respecte pas lui-même cette règle draconienne (op. cit. p.119) : il faut sans doute y voir un idéal recherché plutôt qu'une norme rigide. Dans la pratique, une rime constituée de deux phonèmes sans consonne d'appui est jugée satisfaisante dans bien des cas, notamment si elle est enrichie d'une suite muette : e muet ou consonne flottante identique (promesse::caresse ; sort::tort), et si elle ne contient ni suffixe ni désinence verbale (les "rimes grammaticales" sont considérées comme des facilités). De même, on tolère l'absence de la consonne d'appui dans le cas d'une rime où le noyau vocalique est suivi de deux phonèmes identiques ou plus, à condition que cette rime soit aussi valable "pour l'œil" et qu'elle ne soit pas trop banale (titre::pitre). 

   Dans L’Art de Rimbaud, Michel Murat a étudié avec minutie la pratique rimbaldienne de la rime, depuis sa première manière, régulière mais plutôt négligée au regard des critères exigeants de l’époque (1870), jusqu’aux vers assonancés ou faiblement rimés de 1872, en passant par les « rimes éclatantes » de 1871, « l’année des dictionnaires ». Les rimes pauvres sont en proportion très élevée dans les poèmes de 1870 (12,5%) mais se réduisent au taux observé chez un Baudelaire ou un Hugo en 1871 (4,3%). Au chapitre des négligences rimbaldiennes, Michel Murat note la propension à la variation du timbre vocalique (épaule :: corolle, dans Ophélie, embaumé ::mai, dans Le Bateau ivre, par exemple). Il observe la tendance à la combinaison singulier / pluriel (jongleur :: fleurs, dans Ce qu’on dit au poète…, Paresse :: caresses, dans Les Chercheuses de poux), au couplage de voyelles suivies de consonnes flottantes différentes (sent :: sang, verts :: univers ; fleur :: meurt, nid :: infini, dans Soleil et chair) toutes choses jugées désagréables pour l’œil et donc condamnables. Par contre, il crédite Rimbaud d’une grande inventivité dans l’art de compenser les rimes pauvres par des enrichissements paronymiques (dada :: papa ; colorié :: arriéré) ; de rattraper les rimes stéréotypées comme la rime en –té (fortement déconseillée par les traités de versification lorsqu’il s’agit de mots féminins abstraits) par des rencontres inattendues (humidité :: médité ; retraités :: Traités), burlesques (culottée :: emmaillotée), rendues insolites par l’écart grammatical (à côté :: sauté) ; de rehausser les rimes grammaticales (c’est à dire fondées sur des suffixes ou des désinences), elles aussi déconseillées pour leur facilité, par des jeux paronymiques (vogueur :: Vigueur ; navrantes :: enivrantes ; dorades :: dérades, par exemple, dans Le Bateau ivre). Enfin, Rimbaud tire parfois des effets satiriques amusants ou expressifs de certaines catégories de rimes ludiques comme la « rime d’inclusion » (mitraille :: raille, Le Mal), la « rime sur paronymie » (nappes damassées / Des autels :: mères ramassées / Dans l’angoisse, Le Mal), la rime-calembour ou « rime équivoquée » (c’est assez :: cétacé, L’Homme juste).  

   Dans les poèmes de 1872-1873, Rimbaud fait subir à la rime des altérations équivalentes à celles qu'il impose aux vers. Michel Murat note toutefois que cette rupture est plus brutale pour la rime que pour le vers : "les vers assonancés ou faiblement rimés de 1872 succèdent sans transition aux rimes éclatantes de 1871, alors que la dérive du vers est plus progressive" (op. cit. p.186). Le même auteur propose de distinguer, pour cette période 1872-1873, trois catégories de textes :
   - Ceux où la rime s'affaiblit sans franchir le seuil d'acceptabilité ("Mémoire", "Est-elle almée", "Qu'est-ce pour nous...", la conclusion de "Comédie de la Soif", "Ô saisons", "Chanson de la plus haute tour", et deux sections de "Comédie de la soif" : "L'Esprit" et "Le Pauvre Songe".
   - Ceux où l'on constate des transgressions ostensibles (assonances, vers non-rimant) mais localisées : "La Rivière de Cassis", les sections des "Parents" et des "Amis" dans "Comédie de la soif", "Bonne pensée du matin", "L'Éternité", "Âge d'or", "Honte" et, de façon plus accentuée, "Jeune Ménage", "Michel et Christine", "Entends comme brame...", "Fêtes de la faim", "Le loup criait sous les feuilles..."
   - Ceux enfin (trois seulement) qui "présentent une altération plus profonde du système et de la nature des rimes" (op. cit. p.188) : "Larme", "Bannières de mai", "Plates-bandes d'amarantes". Dans "Larme", commente Michel Murat, on constate une "absence à peu près totale de régularité. En un sens on peut dire que Rimbaud ne rime plus, si l'on entend par rime une homophonie (quels qu'en soient les critères) périodique en finale de vers" (op. cit. p.193). La déstructuration du système est poussée encore plus loin dans "Bannières de mai". Cependant, l'absence de rime est partiellement "rééquilibrée par des correspondances internes". L'exemple le plus frappant se trouve au début de "Larme". Les finales non-rimantes des vers 1 et 3 "villageoises / noisetiers" font entendre des sonorités dont on peut percevoir l'écho, parfois déformé, en amont dans ces mêmes mots ou dans d'autres mots à l'intérieur du poème (/wa/, /waz/, /az/ ; /tyé/, /tyè/, /èr/) :

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'après-midi tiède et vert.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer.

   On a l'impression que Rimbaud ne se contente pas ici de donner congé à la rime mais qu'il expérimente le moyen d'une réorganisation du principe d'homophonie.

   Un des traits les plus remarquables du vers rimbaldien réside dans cette prodigalité d'effets sonores (et cette qualité, que l'on observe déjà dans ses premiers poèmes, se retrouvera dans les proses des Illuminations). Plus que la "rime riche" qui ne domine véritablement que dans sa production de 1871, c'est la multiplication des échos internes en combinaison avec la rime qui caractérise le mieux sa manière poétique. À quoi il faut ajouter, malgré tout, sur le plan du rythme, le dynamisme de sa métrique. La versification rimbaldienne se reconnaît à la convergence de sa technique des échos sonores avec le débordement du vers, systématiquement recherché par le jeu des enjambements : "la phrase dévale d'un vers sur l'autre" écrit Michel Murat, avec "une puissance irrépressible, emportée par son avenir, mais laissant derrière elle une traînée de tendres scintillations" (op. cit. p.171 et 170).

__________________________________________

Bibliographie

  • Théodore de Banville, Petit traité de poésie française, Éditions d'Aujourd'hui, 1978 (réédition conforme à celle de l'édition originale de 1872).

  • Jean-Michel Gouvard, La versification, PUF, Collection Premier Cycle, 1999 (ce manuel tient compte de l'évolution récente de la théorie ; il propose une mise à jour des définitions, de la terminologie et des signes conventionnels).

  • Michel Murat, L'Art de Rimbaud, Corti, 2002, p.380-382.